Ce lundi s’ouvre le procès dit de la « citoyenneté économique », mais dont l’objectif premier est l’élimination politique de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, maintenu en prison depuis quatre ans, hors des cadres juridiques. Les réactions ont été nombreuses contre la procédure finalement décidée par le gouvernement, à part pour le parti présidentiel, la CRC.
Par MiB
Du 21 au 23 novembre 2022, plusieurs personnalités de l’opposition, de diplomates et d’entrepreneurs arabes devraient être jugés à Moroni dans le cadre du procès dit de la citoyenneté économique. En quatre ans d’instruction, la justice a bien pris soin d’éliminer de la liste des inculpés tous ceux qui sont du parti présidentiel Convention pour le Renouveau des Comores (CRC) ou qui ont rallié le pouvoir actuel.
Finalement accusés de haute trahison et jugés par la Cour de Sûreté
Officiellement, le juge d’instruction Elamine Saïd Mohamed n’a finalement inculpé que 11 personnes par l’ordonnance de renvoi signé le 10 septembre dernier (Lire Masiwa n°404). Il s’agit de l’ancien président Mohamed Sambi, le seul parmi eux qui est en prison depuis quatre ans et dont la fin de l’instruction ne l’a pas libéré en attendant le procès (ni ne le met officiellement en prison d’ailleurs). Mohamed Sambi, comme les deux anciens Vice-Présidents Mohamed Ali Soilihi (Mamadou) et Nourdine Bourhane sont accusés de « haute trahison, de détournement de deniers publics, faux et usages de faux, abus de fonction, forfaiture, corruption, concussion recel et complicité » (sic). Ni plus ni moins.
Les anciens ministres et députés Mohamed Bacar Dossar et Mhoumadi Sidi, comme les diplomates Abdillah Saïd et Zoubeir Ahmed Souffiane, les entrepreneurs arabes Bashar Kiwan, Mohamed Saïd Al-Kadaman et Ahmed Jaroudi, ainsi qu’Anbdou Satar Mohamed Sambi, fils de l’ancien président sont inculpés des mêmes faits, sauf celui de « haute trahison ». Pourtant, ils seront tous jugés par la Cour de Sûreté de l’État.
Des accusés absents
Deux personnes, parmi les entrepreneurs arabes, ont été oubliées par le juge d’instruction et l’on ne sait pas s’ils seront jugés par la Cour de Sûreté ce lundi : Ali Kazma et Madj Suleiman.
De toute façon, sur les 11 accusés renvoyés devant la Cour de Sûreté aujourd’hui, plus de la moitié d’entre eux n’ont pas été entendus par le juge d’instruction et ne seront même pas à la barre. C’est une des marques d’une instruction bâclée alors qu’elle a duré quatre longues années. Objectivement, le juge d’instruction n’a quasiment rien fait de plus que reprendre le fameux rapport de Dhoulkamal.
La décision inattendue et qui ne se base sur aucun texte de loi de transformer les accusations de corruption et autres en haute trahison pour Mohamed Sambi, Mohamed Ali Soilihi et Nourdine Bourhane, et surtout de faire juger tout le monde par la Cour de Sûreté de l’État, qui d’une part n’existe pas dans l’organisation judiciaire du pays, mais en plus traite des cas d’atteinte à la sûreté de l’État, a révolté bien des personnalités et organisations politiques.
Tisslame Mohamed Sambi
La famille d’Ahmed Sambi a été la première à réagir après avoir eu connaissance de la convocation de l’ancien président. Dans un communiqué en date du 7 novembre 2022 signé par Tisslame Mohamed Sambi, le procès à venir est qualifié de « mascarade judiciaire ». Après avoir montré qu’aucune preuve n’a été apportée en quatre années d’instruction, au-delà des affirmations du rapport Dhoulkamal, actuellement ministre des Affaires étrangères. La fille de l’ancien président a réagi également dans les réseaux sociaux pour montrer les injustices subies par son père qui a cru en la justice comorienne en rentrant au pays pour être entendu.
Le parti Juwa tout vent debout
Le 11 novembre, dans un communiqué du parti Juwa, signé par son Secrétaire général, Ahmed Hassane El-Barwane, qui a connu un procès politique et une condamnation de la Cour de Sûreté de l’État reprend ce terme de « mascarade ». Pour le parti de Mohamed Sambi, « le colonel-président Azali Assoumani s’apprête à traduire l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi devant une Cour de Sûreté de l’État illégale, en violation flagrante des normes en vigueur et de toutes les règles de procédure et donc de toutes les garanties d’un procès équitable ». Trois jours après, le parti a réuni la presse pour dénoncer un procès sans « preuves » qui se transforme en procès pour « haute trahison ». Le Secrétaire général, ainsi que l’ancien député Ibrahim Mohamed Soulé ont montré les incohérences et les errances d’une instruction guidée par le pouvoir politique.
La CRC prône la démocratie et la transparence
C’est à quelques jours de l’ouverture du procès historique que le parti présidentiel, la CRC a organisé une conférence de presse pour se prononcer sur la procédure judiciaire et les accusations, entre autres questions d’actualité. La conférence a été ouverte par le sociologue Msa Ali Djamal. Au premier rang, on pouvait voir le chargé de la Défense, Mohamed Youssouffou Belou, le ministre des Finances, Kamardine Souef, le Directeur du Plan, Fouad Goulam et même Me Baco, actuellement Vice-Président de l’Assemblée nationale, autrefois ténor du parti RIDJA, ancien avocat du Général Salimou qui se plaignait du maintien en prison pendant deux ans de son client, mais qui aujourd’hui a des arguments pour défendre le régime auquel il appartient et justifie le maintien de Mohamed Sambi en prison pendant quatre ans, sans jugement. Il affirme même que la Cour de Sûreté de l’État « est l’équivalente de la Haute Cour de Justice ».
Dans son intervention, Mohamed Youssoufou Belou, chargé de l’armée et Secrétaire général du parti a pris la parole pour dire que l’opposition a demandé la libération d’Abdallah Agwa, le procès de Sambi et le départ d’Azali et qu’ils ont satisfait aux deux premières demandes, mais qu’elle peut attendre pour la troisième exigence. Ce procès est pour lui la preuve que le régime va vers la démocratie et la transparence. Ces membres du gouvernement, le Vice-Président de l’Assemblée et des députés ont donné leur avis sur le procès qui aura lieu ce lundi et même sur la culpabilité de Mohamed Sambi, sans se poser la question de la séparation des pouvoirs. Même l’avocat Baco, Vice-président de l’Assemblée qui s’est montré arrogant et virulent contre les journalistes a complètement oublié cette notion, en donnant ses avis et leçons sur une affaire en cours.
Une des organisations dont le citoyen aurait souhaité avoir le point de vue et la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (CNDHL) dirigée par Mme Sittou Raghadat. Malheureusement, pendant ces quatre ans où les droits élémentaires de Mohamed Sambi, comme celui de pouvoir s’entretenir avec son avocat hors de la présence des services de police ou celui de pouvoir aller se soigner, surtout après une ordonnance du juge en ce sens, ont été largement bafouillés, l’institution a choisi de garder un silence stratégique.