Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – Maître Mahamoudou Ahamada, depuis quand votre client est-il enfermé ?
Me Mahamoudou Ahamada – Ahmed Abdallah Mohamed Sambi est en détention depuis le 20 mai 2018. Cette détention a commencé par un placement en résidence surveillée du 20 mai 2018 au 20 août 2018 et elle est passée par une détention provisoire du 20 août 2018 au 20 avril 2019 pour se terminer par la séquestration dont il fait l’objet depuis le 20 avril 2019 à aujourd’hui. Sachez que depuis cette date le président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi est privé de sa liberté sans la moindre décision judiciaire.
Il est vrai qu’il avait initié avec l’accord du parlement comorien qui a voté une loi en novembre 2008, le programme de la citoyenneté économique. Sachez au passage qu’aucun passeport n’est vendu avant la promulgation de la loi contrairement à ce que racontent certaines personnes en manque d’information.
En effet, le 21 août 2022 au matin, Ahmed Abdallah Sambi, président de l’Union des Comores entre 2006 et 2011, a commencé sa cinquième année de séquestration et non de détention provisoire puisqu’une telle mesure est en principe ordonné par une décision d’un juge d’instruction pour une durée connue de 8 mois maximum.
Masiwa – Avez-vous reçu officiellement une convocation pour le jugement de votre client ? Est-il réellement convoqué devant la Cour de Sûreté de l’État ?
Me Mahamoudou Ahamada – En effet, j’ai reçu une convocation m’informant que mon client comparaîtra devant la Cour de Sûreté de l’État en son audience du 21 novembre 2022 à 8h 30.
Masiwa – Pourquoi, selon vous, parmi les personnes encore inculpées dans cette affaire, seul Ahmed Abdallah Mohamed Sambi n’a bénéficié d’aucun assouplissement de ses conditions de détention ?
Me Mahamoudou Ahamada – Le président Sambi reste la seule autorité à même de pouvoir menacer le pouvoir d’Assoumani Azali. N’oubliez pas que le 2 janvier 2020, une ordonnance du juge d’instruction l’avait autorisé à aller se faire soigner à l’étranger. Elle est restée lettre morte. C’est la première fois qu’une ordonnance d’un juge d’instruction n’était pas notifiée au conseil de l’inculpé qui avait pourtant introduit la demande.
Masiwa – Avez-vous envisagé de demander à votre client de ne pas comparaître devant cette Cour de Sûreté qui ne correspond pas aux faits qu’on lui reproche ?
Me Mahamoudou Ahamada – Non au contraire, mon client et moi-même irons à cette audience pour évoquer le droit et rien que le droit. À la Cour d’en tirer les conséquences de ce que vous appelez « cour de sûreté qui ne correspond pas aux faits qu’on lui reproche ».
Masiwa – Sans dévoiler les lignes de votre défense, que pensez-vous de l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction ?
Me Mahamoudou Ahamada – C’est une ordonnance qui a complètement passé outre les faits qui ont été instruits. Pour mémoire, sachez que Sambi est inculpé pour avoir commis des faits en 2017 alors que l’ordonnance vient nous parler des faits qui seraient commis entre le 26 mai 2006 et le 26 mai 2011. Ceci montre qu’on va se retrouver face à des faits instruits par un juge et notifiés à l’inculpé d’une part et des faits insérés dans l’ordonnance méconnus de l’inculpé et non instruits par le juge. C’est une aberration.
Masiwa – Comment cela va-t-il se passer le 21 novembre le jour de l’audience ? Les parties doivent-elles être présentes ou représentées par les avocats ?
Mahamoudou Ahamada – En matière criminelle, l’accusé est tenu d’être présent à l’audience pour que son avocat puisse l’assister.
Masiwa – Les magistrats et les juges comoriens ferment souvent les yeux sur les allégations concernant les conditions de détention, de brimade, d’urgence sanitaire même lorsqu’elles font l’objet de plaintes officielles déposées par des avocats, qu’en est-il pour Ahmed Abdallah Mohamed Sambi ?
Mahamoudou Ahamada – Je dois vous avouer que c’est le dernier des magistrats qui ont eu à travailler le dossier en question. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas vu une ordonnance spécialement motivée qui parle de la situation carcérale du président Sambi depuis le 10 septembre 2022, date à laquelle l’ordonnance de règlement est signée. Or, la loi oblige le juge d’instruction à libérer l’inculpé jusqu’à sa comparution ou à le maintenir en détention. Ceci montre très bien que nous ne sommes plus dans le cadre d’une détention provisoire telle que réglementée par le code de procédure pénale.
Masiwa – Le procureur Ali Mohamed Djounaid et son prédécesseur, Mohamed Abdou, ont constamment refusé les demandes de soins que vous avez déposées au point de ne pas laisser à l’ex-président la possibilité d’aller se faire soigner une rage de dents. La situation a-t-elle changé ?
Mahamoudou Ahamada – Sachez que faire partir le président Sambi de son lieu de séquestration jusqu’au cabinet d’un médecin, quel qu’il soit reste un parcours du combattant. Il faut le vivre pour le croire.
Masiwa – Comment expliquez-vous, dans ce sulfureux dossier, le silence radio des dirigeants des Émirats arabes unis, pourtant parties prenantes du programme de citoyenneté économique ?
Mahamoudou Ahamada – C’est malheureux que les Émirats arabes unis accusés d’avoir corrompu le président Sambi aient gardé le silence. J’en ai formulé la demande au juge Aliyamane Ali Abdallah pour aller instruire cette affaire là-bas, mais il ne l’a pas fait. Je me suis rendu sur place, mais je n’ai pas réussi à rencontrer les personnes concernées directement. Je déplore le silence d’Abou Dhabi dans ce dossier.
Masiwa – Pensez-vous que votre client à une chance de sortir libre de ce procès dont on a l’impression qu’il est joué d’avance ?
Mahamoudou Ahamada – Je l’espère de tout cœur que mon client sortira libre mentalement de cette épreuve. Par contre, en ce qui concerne la Cour de Sûreté de l’état, celle-ci reste une machine à distribuer des peines, car s’agissant d’une juridiction non prévue par la loi N°20-020/AU en date du 12 décembre 2020 sur l’organisation judiciaire, elle n’a pas le droit de rendre la justice en Union des Comores, si l’on se réfère à l’article 34.