Entre prose et poésie
Les slameurs veulent être le levain dans la pâte et parler aux sourds dans leur langue. Dans un contexte de combat pour les droits des femmes où l’effondrement du système patriarcal entraîne une nécessaire reconfiguration des rôles sexués, l’artiste comorienne Bacar Nawiya a présenté récemment son premier recueil de slams au public à l’Alliance franco-comorienne de Moroni. Par Hachim Mohamed
Le livre de la rentrée 2022, une véritable révélation de la fibre littéraire du Slam est incontestablement celui de Bacar Nawiya, une écrivaine « en herbe » qui a sorti son premier recueil, « Le temps d’un Slam, je suis une guerrière » en décembre 2021, aux éditions Cœlacanthe. Elle l’a présenté avec beaucoup de brio au public dans la grande salle l’Alliance française le jeudi 17 décembre, avec dans le rôle de la modératrice de l’évènement Hayatte Abdou.
L’amour toujours
« J’ai toujours voulu que les premiers mots rappellent l’idée principale du recueil, d’où le premier titre éponyme « Le temps d’un Slam », explique la native de Mitsoudje.
Les prises de parole précédant le débat autour du premier recueil de slams de la Comorienne ont réservé une place de choix à cette poésie de la rue scandée ou chantée, en forme de tribune de libre expression.
Le thème de l’amour et la problématique de l’égalité entre hommes et femmes qui ont toujours illuminé et enflammé la bave fertile des poètes ont été amenés sur scène par Ame Rit avec son texte intitulé « Je t’aime tout court », Intissam Dahilou avec « Ce soir », et aussi par Bacar Nawiya, elle-même, avec « Mes bleus le diront. » Et l’accompagnement d’un arrière-fond sonore, une délicate mélodie jouée au son limpide d’une corde de nylon grattée sur une guitare sèche de Louceyf Hamid.
Par les thématiques abordées comme par la façon d’explorer et transmettre cet amour de la langue, qui parle autant par les sons que par les mots, tour à tour Bacar Nawiya, Ame Rit et Intissam Dahilou ont scandé avec calme, réserve et mesure les textes et ont su toucher l’assistance.
De la légèreté aux larmes
Le Docteur en lettres, Nourdine Iliyas a expliqué posément, ce qu’il faut comprendre de l’œuvre de l’auteure qui passe par la légèreté, les larmes pour aborder des thèmes très violents.
A la lecture de ce livre, dans lequel se mêlent observation directe, témoignages bouleversants et interprétations lucides des faits sur le combat des femmes, c’est comme si dans l’expression des vers sans rimes et l’utilisation du langage codifié des poètes, on utilisait une main pour écrire de la prose et l’autre pour écrire de la poésie ! Tellement l’œuvre de Bacar Nawiya est émaillée de ces deux confortations littéraires et une propension à l’écriture émotionnelle, à la féminité textuelle qui se traduit par des fontaines de larmes qui ne peuvent tarir.
Dans le sillage de la prise de parole de Nourdine Iliyas, une petite fille de 9 ans, Oumayah a lu des slams de l’œuvre de Nawiya Bacar qui dressent le portrait sans concessions d’une femme comorienne qui se bat… se cherche. Là, encore quelque chose de fort fonctionnait, revenait en leitmotiv pour marteler certains passages émouvants.
Par des refrains répétés, rythmiques, entraînants, accrocheurs, le public entendait la voix d’Oumayah qui disait « Femme de ma vie… je t’envie ! Femme de ma vie… je t’envie ! »
Rebelle dans l’âme
Interrogée dans la grande salle par l’un des intervenants qui la considère comme une femme engagée, Bacar Nawiya refuse de se couler dans ce moule. Elle estime que dans l’éducation chacun a sa propre vérité et qu’on peut la trouver partout selon les questions qu’on se pose.
«J’ai été toujours rebelle dans l’âme. Mais à ma manière. Bien que j’ai toujours été très assidue pendant mon parcours scolaire et estudiantin, je me rebelle souvent contre la vie, car je suis impulsive de nature. Je suis, nous sommes et avons toujours été des femmes avant mon recueil. Je n’aime pas l’étiquette « engagé », j’écris pour écrire. L’importance c’est que le livre puisse parler à celles qui y prêteront l’oreille, à traverser le temps, peu importe le temps et non pendant une période spécifique », nous confie Bacar Nawiya.
Elle dit qu’elle a découvert le slam au collège. Depuis, elle a fait un long chemin en participant à plusieurs scènes nationales et internationales.
Partant du constat selon lequel nous ne pouvons plus vivre dans un monde où l’ordre patriarcal et l’impitoyable machine du pouvoir broient les femmes, l’œuvre de Bacar Nawiya s’attaque à fond à un système social qui renforce la subordination des femmes et restreint leur capacité à entreprendre, leur participation à la sphère publique et aux lieux de décision.
Rares sont les écrivains qui ne puisent dans leur vécu pour écrire un livre. Bacar Nawiya est formelle sur cette question. Dans chacun de ses textes, il y a une partie d’elle, une histoire personnelle, un témoignage ou encore une retranscription de scènes auxquelles elle a assisté…
« Je pense que peu importe la manière d’écrire, le thème, le type de texte, il y aura toujours une partie de lui /elle, ne serait-ce que sa perception de ce qu’il (elle) décrit », déclare celle qui a remporté le deuxième prix du concours meilleur slameur sur le thème de l’avortement en cas de viol et d’inceste organisé par la Task-Force à Dakar en 2019.
Ces passages qui sont plus que des passages poétiques
Pour revenir à la question centrale des prises de parole durant cette rencontre, de nombreuses voix ont entonné le refrain lénifiant des « avancées notables » du combat des femmes, de la crise ou du délitement du lien social associé à la perte des valeurs et des repères.
Pourtant, l’œuvre de Bacar Nawiya est loin de tout cela, dans la mesure où, pour citer George Sand, « le plus honnête des hommes est celui qui pense et qui agit le mieux, mais le plus puissant est celui qui sait le mieux écrire et parler ».
S’il y a une intervention qui nous a gratifiés de la perception de cette fibre littéraire du slam, c’est celle de la militante féministe Amina Ali qui a lu ces passages du recueil qui sont plus que des passages poétiques. Il s’agit de ces phrases gravées sur la pierre, sur l’écorce, ces phrases qui calment un peu l’effroi et la soif, ces phrases qui sont comme une cruche que l’on tendrait, le soir venu, au visiteur cherchant un gîte.
« Je suis une femme, j’en souffre/Je ne suis pas coupable de mon corps, du choix de mon habillement, de votre inculture… ». Ce sont quelques-uns des vers qui ont été répétés en leitmotiv pour résumer le combat de femmes qui est porté du Moyen-Orient en Afrique en passant par l’Occident.