En exil depuis les élections présidentielles du 14 janvier 2024, menacé physiquement, harcelé au téléphone après avoir dénoncé les fraudes perpétrées au sein de la CENI, Me Gérard a saisi le Conseil des Droits de l’Homme (CDH) de l’ONU. Celui-ci a demandé des explications au gouvernement comorien qui a préféré garder le silence face aux accusations.
Par MiB
Me Gérard Youssouf Abdou est avocat au barreau de Moroni, un ancien magistrat. Il est également un collaborateur régulier du journal Masiwa depuis de nombreuses années. Lors des dernières élections présidentielles qui se sont tenus le 14 janvier 2024, il a été désigné comme représentant de l’opposant et candidat Mouigni Baraka au sein de la Commission Électorale nationale indépendante (CENI). D’abord confiant sur le processus, rassuré en cela par le président de la CENI, Saïd Idrissa, il fait part aux médias de la bonne préparation du scrutin. Mais, à l’approche du vote, il commence à déchanter quand il voit les mécanismes de la fraude se mettre en place.
La CENI a organisé la fraude
Le 14 janvier, il assiste impuissant, comme la plupart des Comoriens à ce qu’il appelle « un plan » de fraude sur l’ensemble du pays. Il voit même les vidéos des responsables des bureaux de vote en train de « bourrer » les urnes ou des militaires qui récupèrent ces urnes dès le début de l’après-midi et même des personnalités politiques (Me Mohamed Ahamada Baco, vice-président de l’Assemblée nationale, le maire de Fomboni) « attrapées » en train de frauder. Il entend l’ordre donnée au téléphone par le conseiller et fils du chef de l’Etat, Nour el Fath Azali à ses partisans pour qu’ils commencent à remplir les urnes.
Tout naturellement, en tant que membre de la CENI, il refuse de valider de faux résultats et quitte même la cérémonie de proclamation.
Le soir même, une personne l’avertit de l’imminence de son arrestation. C’est caché qu’il voit des militaires s’arrêter devant sa maison, y pénétrer et repartir peu après sans avoir arrêté qui que ce soit. Quelques jours après il quitte le pays pour sauver sa vie.
De l’extérieur, il a continué à témoigner et à expliquer comment l’équipe de Saïd Idrissa s’est allié au gouvernement et au parti présidentiel pour organiser la fraude, puis pour fabriquer des chiffres aberrants qui n’ont convaincu personne. Les chiffres fournis par la CENI étaient tellement incohérents que la Cour Suprême a été contraint de fabriquer ses propres chiffres, ce qui n’entre pas dans ses compétences. Et jusqu’à aujourd’hui, ni la CENI ni la Cour Suprême n’ont été en mesure de fournir les résultats complets bureau par bureau.
Une famille menacée
Me Gérard Youssouf Abdou est donc contraint de vivre à l’extérieur du pays depuis presqu’un an pour préserver sa vie. Il a donné des renseignements sur les fraudes au journal Masiwa, mais également au journal Le Monde. Et pour cela, il a été inquiété y compris loin des Comores et le harcèlement n’a toujours pas cessé. Les menaces pesaient également sur la famille aux Comores comme l’écrivent les trois rapporteuses : « La famille de Me Abdou a vécu dans un climat de crainte et de psychose, principalement en raison de la surveillance militaire exercée sur leur domicile cherchant à obtenir des informations et des documents sur la localisation de Me Abdou. Ces actes de surveillance se déroulaient principalement durant la nuit, créant une atmosphère d’insécurité permanente. » L’avocat est poursuivi et menacé même à l’extérieur. Selon le rapport du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, il aurait même été la cible
Me Gérard Youssouf Abdou a donc porté son problème auprès du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève. Celui-ci a ouvert une enquête pour harcèlement, menaces et déplacement forcé et a donné mandats à trois rapporteuses Irene Khan, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Gina Romero, Rapporteuse spéciale sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme pour enquêter et demander de plus amples informations au gouvernement comorien avant publication d’un rapport.
Des faits avérés
C’est dans ce cadre que les trois rapporteuses ont demandé par un long courrier daté du 17 octobre 2024 des renseignements au gouvernement comorien. Elles cherchent, entre autres, à savoir « si des mandats d’arrêt ou des poursuites judiciaires ont été émis » contre Me Gérard Youssouf et sur la base de quels faits. Ils demandent des précisions sur la protection des membres de la société civile qui luttent en faveur des droits de l’homme et des libertés.
Les trois rapporteuses demandent également au gouvernement comorien de leur faire connaître les actions qu’il a entreprises pour faire en sorte que les citoyens « puissent exercer leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association et, y compris les critiques du gouvernement, de ses politiques et des processus démocratiques tels que les processus électoraux, sans craindre d’être arrêtés ou harcelés. » À Beit-Salam et même à la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés, les partisans du régime ont dû être estomaqués. Le Conseil des Droits de l’Homme leur demandait tout simplement de se dénoncer. Pourquoi ne pas leur demander aussi de raconter comment le jeune gendarme Ahmed Abdou Fanou a été torturé et exécuté.
Les rapporteuses des Nations Unies avaient donné au gouvernement comorien deux mois pour apporter des éclaircissements. Ce dernier a choisi de garder le silence, donnant ainsi toute crédibilité aux accusations et permettant ainsi aux rapporteuses de rendre publics les faits et de les insérer dans le rapport annuel.