L’île de Mayotte formait avec les trois autres îles de l’archipel une seule entité administrative, les Comores jusqu’à la déclaration unilatérale d’indépendance le 6 juillet 1975, après la décision du gouvernement français de conditionner l’indépendance à l’élaboration d’une constitution acceptée île par île, décision prise par la puissance colonisatrice après la consultation du 22 décembre 1974, consultation souvent évoquée par certains journalistes comme étant un référendum d’autodétermination.
Après avoir subi l’humiliation d’une déclaration unilatérale d’indépendance, à la sortie du Conseil des ministres du 8 juillet 1975, le gouvernement français a décidé de se maintenir à Mayotte. Depuis, dans le cadre français, l’île est passée de Territoire d’outre-mer à département français et territoire ultrapériphérique de l’Europe. Mayotte est aussi perçue aujourd’hui comme un eldorado au large de l’océan Indien, eldorado dont le lagon est devenu un cimetière marin.
Les Comores indépendantes n’ont pas cessé pour autant de revendiquer Mayotte auprès des Nations-Unies et de la France. Cette revendication est assumée par ses artistes et intellectuels. Elle s’exprime, s’expose et s’invite sur les scènes artistiques et dans les espaces publics nationaux et parfois internationaux, et dans les débats publics sur les médias locaux et parfois aussi internationaux. Et aujourd’hui, la revendication se fait massivement dans les réseaux sociaux. Le mot d’ordre est simple, mais difficile à saisir : « Mayotte est comorienne et le restera à jamais ». Cette revendication a abouti à plusieurs résolutions de l’Assemblée Générale des Nations-Unies sur la « question de l’île comorienne » de Mayotte. Les Comoriens s’appuient sur ces résolutions pour affirmer que Mayotte est comorienne et que la France viole les résolutionsde l’ONU, dont la dernière datant de 1994. Les Nations Unies, à travers 14 résolutions votées entre le 21 octobre 1976 et le 28 novembre 1994 (il y en a d’autres avant et juste après la déclaration d’indépendance), réaffirment la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur l’île de Mayotte. Cette République fédérale islamique des Comores est devenue entre-temps l’Union des Comores.
Un eldorado devenu un cimetière
Malgré les carences au sein de l’ensemble français, Mayotte bénéfice de certaines infrastructures et équipements par la France. Cela attire beaucoup de Comoriens, ou disons simplement qu’elle est très convoitée. Des Comoriens, des Malgaches et même des Africains du continent s’y rendent quotidiennement suivant une voie jugée irrégulière et clandestine, à partir de petites vedettes appelées kwasa-kwasa, et au péril de leur vie. Chaque année on recense plusieurs naufragés. Ces accidents au large de Mayotte ont fait de son lagon un cimetière géant dans l’océan Indien, au vu et au su du monde entier.
Une grande partie des naufragés vient de l’île d’Anjouan, beaucoup ont péri en voulant s’y rendre, surtout depuis que les circulations ont été limitées par ce qu’on appelle « le visa Balladur » (1995). Dans presque toutes les familles d’Anjouan, on recense des deuils, presque au quotidien. Toutefois, la population anjouanaise ne renonce pas à faire cette traversée. Les Anjouanais ont même inventé une phrase dramatique et drôle : « Il vaut mieux plonger et être dévoré par un requin que de rester aux Comores indépendantes ».
Anjouan est l’île la plus touchée par la pauvreté dans l’archipel des Comores. Ceux qui ont réussi la traversée aident beaucoup leurs familles qui sont restées sur l’île. Certains vont jusqu’à dire que la présence de la France à Mayotte est une bénédiction pour l’île d’Anjouan parce qu’autrement la misère et l’ignorance auraient anéanti l’île. En écoutant les Anjouanais sur la question de Mayotte, on se demande comment serait cette île si Mayotte n’avait pas choisi de rester sous le giron français pour que cet eldorado soit là juste à côté. « L’île française de l’archipel des Comores », comme elle est nommée, est devenue pour beaucoup de Comoriens d’Anjouan, l’île de l’espoir, l’île du Droit, l’île de l’équité. Mais, certains dénoncent la présence de la France à Mayotte par fierté et patriotisme, en qualifiant Mayotte de « lâche » et de « fainéante », profitant des miettes que leur donne cette ancienne puissance coloniale afin que celle-ci continue de s’ingérer dans la gestion politique de l’ensemble de l’archipel.
