Mercredi dernier la Banque Centrale des Comores (BCC) a publié son rapport pour l’année 2021 sur l’économie du pays en général, et les effets conjoncturels relative aux comportements des acteurs économiques. Ce document présentant la situation macroéconomique de l’année 2021 aux Comores, et donnant les prévisions des années à venir, non seulement déresponsabilise l’État eu égard à ses décisions politiques en matière d’économie et de finances, mais il renvoie la cause de tous nos maux à des origines exogènes, notamment le conflit en Ukraine et la COVID-19.
Par Nezif-Hadj Ibrahim
La pauvreté, l’inflation due à la politique fiscale et l’impact des déficits notamment des principales entreprises publiques du pays sur l’économie ne sont pas analysés dans le rapport produit par la Banque centrale des Comores. Tous les problèmes économiques que connait le pays sont expliqués par des événements internationaux.
Un rapport relatif et le social négligé
Le rapport de la BCC semble décrire une réalité qui ne correspond pas aux événements qui ont marqué l’année d’un point de vue macroéconomique. Ses analyses semblent attachées à l’action de l’État, du moins à un raisonnement qui correspond à la politique sociale et économique du gouvernement d’Azali Assoumani.
Selon le rapport, le secteur primaire des Comores est sur une meilleure forme croissante après une année 2020 perturbée profondément par la pandémie. « La valeur ajoutée du secteur primaire s’est accrue de 3,2% en 2021 après 2,1% une année auparavant, soit une contribution à la croissance économique de 0,8 point de pourcentage. Cette hausse s’explique essentiellement par la bonne performance du secteur agricole (+3,9% en 2021 après +2,1% en 2020), notamment à travers les produits de rente (girofle, vanille et ylang-ylang) et la hausse de la production vivrière et maraichère en 2021)… », soutient le rapport.
Cependant, cette affirmation présente deux difficultés : premièrement les produits maraîchers sont en grande partie en milieu rural et sont destinés à faire vivre les familles qui sont les plus grandes victimes de la pauvreté aux Comores, selon l’institut national des statistiques. Deuxièmement, au vu de la récente crise alimentaire causée par la pénurie de riz qui a duré presque deux mois, les importations de ces produits à Tanzanie et à Madagascar occupent une place importante dans le circuit des produits alimentaires du pays. Peut-être que la Banque centrale voulait rassurer les partenaires internationaux de l’impact social du projet, cependant son intérêt aurait dû être social. Effectivement, de tels projets devaient permettre de résorber la pauvreté, du moins son impact dans les ménages en apportant de la valeur ajoutée aux agriculteurs du milieu rural. En tout cas, la récente pénurie de riz à Ndzuani a montré les limites des Projet intégrés Développement chaînes de valeurs et Compétitivités et Productivités des exploitations agricoles familiales et résilience. Les produits agricoles sur le marché étant plus chers.
Le Plan Comores Émergent sur la bonne voie selon l’institution
Pour la Banque centrale, les Comores ne sont pas dans une situation économique préoccupante, certes des conjonctures négatives ont ralenti la tendance à la hausse de l’économie du pays, mais selon les perspectives annoncées « l’activité économique au titre de l’année 2022 devrait se consolider en raison des effets attendus des différentes mesures de soutien à l’économie nationale par le gouvernement dans le cadre de la reprise de la mise en œuvre des projets du Plan Comores Emergent (PCE) », projette la BCC. Malheureusement ce n’est pas ce qui est observé aujourd’hui. On est même loin de cette affirmation. Et ce ne sont pas les pénuries que la population subit qui expliquent les difficultés économiques que traverse le pays. Certainement, la balance de paiement ne saurait être négative, surtout en raison de la forte célébration des mariages, sachant que les fonds qui alimentent les dépenses liées à ces événements viennent en grande partie de la diaspora. Les difficultés économiques aujourd’hui sont plus ressenties par le consommateur dont le pouvoir d’achat ne coïncide pas avec l’inflation.
