Le procès des supposés trafiquants des lingots d’or qui passaient par l’aéroport de Moroni-Hahaya a eu lieu le 29 septembre. Les personnes les plus impliquées dans cette affaire ont été extradées vers Madagascar. N’était-ce pas le meilleur moyen de vider le dossier et éviter leurs témoignages compromettants contre les accusés ? À l’ouverture du procès, il n’y a aucune surprise : il n’y a rien de sérieux dans le dossier et tous les accusés nient les faits. Il n’est requis contre eux que des amendes. À se demander pourquoi ils sont encore en prison.
Par Ahamada Ali
Le verdict du procès du trafic présumé des lingots d’or qui s’est tenu le 29 septembre sera connu le 27 octobre prochain. Le procureur de la République a requis contre les principaux mis en cause « une amende à verser au trésor public avant toute libération ». Elle s’élève à 20 millions de francs comoriens pour Yasser Ali Assoumani, ancien directeur général des Aéroports des Comores, Fardi Abodo, douanier et fils du procureur de la Cour suprême et Elhad Ibrahim Halifa. Ce dernier est celui qui fut arrêté en même temps que Pierre Stenny et Pacheco Ismael Azaly les trafiquants Malgaches alors qu’ils s’apprêtaient à décoller pour Dubaï, avec 28 lingots d’or dans leurs bagages, le 28 décembre. Il est également connu pour avoir été gracié par Azali Assoumani en 2019 après avoir été condamné dans la rocambolesque affaire de l’attentat à la voiture piégée du vice-président Moustadrane.
Vices de procédure et tortures pendant l’enquête
Avant que l’audience ne commence, le président du tribunal prévient : le micro de la salle, assiégée par les badauds et les journalistes, ne fonctionne pas. Il va donc falloir parler fort. Les neuf prévenus, debout tout le long d’un procès qui durera 9 heures, déclinent leur identité. On leur rappelle ce qui leur est reproché. Chacun rejette les accusations dont il fait l’objet.
Les avocats de la défense se succèdent au prétoire. Ils évoquent les nombreux vices de procédure qui ont émaillé l’enquête préliminaire effectuée à la gendarmerie en présence notamment d’agents des services de renseignements. Sans surprise, les délais de garde à vue ont largement été dépassés, parfois de plus d’une semaine alors qu’elle dure 24 heures. Il a également été question de tortures et de violations des correspondances privées par les enquêteurs. « Les auditions de mes clients se faisaient entre minuit et 3 heures du matin », a fait savoir Me Fahardine Mohamed Abdoulwahid.
En outre, plusieurs avocats de la défense ont demandé la mise à l’écart des déclarations tenues par Ismael Azaly Pacheco, l’un des Malgaches arrêté le 28 décembre et « extradé » le 13 janvier. Il n’aurait pas été présenté à un juge d’instruction. Ses auditions à la gendarmerie auraient été faites sous la torture. C’est lui plus que tout autre qui aura livré les noms de ceux qui ont participé à ce trafic d’or dont la provenance serait Madagascar avant un transit à Moroni et dont la destination est Dubaï.
« Je n’étais au courant de rien »
Me Kaambi s’interroge : « comment peut-on juger les complices présumés d’une affaire si ses auteurs ne sont pas là ?». Durant tout le procès, l’ombre des deux Malgaches plane.
Le parquet, représenté par le substitut du procureur Abdou Ismail, rejette les demandes des avocats et argue « que les exceptions auraient dû être soulevées devant la chambre d’accusation ». Les avocats protestent en vain.
L’audience se poursuit avec les débats au fond. Yasser Ali Assoumani est le premier à passer à la barre. Le procureur lui demande comment il a appris l’arrestation des trois hommes le 28 décembre. « J’ai été informé par un de mes agents. Je me trouvais à Anjouan. Je n’étais au courant de rien, ni en ce qui concerne l’arrivée du jet privé ni pourquoi il était là », répond-il. Le procureur est dubitatif. Il lui reproche d’avoir joué le rôle de facilitateur pour le passage de l’or à l’aéroport de Moroni. L’ancien candidat aux gubernatoriales d’Anjouan rallié à Azali Assoumani aux élections générales de 2016 rejette les accusations. « Je ne sais toujours pas pourquoi je me trouve devant vous », insiste-t-il.