Néanmoins, Mayotte ne cède pas aux attaques et aux réclamations de ces Comoriens, qui dénoncent au nom du Droit international, la présence illégale de l’administration de la France sur une terre comorienne. Pour les Mahorais, cela n’est pas une revendication légitime de la part des Comores. Ils disent, en invoquant les conflits insulaires, l’Histoire mouvementée de l’archipel et la protection de la France comme puissance mondiale, arguant du fait que c’est leur choix, qu’ils sont fiers d’être Français, en toute légitimité.
La situation actuelle de Mayotte inquiète les Anjouanais qui sont sur l’île, et à Anjouan. La population sentait déjà les revers de cette crise depuis l’annonce de l’opération Wuambushu. L’ambiance festive durant ces derniers jours du ramadan n’était plus au même rythme que les années précédentes. On ne voyait plus la foule baignant dans les soldes comme d’habitude dans les rues de Bazmini, une ville commerçante située au centre de l’île. On n’observait plus le phénomène dans les rues commerçantes de Mutsamudu, chef-lieu d’Anjouan. Or, les soldes sont une coutume, celui des bains de foule durant le ramadan sur l’île d’Anjouan. Tout cela témoigne de l’inquiétude régnant sur l’île, même dans les échanges téléphoniques et dans les réseaux sociaux.
Ceux habitués à recevoir les aides financières et matérielles venant de Mayotte n’ont rien reçu cette fois-ci, parce que ceux qui sont censés les leur envoyer sous forme d’aide à la famille n’ont pas la tête à la fête de l’Aïd Al-Fitr ni la fête à autre chose que ce que leur réserve cette fameuse opération Wuambushu. Les structures de transfert d’argent comme Ria, Western Union, MoneyGram, les MECK ont vu leur clientèle diminuer progressivement durant les derniers jours du mois de ramadan. D’habitude, ces institutions financières sont toujours envahies et témoignent de la circulation d’argent sur l’île durant cette période.
Le port de Mutsamudu n’est plus embelli par les accueils joyeux de la population lorsque les bateaux de la société SGTM accostent. Cette société, basée à Mayotte, est la seule à faire le trajet entre les îles de l’archipel indépendantes et l’île sous l’administration française. Elle transporte les voyageurs réguliers, mais surtout les colis divers et variés qu’emmènent de Mayotte les Anjouanais. À chaque accostage, les familles se précipitent vers le port pour récupérer leurs voyageurs, les colis envoyés par les proches. La masse est visible sur le paysage du port de Mutsamudu. Ces derniers jours, le nombre a considérablement diminué puisque les bateaux transportent plus de clandestins souvent abandonnés à leur sort dès leur arrivée au port.
Cette diminution de clientèle dans les structures financières et l’augmentation de la population anjouanaise chassée de Mayotte annoncent une crise économique et sociale durant les prochains mois, alors que s’approchent les élections présidentielles et des Gouverneurs des îles. Que dira Anjouan aux futurs prétendant au poste de Gouverneur pour être élu ? Que dira Anjouan à l’actuel Président pour sa réélection ? Que nous dira le Président en exercice de l’Union Africaine pour sa réélection à la tête du pays ? La date du 24 avril annonce des peines beaucoup plus lourdes aux familles sur l’île d’Anjouan. Quelles seront les peines pour les politiques de l’île et de l’État dans cet avenir proche ?