L’ordonnance relative à la loi de finances 2019 fait des remous au sein des chefs d’entreprise qui se sentent saignés à blanc. Vent débout contre l’imposition forfaitaire annuelle ramenée de 1 à 3%, l’organisation patronale des Comores (Nouvelle Opaco), par la voix de son président, Mahamoudou Ali Mohamed, demande une suspension temporaire de ce matraquage fiscal qui menace les entreprises. Propos recueillis par Toufé Maecha
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Masiwa: Vous avez appelé le ministre du budget à une pause fiscale. Pourquoi ?
Mahamoudou Ali Mohamed: Parce que la situation de nos entreprises est difficile en ce moment. La situation était déjà plus difficile avant cette ordonnance qui est venue accroître ce poids fiscal. Et nous sommes tous d’accord que le prélèvement fiscal est une prestation requise d’autorité au compte du contribuable en vue de réaliser les objectifs des autorités économiques entre autres. Mais le souci chez nous est que les recettes fiscales constituent la principale ressource de l’État comorien. Malheureusement aucune reforme n’a été mise en œuvre visant à élargir ou à modifier la base fiscal pour une mobilisation accrue des ressources et pour un système fiscal cohérent et adapté aux réalités du pays. Donc on a demandé une pause fiscale parce que le poids devient de plus en plus insupportable et on a l’impression qu’entre l’administration des douanes et celle des impôts c’est une course où chacun veut gagner le maximum sur notre dos.
Masiwa: Quelle incidence peut avoir l’application de l’ordonnance sur vos sociétés?
MAM: Je crois que le mieux serait de donner une explication. Si je devais prendre une société qui a un chiffre d’affaires d’un milliard, avant cette ordonnance, le minimum de perception à faire était de 1%. Que la société fasse des pertes ou des profits, elle doit payer 1% de son chiffre d’affaires à l’État. C’est ce qu’on appelle l’imposition forfaitaire annuelle. Avec cette ordonnance l’imposition est triplée. On est passé à 3%. Ça veut dire quoi? Si avec 1% la société payait 10 millions de nos francs à l’État, maintenant elle doit donner 30 millions et ce, qu’elle fasse des pertes ou des profits. Une chose que vous devriez savoir, vu les problèmes dans notre pays, aucune société ne fait des profits sinon très insignifiants car n’arrivent pas à dépasser les 5%. Si on prend cette société à 1 milliard de chiffre d’affaire son profit à 5% s’élèvera à 50 millions. Or l’impôt aujourd’hui est de 35%, donc cette société devrait payer 35% des 50 millions de profit. Cela revient à payer à peu près 17,5 millions Kmf. Les 35% ajoutés aux 3% de l’impôt minimum forfaitaire représentent 30 millions d’impôt sur 50 millions de bénéfice. C’est une mesure inéquitable. C’est un abus. Au Gabon, au Mali ou encore au Niger l’impôt minimum forfaitaire est de 1%. Au Burkina Faso et au Sénégal, c’est 0,5%. En Tunisie c’est 0,2%. Au Tchad, 1,5%. Ces pays là ont un impôt minimum inférieur au nôtre. Mais pas que. Ils ont aussi des taux de douane inférieur aux nôtres. Encore une fois c’est de l’abus ici chez nous. On n’est plus dans l’équité. C’est grave. Et je pense qu’on n’a pas réellement expliqué au ministre des finances et au président les conséquences, parce que beaucoup de société ne tiendront pas le coup. Imaginez que dans 50 millions de profits on doit donner 30 millions à l’État alors qu’avant on ne donnait que 17,5 millions. Les conséquences sont désastreuses pour les sociétés. Et cela pourrait mener les entreprises à cacher leurs chiffres d’affaires pour contourner ce poids fiscal insupportable. Et ce sera grave si on en vient là.
Masiwa: En tant qu’organisation patronale, étiez-vous consultée lors de l’élaboration de ce projet de loi ?
MAM: On n’est jamais consulté. Même quand on envoie un projet de loi de finances à l’assemblée, on n’est pas consulté. N’en parlons plus de l’ordonnance qui était faite à la présidence. En temps normal on ne nous consulte pas, n’en parlons plus en temps exceptionnel. Mais on aurait bien expliqué ce danger sur les entreprises et ils auraient certainement compris.
Masiwa: L’ordonnance présidentielle est de janvier et votre réaction en mars. Pourquoi ?
MAM: On est anesthésié. C’est la fin de l’année on a besoin de faire nos clôtures. Le temps de la confirmation de cette ordonnance aussi y est pour quelque chose. La conformation, c’est le code général des impôts 2019 que j’ai obtenu il y a seulement une semaine. Donc c’est maintenant qu’on réagit, parce que c’est maintenant qu’on a une confirmation.
Masiwa: Dans la ligne droite du scrutin, pensez-vous obtenir une réponse rapidement ?
MAM: Nous savons tous qu’ils sont tous occupés par les élections. C’est pour ça que nous demandons une pause. Et cette pause nous la demandons de façon urgente parce qu’à partir de fin mars les inspecteurs aux impôts vont commencer à harceler les entreprises. Donc il est une urgence.
Masiwa: Un dernier mot ?
MAM: Tout le monde en ce mois est occupé à la politique. La vraie réalité c’est celle-ci: l’entreprise. C’est le secteur privé qui crée la richesse. Il faut que les autorités nous facilitent les choses pour pouvoir créer de la richesse et alimenter l’État. Si on pouvait laisser les politiques faire la politique, et l’administration s’occuper de l’administration, on n’en serait peut-être pas là.
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