Le président Azali Assoumani a convié l’ancien gouverneur de Ngazidja et président du Conseil National de Transition (CNT), Mouigni Baraka Saïd Soilihi à une rencontre à Beit-Salam samedi matin. La démarche de celui qui a toujours refusé de reconnaitre Azali comme président, a surpris et choqué plusieurs membres de l’opposition et a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Les rumeurs d’un rapprochement entre Azali et Mouigni Baraka couraient depuis plusieurs années. À chaque mise en place d’un nouveau gouvernement, certains voyaient l’ancien Gouverneur parmi les ministres. Il y a quelques semaines, l’ancien député Oumouri Mmadi Hassani, un fidèle des fidèles, a été nommé par le gouvernement Secrétaire général de l’Assemblée de l’Union. Cela pouvait peut-être donner quelques indications quant au positionnement de Mouigni Baraka face au gouvernement actuel.
Une situation nouvelle qui réclame l’unité des partis
La rencontre a tout de même surpris beaucoup d’observateurs et ceux qui disent que Mouigni Baraka a rejoint Azali depuis deux ans, sans avoir d’éléments concrets peuvent enfin jubiler et dire qu’ils avaient raison.
C’est par une lettre émanant du Directeur de cabinet de la Présidence, Oumara Mgomri, en date du 9 septembre que Mouigni Baraka a été invité à aller rencontrer le président Azali. On se rappelle que c’est Azali lui-même qui avait signé la lettre invitant les partis d’opposition au Dialogue national inter-comorien. Le rendez-vous était fixé le 10 septembre quelques heures avant le départ d’Azali Assoumani pour l’Assemblée Générale de l’ONU.
À la sortie des discussions et après la photo entre Azali et Mouigni Baraka, ce dernier s’est exprimé devant quelques médias pour essayer de justifier sa présence à Beit-Salam. Il a rappelé que depuis les élections présidentielles marquées par la fraude à toutes les étapes, il a refusé toute rencontre avec Azali qu’il n’a d’ailleurs pas reconnu comme président élu. C’est ainsi que le CNT et quasiment toutes les autres organisations de l’opposition ont refusé de participer au Dialogue inter-comorien initié par le gouvernement en mars 2022.
Mouigni Baraka estime aujourd’hui que la situation a changé. La crise économique due à l’inflation a fait que les Comoriens ne trouvent même pas de quoi manger. Il a donc discuté avec Azali d’un cadre pour que « tous les enfants des Comores puissent réfléchir aux moyens de sortir de la situation née des événements de 2019 ». À l’entendre, il s’agit de trouver les moyens d’une réconciliation de tous les hommes politiques afin de débloquer la situation, mais aussi faire face à la crise économique dans l’unité.
Il avait oublié la question des prisonniers politiques qui a bloqué toute discussion avec le gouvernement jusqu’à maintenant. À une interrogation du journaliste Oubeid Mchangama, Mouigni Baraka apprend au public qu’ils ont bien parlé du sort des prisonniers politiques, mais qu’ils ont évacué la question pour qu’elle soit abordée dans les discussions qui seront engagées avec tous les partis.
Une majorité du CNT opposée à la rencontre
Mouigni Baraka a également prétendu avoir discuté avec ses compagnons du CNT avant de répondre à l’invitation. Pourtant, quelques minutes après sa sortie de Beit-Salam, deux poids lourds du bureau de la CNT réagissent contre la démarche.
Saïd Larifou, Vice-Président du CNT a longuement insisté sur le fait que la lettre d’invitation a été envoyée à Mouigni Baraka en personne et non le président du CNT. Par conséquent, pour lui, les paroles de Mouigni Baraka n’engagent que lui. Le parti Ridja qu’il préside reprend la même idée que son leader en ajoutant que le chef du parti RDC a eu une « une démarche solitaire ». Le RIDJA dénonce une « nième manœuvre du Colonel Azali Assoumani et cette fois-ci, avec la collaboration de l’ancien Gouverneur de l’île de Ngazidja M. Mouigni Baraka Saïd Soilihi. »
Un autre membre fondateur du CNT, Me Mahamoud Ahamada a affirmé que le Bureau du CNT n’a pas discuté avant le départ de Mouigni Baraka à Beit-Salam. Et il considère lui aussi que ce dernier a été invité à titre personnel et n’a engagé que sa personne.
