Le processus devient une habitude, pendant l’été, la haute saison, une compagnie aérienne apparait soudainement, pour profiter de la haute saison, mais se présente comme une œuvre de bienfaisance pour transporter les Comoriens de la diaspora vers le pays d’origine et disparaît en les laissant sans solution de retour. Malgré cela, l’arnaque fonctionne toujours.
Par MiB
Les premiers clients de Comoros Airlines sont arrivés à l’aéroport de Hahaya ce samedi 29 juillet, transportés par Ethiopian Airlines. Ils devaient prendre le vol inaugural de la nouvelle compagnie le 26 juillet dernier. Quand ils sont arrivés à l’aéroport de Marignane (Marseille), ils ont appris qu’aucun avion de cette compagnie n’était prévu au départ. Pire, la compagnie n’existe pas. Un des clients témoigne sur twitter le jour même avec ses mots et sa colère : « Nous sommes aller à l’aéroport de Marseille ajd est Comoros Airlines est de la pur escroquerie, ça n’existe même pas. » (sic)
Les voyageurs tombent des nues et reviennent dans leurs foyers avec la déception, une déception d’autant plus grande que certaines personnes avaient essayé de contrecarrer la propagande de la compagnie dans certains médias en montrant les incohérences pendant une semaine.
Une cible : la diaspora comorienne
Les gens qui ont été escroqués ont vraisemblablement tous pris leurs billets sur le site internet monté à cet effet, bien que cela était aussi possible par téléphone. Le site, qui est toujours en ligne, ne paie pas de mine et c’est un des éléments qui a rendu méfiants les internautes qui ont dénoncé dès le départ l’escroquerie. On n’y trouve aucune identité, d’aucune société ou personne. Aucune adresse physique, aucun e-mail, aucun numéro de téléphone. Et des fautes de français partout. Dès la page d’accueil, sur une image paradisiaque représentant une plage et des cocotiers, on peut lire : « Vols direct depuis Paris et Marseille vers les Comores » (sic). Puis, les dates des départs à 1100€ et les retours au même prix, soit un aller-retour pour 2200€. C’est même plus cher que les tarifs d’Ethiopian Airlines. Le seul élément annoncé intéressant pour les Comoriens de la diaspora est le vol direct, sans escale.
En faisant défiler la page d’accueil, au bout, il y a « le mot du Président », Mohamed Maoulida, « Président Directeur Général, Conseiller auprès de l’OHADA ». L’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) est là pour rassurer le potentiel client. Le PDG explique dans ce court texte qu’il réfléchit au montage de cette compagnie « depuis plusieurs années ». Il confirme que la cible visée est la diaspora comorienne installée en France, même s’il fait une vague promesse d’un développement du tourisme. Il évoque des « partenaires » et affirme que la « compagnie bénéficie d’une flotte de 12 avions ». Il annonce enfin qu’au bout de cinq mois, il entend étendre sa compagnie en Afrique et même en Europe. Rien que cela.
Des doutes sur une société inexistante
Qui sont ces partenaires évoqués par le PDG ? Où sont basés les 12 avions à portée internationale ? Mohamed Maoulida garde soigneusement ses secrets.
Pourtant, même s’il s’offre les services de certains médias comoriens sur internet, le caractère peu sérieux de la compagnie est révélé dans une vidéo qui était censée en faire la promotion. En effet, Mohamed Maoulida fait la promotion de sa compagnie dans un bureau qui est en fait une salle de fête connue à Marseille, tandis que le « journaliste » annonce que c’est la première fois qu’un Comorien ouvre une agence de voyage, ce qui, évidemment, est un mensonge.
Dans cette vidéo de Comores-Comornews du 22 juillet, Mohamed Maoulida se présente comme expert-comptable français, originaire de Tsinimoichongo. Il joue sur la sensibilité des Comoriens et leur demande, pour une fois, dit-il, d’avoir confiance en un Comorien comme eux. Aidé par le « journaliste », le fameux Thuram, qui se dit lui-même heureux de la création d’une telle compagnie, il appelle les Comoriens à ne pas avoir un mauvais cœur et ne pas casser son initiative par jalousie. Il ajoute qu’il y a beaucoup de conditions avant d’amener un avion aux Comores, et notamment l’autorisation de l’ANACM. Cela devait rassurer ses clients. Malheureusement pour lui, le 24 juillet, deux jours avant le vol inaugural, l’Agence nationale de l’Aviation civile et de la Météorologie (ANACM) sort un communiqué affirmant : « à ce jour, aucune autorisation n’a été délivrée à Comoros Airlines pour effectuer des vols charters en provenance de la France vers les Comores et vice-versa ». De plus, l’ANACM apprend au public que la compagnie n’a même pas entamé « le processus de certification » lui permettant de poser un avion aux Comores. À deux jours du premier vol, comment alors ne pas parler d’une arnaque ou d’une escroquerie ?