Bafouillements
Très vite, on lui demande comment il connait Elhad Ibrahim Halifa. Surgit alors un épisode dont peu de gens se doutaient qu’il serait lié d’une manière ou d’une autre à l’affaire des lingots d’or. En septembre 2021, celui qui est alors directeur général des aéroports des Comores est arrêté à Dubaï par la police des frontières pour une étrange histoire de visa ordinaire d’entrée apposé dans un passeport diplomatique. Yasser Ali Assoumani, imperturbable, se justifie. « Je devais me rendre à l’Exposition universelle. La police m’arrête. J’appelle le ministre de l’Intérieur, Fakridine Mahamoud, mais également le ministre des Affaires étrangères pour me tirer de ce mauvais pas », déclare-t-il. Mais, paniqué à l’idée d’un refoulement vers les Comores, il joue toutes ses cartes. L’une d’elles se prénomme Elhad Ibrahim Halifa. « Je l’appelle parce qu’il m’avait parlé de deux « boss » probables investisseurs de l’aéroport de Moroni. Je lui demande alors d’intercéder en ma faveur pour voir s’ils ne pouvaient pas me sortir de ce pétrin. Elhad obtempère », relate-t-il.
— Et ensuite ? relance le parquetier.
— Ensuite, une femme m’appelle, dit-il.
— Était-ce une Malgache ?
— Je ne sais pas, elle s’exprimait en français
— Pourquoi, avec les fonctions que vous occupiez, avez-vous jugé utile d’appeler un citoyen lambda pour vous sortir d’affaire ?
— Je devais faire le tout pour le tout pour ne pas retourner à Moroni.
— Savez-vous que la femme qui vous a appelé était impliquée dans une affaire de trafic d’or à Zanzibar ?
Bafouillement du principal intéressé. La femme en question serait l’épouse d’un des cerveaux de ce trafic d’or.
Vient ensuite Fardi Abodo. Le procureur souligne ses liens de parenté avec au moins deux des prévenus à la barre. Il reconnait, comme il reconnait que Pacheco Azaly Ismael est un parent, un frère de sa grand-mère malgache. « Il m’avait demandé en effet de l’aider à mettre en place un trafic d’or, mais j’ai décliné et l’ai orienté vers d’autres personnes ». Le fils du procureur de la Cour suprême est accusé d’avoir utilisé sa vedette rapide pour aller récupérer l’or au large d’Anjouan, de l’avoir caché dans des glaciaires sous du poisson frais avant de l’acheminer à la Grande-Comore. Accusations qu’il rejette vigoureusement.
C’est le tour d’Elhad Ibrahim Halifa. Lui explique avoir voulu se rendre à Dubaï pour son travail, mais les vols commerciaux étaient bloqués pour cause de Covid-19. L’un des deux Malgaches le contacte pour qu’il parte avec eux à bord d’un jet privé. Il accepte. Il se rend à l’aéroport. C’est dans sa valise que les lingots devront voyager. Manque de bol, ils se font prendre. « Je pensais que l’or avait été déclaré. J’ai fait une confiance aveugle à Pacheco », se justifie-t-il.
Un procès des hypothèses
Étrange que ce procès sans preuve. C’était celui des hypothèses. Le procureur de la République, Ali Mohamed Djounaid, avait dit qu’entre septembre et décembre 2021, il y avait eu 11 opérations de trafic illégal d’or. Neuf mois après le début de l’affaire, la seule preuve présentée au tribunal était une glacière bleue. Une glacière vide. Les questions posées par le parquet en ce qui concerne le fonctionnement de l’aéroport révélaient un amateurisme certain qui a fait rire sous cape plusieurs personnes dans le public. À défaut de se rendre à l’aéroport pour les besoins de son enquête, n’aurait-il pas mieux valu appeler « un expert » à la barre pour confronter les agents y travaillant ?
L’avocat de Fardi Abodo, Me Kamardine Mohamed a finement fait comprendre que son client « était le parent de Pacheco, mais que cela ne révélait rien du tout ». Celui de Yasser Ali Assoumani, Me Youssouf Mohamed Hassan a surenchéri : « le doute profite toujours à l’accusé. Il n’y a aucun élément prouvant que Yasser Ali Assoumani a pris part à cette affaire. On ne peut pas juger des gens sur des suppositions ».
Est-ce alors étonnant que l’autre conseil de l’ancien directeur, Me Hadji Chabani, qualifie l’affaire de « politique » ? « Mon client, politicien apprécié au niveau des trois îles, suscitait beaucoup de jalousie surtout à l’approche de 2024, année d’élections. Il fallait donc le mettre hors d’état de nuire ».
Étrange procès où le ministère public dans son réquisitoire fait valoir le fait qu’il n’avait aucun élément prouvant l’implication des quatre autres prévenus au rôle secondaire. Aucun élément, mais ils sont quand même maintenus en détention en attendant le verdict qui sera rendu dans un mois. Après l’avoir été durant neuf longs mois.