Les organisations de l’opposition sont contre le dialogue avec Azali
Dans l’après-midi du dimanche, un communiqué du CNT daté de la veille et signé par le Vice-Président, Saïd Larifou et cinq autres membres du Bureau suspend le président Mouigni Baraka, « pour poursuivre, dans la transparence, la confiance et dissiper toute forme d’amalgame… le CNT suspend immédiatement Monsieur MOUIGNI BARAKA SAÏD SOILIHI de ses fonctions de Président du Conseil National de Transition. »
La lettre est signée par six membres du Bureau du CNT sur neuf. Outre Saïd Larifou et Mahamoudou Ahamada, les autres signataires de la suspension sont Hassani Hamadi, Hamidou Karihila, Youssouf Mohamed Boina et Mohamed Abdallah. Il manque donc trois membres à l’appel.
Masiwa a essayé de joindre Ali Mhadji, en vain. Mais, dans la délégation qui a accompagné Mouigni Baraka à Beit-Salam, chacun a pu apercevoir l’ancien bras droit d’Ali Hadji, Idi Boina, qui a été pendant longtemps prisonnier politique, avant d’être libéré sans jugement. Comme Ali Mhadji, il est issu du parti CRC du président Azali. Ali Mhadji est probablement favorable à cette rencontre et c’est sans doute pour cela qu’il n’est pas signataire du communiqué de suspension de Mouigni Baraka. L’autre opposant à cette réconciliation générale autour d’Azali est l’ancien député Ben Omar. Il pense que le dialogue avec Azali permettra de libérer les prisonniers politiques et notamment Ahmed Abdallah Mohamed Sambi.
Le troisième, c’est Achmet Saïd Mohamed. Interrogé par Masiwa, celui-ci affirme que la « rencontre de Mouigni Baraka et Azali est un non-événement ». Il s’appuie sur la situation de famine dans laquelle se trouve le pays et la répression qui s’abat sur nos familles et nos enfants à Mirontsi pour quelques grains de riz. « C’est à ce moment précis qu’Azali décide de créer une grande diversion. Et cette manœuvre de désespoir a apporté ses fruits puisqu’aujourd’hui l’opposition est en train d’assurer son service après-vente en se déchirant et s’accusant de tous les noms d’oiseaux. »
Et pour expliquer le fait qu’il n’est pas signataire de la lettre qui suspend Mouigni Baraka, il affirme « Je ne vois pas ce que peuvent apporter les suspensions et les menaces ou encore les insultes. Ça donne un spectacle de cours de récréation et je ne saurais me résoudre à ce spectacle. » Enfin, il « appelle toute l’opposition à avoir pitié de la population comorienne et à s’unir pour organiser de manière sérieuse le départ d’Azali Assoumani. Ce n’est pas le moment de tomber dans les pièges à peine voilés d’Assoumani Azali ».
Le moins que l’on puisse dire c’est que Mouigni Baraka Saïd Soilihi vient d’offrir à Azali un prétexte pour aller réclamer le soutien de l’ONU pour soi-disant rétablir la paix et la démocratie. Mieux encore, il est probable que les émissaires qu’il a envoyés dans certains pays africains pour réclamer un soutien afin de pouvoir accéder à la présidence de l’Union africaine se sont entendus dire qu’il fallait d’abord faire un effort vers la démocratie aux Comores. En écoutant les déclarations de Mouigni Baraka et d’Idi Boina, on ne peut s’empêcher de croire qu’encore une fois Azali se joue de l’opposition et personne ne se serait attendu à ce que ce soit Mouigni Baraka qui allait tomber dans le piège, cette fois en divisant l’opposition. Salim Saandi avait au moins l’excuse de la jeunesse et de l’inexpérience.