Lancer une compagnie ne s’improvise pas
Les Comoriens qui dans les réseaux sociaux étaient perçus par certains comme manquant de patriotisme ou jaloux parce qu’ils demandaient la prudence se trouvaient ainsi confirmés dans leurs craintes.
Parmi eux, Boina Houssamdine dont les twitts sur la culture et l’histoire comoriennes sont très suivis sous son pseudo @MakuaBH. Il a senti l’arnaque depuis le début et malgré les attaques personnelles, il a continué à argumenter contre une compagnie annoncée cinq jours avant le vol inaugural. « Pour une nouvelle compagnie aérienne, il faut au minimum des moments de publicité et marketing pour se lancer dans une telle aventure. La compagnie nous était totalement inconnue ». Le lanceur d’alerte était ensuite frappé par « l’absence d’informations utiles concernant ladite compagnie, sur l’existence juridique de la société ». Il s’était posé les bonnes questions auparavant : « On ne savait pas où se tourner pour de simples informations ou en cas de problèmes. On n’avait aucune information sur son capital de lancement ni sur les investisseurs. Lancer une compagnie aérienne ne s’improvise pas. »
Avec Comoros Airlines, les Comoriens de la diaspora n’en sont pas à leur première désillusion. Pourquoi cela marche à chaque fois ? Boina Houssamdine explique cela par le désespoir. « Les gens en ont marre de la cherté des billets, les escales et les galères des voyages entre la France et les Comores. On nous a tant fait de promesses dans ce domaine au point que le premier à nous annoncer un projet de compagnie aérienne, on ne pose pas trop de questions. On a tendance à baisser la garde et oublier les cas d’arnaques des deux dernières décennies. L’État comorien a aussi sa part de responsabilité, si les promesses de lancement d’une compagnie aérienne nationale avaient été tenues, on n’en serait pas là. »
Le retour de Mohamed Maoulida
L’État a aussi sa part de responsabilité dans le fait que pour les hommes qui sont au pouvoir aujourd’hui, à commencer par le chef de l’État, Mohamed Maoulida n’est pas un inconnu. En 2000, il était même présenté comme un proche du couple présidentiel (Azali n’avait pas encore été élu, il venait de faire le coup d’État d’avril 1999). Cette proximité avec le pouvoir fait qu’il a été nommé Conseiller à l’Ambassade des Comores. C’est dans cette Ambassade ou dans un des appartements de l’État comorien que Mohamed Maoulida a séquestré un notaire français et lui a extorqué près de 160 millions de francs français en plusieurs chèques. Cette affaire le mènera en prison, comme l’un de ses complices, Laurent Van Pottalsberghe, qui tentera de récupérer 70 millions d’un des chèques volés au notaire. C’est le même Laurent Van Pottalsberghe qui sera tué à Mwali avec d’autres mercenaires dans une tentative de coup d’État le 19 décembre 2001.
En 2009, il revient au pays, tout le monde semble avoir oublié le coup de l’Ambassade des Comores et il inaugure un cabinet d’expert-comptable en présence de deux ministres du président Mohamed Sambi (Kamalidine Affraitane et Mohamed Larif Oukacha) et même l’Ambassadeur de l’Afrique du Sud et le premier Conseil de l’Ambassade de France.
En 2021, il est chargé par le Gouvernement de faire un audit sur la vente des passeports sous Mohamed Sambi, travail pour lequel il n’aurait pas rémunéré jusqu’à aujourd’hui. Mais, il est nommé Directeur Général Adjoint de la SNPCF (Banque postale), et est démis de ses fonctions le soir même, sans doute après que des cadres aient rappelé qui il était.
Mohamed Maoulida, qui se plaisait à rappeler dans la vidéo de ComorNews qu’il est de nationalité française et qu’il a fait ses études en France, risque donc gros en France, si des plaintes sont déposées pour escroquerie. Selon un témoin, la police française était à l’aéroport et a posé des questions aux clients de Comoros Airlines.
C’est peut-être pourquoi, dès le soir du 26 juillet, un SMS est envoyé aux clients qui n’ont pas pu partir pour leur annoncer qu’ils allaient recevoir des billets pour embarquer sur Ethiopian Airlines le vendredi 28 juillet. Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils aient déjà une place sur des vols retour.