La politique budgétaire de l’État est louée par la BCC
Alors que les principales entreprises publiques nationales sont en déficit budgétaire en raison de leur gestion, la BCC ne semble pas encore prête à tirer la sonnette d’alarme. Pourtant, de telles entreprises devraient jouer un rôle essentiel dans le budget de l’État, surtout en termes de recettes. En effet, si ces établissements publics à caractère commercial font partie de la sphère privée par leur nature marchande, c’est en raison de cette double finalité, à savoir réaliser des prestations en vue de satisfaire la collectivité de biens essentiels, comme le riz pour l’Onicor, l’électricité pour la Sonelec ou les hydrocarbures pour la SHC, et aussi permettre à l’État de faire du profit. Ils sont, de ce fait, des acteurs économiques non négligeables pour l’État comorien. Pourtant leur situation n’est pas entrée dans le champ d’analyse de la Banque centrale, or les Comoriens subissent tous les jours les conséquences de leurs politiques.
Dans ce cadre budgétaire, un fait important est à relever. En 2020, les recettes de l’État s’élevaient à 101 milliards de francs, par contre, pour l’année 2021, on a connu une baisse et elles se sont réduites à 91,3 milliards. La cause serait la baisse des recettes extérieures qui sont les aides des partenaires. Cela semble évident puisqu’en pleine pandémie du COVID le pays avait reçu des aides pour pouvoir contrer la maladie et mieux lutter contre son expansion. Cependant, pour les recettes intérieures, spécialement les recettes fiscales, le pays a connu une hausse de 11,1%. C’est aussi compréhensible quand on sait que la politique fiscale du pays est drastique. Ce qui fait peser sur la population le poids de l’inflation. Le paradoxe, par ailleurs, vient des termes de la BCC pour présenter la politique budgétaire du président Azali Assoumani : « … l’élaboration de la loi de finances de l’année 2021 est réalisée à partir d’un cadrage macro-budgétaire s’appuyant sur les orientations du Chef de l’État visant la lutte contre la précarité et le laxisme administratif », souligne l’Institution bancaire. Pourtant, dans les faits, rien de la part du gouvernement ne semble destiné à éviter la précarité, en ce sens que le meilleur moyen de rendre la vie moins pesante pour la population, c’est certainement de faire en sorte que les produits de consommation correspondent au pouvoir d’achat.
Les perspectives de la dette publique
S’il y a un sujet qui est peu discuté sur la sphère politique nationale, c’est la question de la dette publique que contractent nos gouvernants. Contrairement à la note de conjoncture de 2020 qui remplissait le rôle de rapport, le document que la BCC vient de publier fait apparaître la situation de la dette publique. Selon le rapport, la dette publique est essentiellement extérieure et elle est croissante. Même si au niveau intérieur l’État a contracté des engagements financiers pour financer ses activités, c’est au niveau international que le poids de la dette semble plus important. Pour la croissance de la dette publique extérieure, elle « est expliquée entre autres par les décaissements effectués au titre du prêt contracté auprès de la TDB pour le financement du CHU El-Maarouf, mais aussi auprès de la BAD pour le financement des mesures d’accompagnement relatives au choc Covid-19 ». Pourtant, le gouvernement avait déclaré, par le biais du ministre des Finances, que l’hôpital allait être reconstruit sur fonds propres. Ce qui interroge encore plus c’est le financement de mesures d’accompagnements. Nous n’avons aucune idée de la nature de ces mesures alors que ce sont les contribuables comoriens qui vont rembourser ces dettes.
Le développement le grand absent du rapport
Alors que la préoccupation centrale des pays pauvres, c’est le développement, le rapport omet volontairement d’en rendre compte. S’il privilégie les chiffres qui se rapportent à la croissance, en aucun moment les analyses ne s’intéressent à la dimension sociale des politiques publiques mises en place par le gouvernement. Cette approche adoptée par les rédacteurs du rapport de la BCC permet sans doute d’éviter de parler des corolaires du développement, notamment de l’indice du développement humain. En privilégiant la croissance par le maniement de chiffres qui ne rendent pas compte de la redistribution de la richesse créée, la Banque centrale fait un choix politique.