Les observateurs politiques avaient pensé qu’Azali Assoumani plaçait son fils au poste de Sécrétaire Général du Gouvernement, comme une sorte de Premier ministre qui devait diriger une équipe de jeunes qu’il a contribué à mettre en place. En fait, le chef de l’État comorien accorde par un décret à son fils des pouvoirs extraordinaires qui le placent aussi comme chef de toute l’administration et même des Gouverneurs des îles dites « autonomes ».
Par MiB
En 2021, Nour el Fath Azali est le conseiller privé de son père depuis deux ans. Cette année-là, il enchaine les interviews avec comme leitmotiv : place aux jeunes ! Il est interviewé par Yazid Ali Oubeidillah dans la Gazette en avril et en octobre par Nassila Ben Ali. Les deux journalistes passent pour être des proches du fils Azali, et tous les deux ont eu par la suite des promotions dans l’administration, le premier en devenant attaché de presse au ministère des Affaires étrangères et l’autre Directeur d’Alwatwan (jusqu’à la semaine dernière). Ils lui posent les bonnes questions pour qu’il puisse se mettre en valeur.
Les ambitions du fils
Dans l’interview réalisée par Nassila Ben Ali pour Alwatwan, il lui pose la question que tout le monde se pose depuis 2019 : « Certains milieux vous prêtent souvent des ambitions politiques, que le président serait en train de préparer pour vous mettre sur le devant de la scène… » Et il répond par une pirouette qui ne réussit pas à dissiper les craintes des Comoriens sur les ambitions du fils et les intentions du père : « … je ne puis m’empêcher de m’étonner de ce scénario digne de télé Novelas. Parce que s’il y a une chose dont je suis vraiment conscient, c’est qu’il y a beaucoup de personnes qui ont de la légitimité que moi, qui ont été là avant moi, et qui ont accompli beaucoup de choses par rapport à moi, que ça soit au sein du pouvoir ou dans celui de l’opposition. Je tiens à leur faire remarquer que les Comores ne sont pas une monarchie. » (sic).
Pourtant, presque trois ans après, il obtient de son père la mise au placard de quasiment tous ses anciens compagnons, la mise en place d’un « gouvernement de jeunes » ou de « renouveau » et sa nomination en tant que Secrétaire général pour gérer cette équipe.
Le poste de secrétaire général n’était qu’un poste administratif. Il a connu un renforcement permettant à son titulaire de pouvoir assister aux conseils des ministres sous la présidence d’Ikililou Dhoinine. Lorsque le neveu d’Azali Assoumani, Idaroussi Hamadi occupait le poste, il en avait modifié quelque peu les prérogatives de sa propre initiative se permettant par exemple de revoir les demandes d’un grand ministre qui partait en mission à l’extérieur ou même de mettre des notes aux ministres, comme s’ils étaient ses élèves.
Des élus et des ministres soumis
Pour son fils, Azali a voulu clarifier les choses. Nour el Fath Azali ne se contenterait pas d’un poste administratif. Et c’est par un simple décret que pour son fils le chef de l’État modifie les prérogatives du Secrétaire général en lui donnant des pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de tenir en laisse les ministres, les élus (gouverneurs des îles et les députés). Ainsi, tous les arrêtés des ministres, mais aussi des « Gouverneurs des Iles Autonomes » (sic) doivent lui être soumis avant publication « sous peine de nullité » (article 36). Il a ainsi le pouvoir de faire modifier des arrêtés et même de les refuser à des élus comme les Gouverneurs. Cela n’était pas prévu dans la Constitution. Et il faut se demander où réside encore la fameuse « autonomie des îles », tant les gouverneurs, à l’image d’Anissi Chamssidine faisant des pompes aux pieds d’Azali Assoumani sur le tarmac de l’aéroport d’Ouani, sont humiliés en permanence depuis 2019.
En effet, le décret signé par Azali Assoumani le 6 août dernier prévoit que le Secrétariat Général du Gouvernement reçoit les propositions de loi et les questions au gouvernement et les introduit en Conseil des ministres (article 4), ce qui suppose qu’il les examine auparavant et fait les observations avant les ministres.
