Le secrétaire de Rédaction du journal Al-Watwan revient sur deux crises qui touchent actuellement les journalistes comoriens : l’affaire du discours du Syndicat national des journalistes des Comores (SNJC) aux vœux du chef de l’État et celle des dissensions au sein de la rédaction d’Al-Watwan. Deux affaires qui touchent presque les mêmes acteurs et qui interrogent au-delà même des journalistes, comme nous le montre la prise de position de l’Ambassade de France et du Représentant de l’UE dans une procédure judiciaire en faveur de ceux qui ont lancé l’affaire des attouchements et agressions sexuelles à l’ORTC, sans avancer aucune preuve pour le moment. Comme à son habitude, Abdillah Saandi Kemba parle sans fioritures, sans gants et sans masque.
Propos recueillis par MiB
Masiwa – Vous avez publié avec une partie des journalistes d’Al-Watwan un communiqué qui attaque un autre texte signé « La Rédaction », faut-il comprendre que le premier texte n’a pas recueilli l’avis de tous les journalistes ?
Abdillah Saandi Kemba – Le premier texte a été publié sans aucune concertation. Il y a eu une rupture de la tradition qui a été toujours la nôtre d’échanger sur toute question qui concerne la rédaction. C’est justement cette rupture qui nous a poussés à rappeler certains à l’ordre. La rédaction d’Al-Watwan n’est pas une chasse gardée pour un groupe de personnes. Quand on travaille ensemble, on agit ensemble. Le contenu du communiqué n’a fait l’objet d’aucune consultation. Nous sommes dans une entreprise, il y a d’autres personnes qui ont leurs idées, il faut les respecter et les associer dans les décisions. La pensée unique ou la dictature de la pensée n’a pas sa place dans une entreprise comme la nôtre.
Masiwa – Est-ce que le groupe qui a sorti le premier communiqué n’a pas eu raison de s’élever contre les propos de Belou ?
ASK – Les propos du secrétaire général de la CRC sont discutables. C’est un responsable d’un parti politique qui a dit ce qu’il pensait sur le fonctionnement d’Al-Watwan. Mais est-ce qu’on était obligé de répondre ? Il a lâché des mots qui peuvent heurter certaines sensibilités, je l’admets. Mais est-ce qu’on a pris le soin d’analyser le fond ? C’est ce débat-là qui devrait nous intéresser. Il y avait une autre manière de réagir. On pouvait, par exemple, protester en saisissant officiellement le ministre de l’Information ou le président de la République sans que cela soit exposé à la place publique. Al-Watwan est un média de service public, c’est un organe d’État, financé par l’État, qui est sous les ordres d’un gouvernement. Il y a une évidence que certains ne veulent pas admettre. Plus de 80% du contenu parle de l’action gouvernementale. Et cela date depuis les années 1990. Mais certains ont un problème avec la vérité. Ce que nous devons faire, c’est de nous battre pour assurer la diversité des opinions, équilibrer l’information, permettre à toutes les autres tendances de s’exprimer. Et nous le faisons. Je rappelle que lors des dernières élections, tous les candidats ont eu droit à un traitement équitable. Aujourd’hui, nous assurons la couverture des évènements des forces de l’opposition dans le respect de la ligne éditoriale du journal.
Masiwa – Qu’est-ce qui oppose les deux camps à Al-Watwan ?
ASK – Je l’ai indiqué plus haut. Il y a eu une démarche unilatérale engagée par un groupe de personnes. Cela a conduit à cette réaction d’un autre groupe pour contester la forme et demander à ce que les décisions de la Rédaction soient prises de façon consensuelle. Je pense qu’aujourd’hui, l’affaire est close. Désormais, il n’y a pas deux camps. Il n’y a qu’une seule et unique rédaction d’Al-Watwan. Nous estimons que cet épisode a pris fin. Nous continuerons à travailler et à parler d’une seule voix. Tout est derrière nous.
Masiwa – Vous étiez déjà opposé à la présidence du Syndicat des Journalistes, après le discours de vœux de la presse au chef de l’État ?
