Par MiB
Les Rapports des États-Unis en matière de Droits de l’Homme (2021) sont consultables en ligne. Ils sont accablants pour le gouvernement comorien. Les Américains relèvent un certain nombre d’infractions aux droits de l’homme et à l’état de droit aux Comores depuis 2019 et la réélection contestée d’Azali Assoumani.
Les États-Unis d’Amérique ont publié sur internet en version anglaise (une traduction française est disponible) les « Rapports nationaux 2021 sur les pratiques en matière de droits de l’homme : Comores ». Ces rapports sont publiés chaque année pour chaque pays du monde par l’administration américaine et permettent d’avoir une vision globale sur le respect des droits de la personne.
Les rapports mis en ligne comptent sept sections. Nous nous sommes intéressés aux thèmes suivants : « Respect de l’intégrité de la personne », le « Respect des libertés publiques » « liberté de participer au processus politique » et « Corruption et manque de transparence au sein du gouvernement ».
L’illégitimité du pouvoir
Le rapport revient sur les conditions des élections présidentielles et des gouverneurs de 2019. Ce sont les élections qui ont permis au président Azali de prolonger son mandat jusqu’en 2024 alors qu’il devait s’arrêter en 2021. Le rapport note que ces élections ne se sont pas déroulées de manière régulière. Dès le début on peut lire : « les élections présidentielles de 2019 n’ont pas été libres et équitables, et les observateurs internationaux et nationaux ont noté que l’élection avait été marquée par d’importantes irrégularités. L’opposition n’a pas reconnu les résultats en raison d’allégations de bourrage d’urnes, d’intimidation et de harcèlement. »
Nous retrouvons cette même idée un peu plus loin. « La Cour suprême a déclaré Azali Assoumani vainqueur de l’élection présidentielle avec 59 % des voix. Ces élections n’étaient ni libres ni équitables, et les observateurs internationaux et nationaux ont noté que l’élection avait été marquée par d’importantes irrégularités. » Une vérité que plus personne n’ose affirmer clairement ni au sein des organisations internationales (ONU, Union africaine), ni dans les milieux diplomatiques, ni au sein des rédactions de la presse nationale.
Les abus des forces de sécurité
Le deuxième point important de ces rapports concerne les abus des forces de l’ordre. Les rapporteurs américains rappellent que des abus ont été commis par les policiers, les gendarmes et l’armée et que les auteurs ne sont presque jamais jugés, même s’ils ont pu être appréhendés. « L’impunité pour les violations des droits de l’homme et la corruption était généralisée. Bien que le gouvernement ait parfois arrêté ou renvoyé des fonctionnaires impliqués dans des abus ou des actes de corruption, ils ont rarement été jugés. », peut-on lire dans le résumé placé au début du rapport.
« L’affaire Bapale » symbolise cette impunité couverte par les autorités politiques. Elle est résumée en quelques mots dans les rapports : « le gouvernement ou ses agents auraient commis un meurtre arbitraire ou illégal (…) Le gouvernement s’est engagé à enquêter sur l’affaire, mais n’a rendu aucun résultat public à la fin de l’année. » À l’époque, le gouvernement avait annoncé une enquête. Depuis, l’enquête n’a même pas débuté et les protagonistes de cette affaire ont été libérés, il y a quelques semaines.
L’assassinat de Hakim Bapale confirme aussi, s’il le faut, le recours à la torture de la part des forces de l’ordre. L’administration américaine avait déjà établi ce fait dans le précédent rapport. Elle le confirme cette année avec l’assassinat du major Hakim Bapale. « En avril, la famille de Hakim Bapale a affirmé que son cadavre présentait des signes de violence physique flagrante après sa mort en garde à vue ».
La violence des forces de l’ordre s’est également exercée contre des journalistes qui suivaient ou tentaient de suivre une manifestation. « En septembre, les journalistes Hachim Mohamed et Oubeid Mchangama ont rapporté dans le journal Masiwa Ya Komor que des gendarmes les avaient agressés après leur arrestation lors d’une manifestation ». Ils seront libérés sans qu’aucune enquête ne soit ouverte.
Justice : corruption, arrestation et détention arbitraire
Les mésaventures de ces deux journalistes ne sont pas un cas à part. « De nombreux rapports font état de personnes détenues temporairement pour avoir organisé des manifestations politiques, exprimé leurs opinions politiques ou critiqué le gouvernement », affirme le rapport en citant plusieurs cas. La plupart des personnes citées sont détenues pendant des années sans jugement. À l’instar de l’ancien président, Ahmed Sambi, le temps de détention provisoire a dépassé les délais prévus par la loi.
À divers endroits du rapport, il est dit que les autorités ont « généralement » respecté l’indépendance de la Justice et les ordonnances. Une affirmation qui peut étonner tout observateur de la vie politique aux Comores, tant l’emprise de l’exécutif sur la justice est grande. Il suffirait de citer l’ordonnance prise par un juge pour permettre au président Ahmed Sambi d’aller se soigner et qui a été annulée par le gouvernement.
