Dans tout Ngazidja, les Grands-mariages sont célébrés à un rythme intenable, dans un contexte de crise économique sans précédent. Les dépenses sont si folles qu’on pourrait croire que les Comoriens ne connaissent pas la crise. Et pourtant.
Par Mounawar Ibrahim
La crise est bien là. Dans les coins et les recoins des villes et villages, elle est bien visible. D’ailleurs, quand on aura fini d’enturbanner nos oncles, frères le dimanche et que les « Jeviens » regagneront leur terre d’accueil, dès le lendemain, la question du quotidien se posera avec acuité. Manger redeviendra un problème et les sacs de riz, les cartons de poulet gaspillés nous hanteront.
De quoi sommes-nous faits ?
Mais, franchement, de quoi nous sommes faits ? Pendant que dans les autres pays l’heure est à la solidarité et à la retenue, nous continuons à faire comme si de rien n’était et à insulter ceux et celles qui n’en ont pas. Pendant qu’une seule personne achète des centaines de tonnes de riz pour les festivités de son grand-mariage, beaucoup de personnes font la queue à Moroni pendant de longues heures pour trouver un sac de riz. Pour nourrir leurs familles sans plus. Et dans tout ça, on observe dans plusieurs localités des scènes qui donnent le vertige.
Mercredi dernier, une famille qui célébrait le mariage traditionnel de sa fille a envoyé tout ce qui était possible et imaginable à la famille du gendre. Il y avait une moto, un vélo, un joli 4×4 neuf dont le prix de revient atteint facilement les 15 mille euros voire plus, le mobilier d’une maison (des coussins, des tables, des lits, des matelas, une gazinière), toute la panoplie d’une demeure moderne. Sans parler de l’alimentaire. Il y avait largement le contenu d’un grand magasin. Il a fallu une place publique spacieuse pour tout exposer. En effet, l’objectif principal reste de faire ce que personne n’a fait avant et de le montrer. Dépasser ceux qui ont précédé. Quitte à inventer des choses dangereusement couteuses.
Vanité des vanités
Toutes ces richesses étalées sous nos yeux ne reflètent pas forcément la réalité, compte tenu des réalités du pays. Mais dans le mariage traditionnel, tout est vanité. Et ce qui est présenté n’est pas forcément le fond. Pour accomplir ce qui reste pour la société comorienne conservatrice la réalisation ultime, il faut pour les familles passer par la case surendettement. Pour ceux qui sont sur place ou ailleurs. Une femme disait qu’elle a pris une tontine de 15 mille euros en France à l’occasion du Mashuhuli de son frère. Chose qu’elle ne regrette aucunement, car elle voulait sa place à Marseille. Sa maison aux Comores est toujours en chantier, mais ce n’est pas grave, car elle peut attendre, ce qui n’était pas le cas pour son frère. Pour les personnes qui vivent au pays, c’est presque la même démarche, sauf que les revenus sont très aléatoires pour rembourser après. Les gens viennent avec de l’argent le jour où tu célèbres ton mariage ou celui d’un proche, mais attendent aussi que tu leur rendes la pareille le moment venu. Que tu en aies ou pas. Et le hasard peut faire qu’ils décident tous d’organiser leurs mariages au même moment. Cette situation peut durer deux ou trois décennies. Cela peut traverser trois générations d’une seule famille.
La situation était supportable les années passées. Non pas que c’était normal, mais les choses étaient différentes. Le sac de riz ne coutait pas 9400 FC ou plus selon le grossiste. Les frais de transport n’étaient pas aussi élevés. La douane était abordable. Le poisson n’était pas un luxe et on cultivait la terre qui nous donnait à manger en abondance.
S’adapter pour faire face à la crise
Aujourd’hui, nous devons nous adapter et alléger les choses pour essayer d’atténuer le choc surtout que personne ne pense à nous. Car certes dans d’autres cultures les pratiques budgétivores sont présentes, mais il faut aussi penser à la situation qui prévaut aux Comores. Ailleurs, il faut aussi le dire, on organise des réceptions gigantesques à l’hôtel pour célébrer les noces. Des lunes de miel sont organisées vers des destinations paradisiaques le plus souvent. Rien de tout cela aux Comores, sauf pour quelques familles imprégnées par la culture occidentale qui le font après avoir accompli toutes les étapes édictées par la tradition.
Ceci étant, chaque localité a le devoir moral de mener des réformes structurelles sur sa propre façon de réaliser le Grand-mariage. Les mouvements Katiba et Anti-katiba doivent se généraliser pour espérer atteindre le plus grand nombre. Le parti de ceux qui prônent la limitation des dépenses doit l’emporter sur celui des adeptes de la démesure et de l’irresponsabilité.
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