ASK – Moi, personnellement, j’ai été choqué par la tonalité du discours, car il y a un protocole à observer quand on s’adresse au président de la République. Oui, il y a eu une opposition. Je suis de ceux qui se sont opposés à cette manière de protester. On nous a parlé d’un problème d’attouchement présumé à l’ORTC. Et on vient l’exposer au chef de l’État alors qu’aucune enquête n’en a attesté la véracité. Il y a des instances à saisir et des étapes à franchir avant d’exposer une affaire pareille devant la plus haute représentation de la République. Il fallait d’abord saisir la direction de l’ORTC, demander l’ouverture d’une enquête interne pour identifier le coupable éventuel. Si cela n’aboutit pas, il fallait saisir le CNPA ou le ministère de tutelle. Si cela n’aboutit pas, porter plainte devant le parquet de la République. Et si cela ne mène à rien, impliquer la Commission nationale des droits de l’Homme. Et puis si malgré tout, cela n’aboutit pas, saisir le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, lui demander d’intervenir pour faire la lumière sur l’affaire. Et, peut-être, se tourner vers le chef de l’État si toutes les démarches restent infructueuses. Mais, aller se plaindre devant le président sur une histoire d’attouchement avant même qu’une enquête ne le prouve, c’est de la pure légèreté. Le syndicat dit détenir des preuves, nous demandons au bureau de se constituer partie civile. Et, selon mes dernières informations, le syndicat n’a porté aucune plainte. C’est l’ORTC et la personne accusée qui ont saisi la justice. Les auditions sont en cours. Je pense que l’affaire doit aller jusqu’au bout.
Masiwa – Certains disent que vous aviez déjà envoyé un discours à Beit-Salam avant que la présidence du Syndicat n’envoie le sien ?
ASK – J’ai rédigé le discours après une ébauche qui m’a été envoyée par le secrétaire général du syndicat en la personne de Chamsoudine Mhadjou. Nous nous sommes convenus que le discours sera prononcé par le syndicat. Mais il s’agit d’un discours de la presse, pas du Syndicat. Et la presse, ce sont les médias, le régulateur et les organisations professionnelles dont fait partie le syndicat. Je voulais que tout le monde se retrouve dans le discours. Je l’ai envoyé à des responsables des médias pour qu’ils puissent savoir le contenu, car il s’agit bien des vœux à la presse et non des vœux au syndicat des journalistes. Il n’y a eu aucun retour. J’ai estimé que le discours allait être prononcé tel que nous l’avons fait. Mais, une fois à Beit-Salam, j’ai vu un rajout de deux paragraphes dont l’un évoquait ces attouchements. J’ai immédiatement réagi et demandé à ce qu’on n’en parle pas. Mais c’est le contraire qui s’est produit. J’ai été scandalisé, car c’est l’image de tout un corps qui a été trainée dans la boue. Cela a viré au ridicule.
Masiwa – Qu’est-ce qui vous a déplu dans ce discours ?
ASK – D’abord, le ton. Ensuite, l’histoire portée à la connaissance du président alors qu’aucune enquête n’a été menée pour confirmer la véracité des faits et la sincérité des personnes qui en ont parlé au syndicat. Il y a eu de l’amateurisme. On ne jette pas une personne en pâture sans enquête. Et même après une enquête, il y a d’autres voies de recours pour se défendre, il y a même des cas d’erreurs judiciaires. On voit tous les jours des personnes accusées injustement. Il fallait s’assurer de la véracité des faits et porter plainte contre la personne. Et puis la présomption d’innocence est un principe qui doit être respecté. Mais certains se laissent dominer par la présomption de culpabilité. C’est dommage.
Masiwa – Qu’est-ce qui vous gêne dans le fonctionnement du Syndicat ?
ASK – Ce qui me gêne, c’est l’amateurisme dont font preuve certains responsables du syndicat des journalistes. Ce qui me gêne, c’est cet esprit de copinage qui guide les responsables du syndicat, jusqu’à le transformer en club d’amis. Ce qui me gêne, c’est cette absence de vision pour poser les vrais problèmes des journalistes et en dégager des solutions graduelles. Ce qui me gêne, c’est de croire que quand on est président d’un syndicat, on peut décider de tout et sur tout sans aucune consultation.
La présidente du syndicat, Faïza Soulé Youssouf, a publié un texte sur son propre mur Facebook suite aux propos de Belou, c’est son compte privé. Elle est libre d’écrire ce qu’elle veut sur son mur. Mais c’est presque le même contenu utilisé dans le communiqué officiel du syndicat des journalistes comme si on doit suivre tout ce qu’elle pense. C’est un scandale. Les principes de transparence et d’objectivité doivent être de mise au sein d’un groupe. Le syndicat des journalistes n’appartient pas à Faïza Soulé Youssouf. Lorsqu’on est chef d’un groupe, il faut être à la hauteur des personnes qu’on représente, ne pas les mêler dans ses propres humeurs et surtout les respecter en restant digne et droit, et en ne confondant pas ses humeurs avec celles des autres. On passe sous silence les vrais problèmes des journalistes : problème de statut, problème de vie, problème de formation, problème de sécurité juridique, problème de salaires, problème de couverture sanitaire…