Toutefois, en même temps que ces rapports prétendent qu’il y a une indépendance de la justice comorienne envers l’exécutif, ils rajoutent qu’elle est corrompue : un « système judiciaire indépendant, mais corrompu » ou encore : « L’incohérence judiciaire, l’imprévisibilité et la corruption étaient des problèmes. »
Mais, pour ces rapports américains, la corruption est à tous les niveaux, dans toute la société : « Le personnel diplomatique résident, les Nations Unies et les agences humanitaires ont signalé que la petite corruption était monnaie courante à tous les niveaux de la fonction publique et des forces de sécurité. Les hommes d’affaires ont signalé la corruption et un manque de transparence. Les citoyens ont payé des pots-de-vin pour échapper aux réglementations douanières, pour éviter d’être arrêtés et pour obtenir des rapports de police falsifiés. »
De nombreux prisonniers politiques
La situation des prisonniers politiques est une autre preuve de la soumission de la justice comorienne à l’exécutif qui a éliminé toute opposition politique. Le rapport a l’air de prendre au sérieux uniquement les cas de l’ancien président Ahmed Sambi et celui du Gouverneur Abdou Salami. Les deux hommes, originaires d’Anjouan, ont été arrêtés sur instructions du gouvernement avant l’intervention de la justice pour justifier leur mise en détention.
Les rapports évoquent tout de même les cas des autres prisonniers politiques et surtout montrent le caractère arbitraire de leurs arrestations et de leurs condamnations. « Des rapports périodiques ont fait état de militants politiques détenus temporairement sans être arrêtés ni inculpés d’un crime. En janvier, trois manifestants planifiant ou participant à un rassemblement ont été condamnés à des peines de plusieurs années. »
Les rapports insistent aussi sur le cas d’un autre prisonnier politique : Inssa Mohamed dit Bobocha. Les Américains parlent de pression bilatérale sur Madagascar pour que ce pays accepte de prendre des mesures « illégales » visant à l’expulser vers les Comores.
« En avril 2020, les autorités comoriennes ont accusé Mohamed de complot en vue d’assassiner le président Azali Assoumani. Suite aux pressions exercées par de hauts responsables du gouvernement comorien, le gouvernement malgache l’a renvoyé dans le pays en juillet 2020, et il a été incarcéré et inculpé. Mohamed s’est échappé en décembre 2020 et est retourné à Madagascar. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) lui a accordé le statut de réfugié. Suite à de nouvelles pressions, en janvier, les autorités malgaches ont de nouveau arrêté Mohamed et l’ont renvoyé dans le pays. »
La Liberté d’expression inexistante
Il n’y a plus de liberté d’expression aux Comores depuis 2018. Les rapporteurs notent par exemple que des gens ont été arrêtés pour avoir critiqué le président Azali. Ils parlent également d’« un niveau croissant de restriction et d’autocensure en raison des représailles du gouvernement ». La liberté de réunion pacifique a été supprimée et le rapport le montre à travers plusieurs exemples, dont celui des jeunes Mabedja venus de France pour organiser une manifestation pacifique et dont les leaders ont fini en prison.
Les journalistes restent depuis plusieurs années les victimes les plus évidentes de la suppression de la liberté d’expression. Les rapports sont explicites à ce propos : « Certains journalistes ont été victimes de violence ou de harcèlement de la part des autorités gouvernementales en raison de leurs reportages. »
Le rapport évoque la mort mystérieuse d’Ali Abdou, président du syndicat des journalistes. L’affaire a été classée sans suite par le Procureur alors que la famille affirme que le jeune journaliste avait des traces d’agression sur le corps.
Les rapports évoquent les nombreuses arrestations de journalistes, notamment celles d’Oubeid Mchangama de « FCBKFM » et de Hachim Mohamed de « Masiwa ». Les deux journalistes ont été violemment arrêtés pendant la tentative de manifestation des jeunes Mabedja. Deux journalistes français venus filmer la même manifestation ont également été refoulés dès leur descente d’avion à Hahaya quelques jours auparavant.
La conséquence de cette répression dirigée contre les journalistes est l’autocensure dans la plupart des rédactions. « Certains journalistes ont pratiqué l’autocensure en raison de la violence et du harcèlement, et d’autres journalistes, craignant des représailles, ont autocensuré les discussions sur des questions politiques. », peut-on lire dans les rapports.
Les rapports qui s’arrêtent à l’année 2021 ne font pas état des conditions dans lesquelles certains des prisonniers politiques ont été jugés récemment, sans tenir compte des normes prévues par la justice comorienne, et condamnés de lourdes peines. Chacun s’attend à des libérations par voie de « grâces présidentielles », après la fin du ramadan.