Le décret va plus loin en proclamant que « le Secrétariat Général du Gouvernement est le point de jonction entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif », alors que précisément les démocraties, qu’elles soient présidentielles ou parlementaires, proclament la séparation nette entre les deux pouvoirs.
Le gouvernement est complètement pris en charge par le SGG. Que ce soit directement ou par l’intermédiaire du Secrétariat général du gouvernement, Nour el Fath Azali « coordonne l’action gouvernementale » et « évalue les réalisations des différents ministères » (article 2). N’est-ce pas le retour des notes pour les ministres ? L’article 39 semble le confirmer puisqu’il prévoit une évaluation tous les six mois des ministères et des sociétés d’État par le SGG. Il contrôle complètement le gouvernement. C’est lui qui préside le Conseil interministériel, certes avec le Ministre Premier, mais il a le pas sur ce dernier puisque c’est lui qui en fait le compte rendu au Président (article 5) et on voit mal comment un ministre pourrait s’opposer au fils du président muni de tant de pouvoirs dans une réunion. De plus, de sa seule initiative, il peut convoquer à tout moment des ministres dans des réunions informelles autour de sujets les concernant (article 6).
Il doit aussi « guider et orienter » les ministères (article 3), en contrôlant, par exemple, le calendrier des projets de loi (article 4).
Le contrôle de toute l’administration par le SGG
Il dispose pour ses missions d’un Chef de cabinet, sorte d’homme à tout faire (même lui lire les journaux), d’un secrétaire particulier et d’un chauffeur particulier (article 10) avec « au moins trois ans de service avec des hautes personnalités » (article 13, sic).
Il a également sous son autorité les chefs des six pôles (économie, social, transports, souveraineté énergétique, religion et régalien) de soutien au gouvernement. Ils sont certes nommés par décret du chef de l’État, mais sur proposition du SGG qui les affecte ensuite à leurs missions (article 16) et les licencie à sa guise, après avoir avisé son père (article 37). Il nomme également le chef des ressources humaines (article 19), le chef du Département juridique (article 20), le chef du Service des Études législatives, le chef du Département de la Communication et ses trois assistants (article 24), ainsi que le chef du Département du Journal Officiel.
Le SGG prend enfin en charge trois organismes importants de l’État (article 30) qui bénéficient de certains fonds, sans jamais être en faillite : le Commissariat Général au Plan, où Nour el Fath Azali a placé une de ses proches au sein du parti présidentiel (Najda Saïd Abdallah), l’Agence National du Développement du Numérique (ANADEN) où le Directeur qui était en poste pendant de nombreuses années et qui n’était pas engagé dans la politique a été remplacé il y a quelques jours, et enfin le Service du Parc Automobile de l’État. Si on peut considérer que les deux premiers organismes peuvent être des éléments essentiels dans la gouvernance, on peut se demander pourquoi rattacher un service comme le Parc Automobile de l’État au SGG. Et on ne peut s’empêcher de penser aux sommes colossales des passations de marchés qui se font discrètement dans ce service.
Il faut ajouter au contrôle de ces trois organismes que le SGG a à présent un « pouvoir hiérarchique sur tous les secrétaires généraux et les directions générales des ministères, ainsi que les directions générales des sociétés » d’État (article 34).
Le SGG est directement relié au Chef de l’État et n’a donc personne d’autre au-dessus de lui (article 7).
Ce transfert des pouvoirs vers ses enfants et d’autres membres de sa famille est révélateur d’un chef d’État qui sent qu’il n’a plus prise sur l’avenir, un homme qui vieillit et qui est conscient de sa fragilité, mais qui sait que s’il laisse le pouvoir lui échapper, il risque gros. D’autant que 2029, c’est demain et que le clan est à la recherche des moyens par lesquels il pourra se maintenir au pouvoir en privant d’une manière ou d’une autre l’île d’Anjouan de la présidentielle.