La polémique médiatique et médiatisée déclenchée par la manière « incorrecte » dont Fahid le Bled’Art a chanté l’hymne national à l’occasion de la célébration des 47 ans d’indépendance, le 6 juillet dernier, a rebondi encore une fois avec la conférence de presse organisée par l’association Uwanga dont les membres actifs ont échangé avec une trentaine de journalistes au Centre National de Documentation et de Recherche scientifique (CNDRS), le 19 juillet.
Par Hachim Mohamed.
« Le souci avec l’hymne national, c’est qu’on nous le fait chanter depuis belle lurette sans avoir la connaissance du texte officiel de ce chant de la nation. Une faille pédagogique qui a permis aux gens de « dénaturer » le contenu de son authenticité. À cette situation de désordre s’ajoute la variante de la langue comorienne, l’anjouanais que les cinq auteurs ont utilisé pour l’écrire. Vous voyez ce que ça peut faire comme incohérence dans l’appréhension du texte de l’hymne originel si on se permet de mettre un mot malgache ou un terme de shingazidja ou de shimwali dedans », affirme Salim Idjabou Youssouf, qui était l’animateur de cette conférence.
La question de l’inauthenticité du texte de l’hymne national n’a pas commencé avec le mot « dini » qui a été remplacé par le terme « ulimi » quand, de façon inattendue, nos compatriotes ont entendu la version chantée par Fahid le Bled’Art. Sous le président Djohar, il y avait déjà une polémique au sujet du rajout de l’expression « zi pangiha ». L’année dernière, par exemple, c’était le mot « katruwa » (éparpillement) qui avait remplacé le terme initial « katuha » (briller) avec l’interprétation en roue libre de la chanteuse Samra.
« ulimi mdzima » ou « dini ndzima » ?
Pour lever toute équivoque dans cette affaire, l’association Uwanga, dans le cadre de ses travaux, n’a pas touché le texte de l’hymne national en remplaçant tel mot par un autre ou en enlevant quelque chose dedans. Au départ, les membres actifs d’Uwanga ont collaboré avec des chercheurs et des linguistes qui ont épluché le texte du chant officiel.
« Sur la base des travaux de ces spécialistes qui ont fait des recherches sur l’hymne national et de leurs conclusions, nous avons décidé de réécrire le texte pour restaurer et sauvegarder la valeur des paroles chantées », a ajouté Youssouf.
Ensuite, des compatriotes d’Uwanga sont allés chercher Fahid le Bled’Art pour qu’il chante l’hymne comme il avait été conçu au départ.
S’agissant de la polémique soulevée par le remplacement l’expression « Dini ndzima » par « Ulimi ndzima », les conférenciers étaient d’accord pour dire qu’il appartenait à l’État de décider laquelle des deux formules doit être « validée » dans l’hymne national.
Uwanga : une fierté de l’identité comorienne
Dans la doctrine de l’association Uwanga, telle qu’elle a été exposée dans cette conférence de presse, les colonisations actuelles sont principalement culturelles.
Parmi les questions que soulève l’association, il y a celle de l’identité, de ce qui fait de nous des Comoriens. Une question que le public réduit souvent à : « Est-ce que nous sommes Africains ou Arabes ? »
Un membre actif de l’association Uwanga, Wadjih Abderemane a pris l’exemple d’un mets exquis comorien, le sambusa qui est concocté à partir d’éléments disparates tels que la farine, la viande, le sel, les épices… Pour lui, déclarer que nous sommes Arabes ou Africains est un contresens dans la mesure où nous pouvons dire que nous sommes faits comme des sambussa : sang africain, arabe… et autres.
Les membres d’Uwanga sont également revenus sur certains poncifs qu’on entend dans la société comorienne.
Dans les croyances comoriennes, il y a cette idée qu’il n’y a pas de valeurs internes que nous ne sommes rien et que seulement les Arabes et les Occidentaux sont quelque chose. Pour certains, la beauté, l’intelligence, les valeurs n’ont jamais été comoriennes, tout ce qui est appréciable, « vendable » est arabe ou occidental
Dans l’imaginaire collectif, les gens qui tombent sous le charme d’une femme ne parlent pas de sa beauté comorienne, mais de ses traits arabes. Pire, pour un pays musulman, pour tous, les prières ne sont pas acceptées si la personne qui demande la miséricorde de Dieu ne le fait pas en arabe, mais en langue comorienne. C’est aussi vrai quand il s’agit de la manière de s’exprimer, de la tenue vestimentaire, de produits agricoles et de tant d’autres choses qui ne valent que lorsque le « label » occidental ou arabe leur est accolé.
Pour l’association Uwanga, les problèmes de notre société résident dans le vécu, l’écriture authentique de l’histoire de Comores de sorte à permettre aux nouvelles générations de séparer le bon grain de l’ivraie et pour qu’elles puissent se déterminer. Pour les intervenants, il ne s’agit pas seulement de valoriser le patrimoine culturel national, il ne s’agit pas d’entonner un chant des racines, mais de constater une perte d’ancrage et de références, de reconnaître des droits linguistiques en demandant aux élus de ne pas dilapider le patrimoine humain.
Qui sommes-nous ?
Pour les Salim, Wadjih ou encore Ngazi, il est difficile de répondre à la question du « Qui sommes-nous ? ». Pour eux nous ne sommes pas Comoriens parce que nous parlons le shikomori ou parce que nous sommes nés de parents de nationalité comorienne.
La seule voie qui nous permet d’affirmer avec fierté et dignité que nous sommes Comoriens, c’est la culture, l’appropriation des biens ou des réalisations transmis collectivement par les ancêtres.
C’est ce qu’on appelle en langue comorienne utamaduni.
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