Le 19 juin dernier, Estelle Youssouffa est devenue la députée de la première circonscription de Mayotte. Elle a bénéficié de la division de la droite républicaine au nord de l’île, mais c’est une victoire qu’elle préparait depuis plusieurs années à travers les combats sociopolitiques. Elle s’est inscrite dans la Commission des Affaires étrangères et européennes et dès sa première intervention a montré que son combat reste contre les Comores.
Par Nezif-Hadj IBRAHIM
Les conséquences de la décolonisation bancale des Comores avec l’amputation de l’île de Mayotte, jamais acceptée par l’ONU et par l’État comorien risque de revenir plus souvent à l’Assemblée nationale française avec la députée Estelle Youssouffa.
Mayotte française, une réalité qui interroge
Quarante-sept ans après l’indépendance des Comores, l’île de Mayotte n’est pas épargnée par les vicissitudes du sous-développement. D’ancienne colonie à département français en passant par le statut de collectivité territoriale, l’île connait a connu des mouvements sociopolitiques virulents. Depuis la départementalisation de l’île le 31 mars 2011, suite à une consultation de la population en 2009, les Maorais expriment toujours un sentiment d’insatisfaction. Le nouveau statut rend l’attachement à la France indéfectible, mais ne semble pas faire ses effets. Les Maorais revendiquent toujours plus d’égalité de droits en matière de protection sociale et sanitaire. Cela a abouti aux manifestations violentes de 2011. Le 12 juillet dernier, Younous Omarjee, député européen, fait un triste constat pour Mayotte. « Mayotte est la Région la plus pauvre d’Europe », lance-t-il. Quand on connaît les luttes que la population maoraise a menées pour prendre ses distances avec le reste de l’archipel en inscrivant son destin avec la France, il est légitime de s’interroger aujourd’hui. Les mêmes revendications ont été reconduites en 2016 et en 2018 donnant naissance au mouvement qui a permis à Estelle Youssouffa de faire ses premières armes en politique. Le mot d’ordre, « Dehors, les Comoriens ! », crié haut et fort a été suivi par plusieurs opérations de décasage. En effet, au projet « Mayotte française » s’est imposé un sentiment d’hostilité envers les Comoriens des autres îles, surtout de la part de certains politiques comme Estelle Youssouffa.
Une intellectuelle en politique
Estelle Youssouffa est née à Châtenay-Malabry en France d’un père maorais, militaire et d’une mère française et infirmière. Elle a passé son enfance et adolescence à Mayotte. Le bac en poche, elle entre à l’IUT de Tours où elle se forme au métier de journaliste avant de poursuivre en sciences politiques à l’Université du Québec (Canada). Elle mène ensuite une carrière de journaliste à LCI, TV5-Monde, Al-Jazeera English, BFM-TV.
Armée d’un discours politiquement insulariste, la députée réclame une Mayotte sans Comoriens qu’elle accuse de mettre à mal le développement de l’île. Une position politique qui nie les liens multiformes qu’entretiennent les îles de l’archipel des Comores depuis des siècles. Si beaucoup de péripéties ont secoué les relations entre les populations de l’archipel force est de constater que leurs relations sont fortement cousues par le sang et la culture.
Un leadership spontané ou averti pour une Mayotte diplomatique
Mayotte est devenue une région ultrapériphérique de l’Europe, mais elle a tout d’un pays du tiers monde. Pourtant, la présence des services publics français en fait un eldorado dans un océan de pauvreté. Elle reçoit donc chaque semaine une cinquantaine de migrants venus des autres îles de l’archipel, mais aussi de Madagascar et de l’Afrique de l’est.
Les « reconduites à la frontière » (selon les termes de l’administration française) sont fréquentes, mais elles n’empêchent pas une forte saturation de plusieurs quartiers illégaux dans l’ensemble de l’île. Depuis quelques mois la préfecture de Mayotte a entrepris de procéder à « une action publique de lutte contre l’habitat illégal ». Depuis le premier janvier 2022, la préfecture aurait détruit 381 cases. C’est en fait une initiative récupérée par la préfecture des mains de certains groupes qui avaient commencé à brûler ou détruire des cases de Comoriens.
C’est donc pour tenter de faire pression à l’État comorien à travers le gouvernement français qu’Estelle Youssoufa s’est placée dans la Commission des affaires étrangères. C’est dire que son fonds de commerce anti-Comores va s’accroître pendant les cinq ans à venir.
La première intervention d’Estelle Youssouffa à l’Assemblée nationale français
Elle a d’ailleurs eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet lors de la traditionnelle séance des questions au gouvernement le 12 juillet dernier. Alors que le sujet qui préoccupe les Français est le pouvoir d’achat, elle n’a pu s’empêcher de revenir sur les rapports entre la France et les Comores. La députée a soutenu que « l’afflux migratoire » vers Mayotte est « encouragé » sinon « orchestrée » par Azali Assoumani, le chef de l’État comorien et que c’est à cause d’elle qu’aucune politique publique, c’est-à-dire aucune action concrète de l’État n’est efficace. Elle s’est interrogée aussi sur l’accueil d’Azali lors du défilé du 14 juillet, alors que le président comorien a apparemment joué des coudes pour avoir une petite place. A l’invitation qu’elle fait à l’exécutif français à renoncer à ses relations bilatérales avec les Comores qui remettent en cause son « intégrité territoriale », la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères lui a répondu en soulignant la coopération qui existe entre les deux pays dans le cadre de la lutte contre la migration clandestine. La ministre a rappelé l’Accord signé en 2019 permettant aux Comores de recevoir la somme de 150 millions d’euros. Depuis cette année, les autorités comoriennes se sont engagées à permettre « une opération de reconduite de clandestins chaque jour » et à lutter contre « l’immigration clandestine » sur l’île de Ndzuani d’où partent les kwasa-kwasa.
Le discours de la nouvelle députée a été très bien accueilli par les Maorais présent dans les réseaux sociaux.