La semaine dernière les avocats du barreau de Moroni ont décidé de médiatiser leur conflit avec les juges. Conférence de presse, grève, rencontre avec le ministre de tutelle… Cette fois, les avocats ont décidé d’aller jusqu’au bout et d’obtenir gain de cause face à des juges qui pensent être au-dessus des lois. Une première.
Par MiB
Un mouvement sourd gronde au Palais de Justice de Moroni. Un mouvement par lequel les avocats tentent de s’affranchir de la tutelle des juges, qui font la pluie et le beau temps. Pourtant, c’est un secret de polichinelle que certains de ces avocats négocient depuis longtemps avec eux les jugements et même les décisions au sein du barreau, au mépris de la déontologie et du droit. Mais, poussé par de jeunes avocats, Me Abdouloihabi Mohamed, dont l’élection a été plus que controversée et n’aurait pas été possible sans un appui direct des juges, tente avec cette crise de refaire l’unité du barreau derrière lui.
Une conférence de presse qui officialise la guerre
Le 9 juin, dernier, alors que l’on s’attendait à une sortie des jeunes avocats contre les juges, le bâtonnier décide de mouiller sa chemise et c’est une conférence de presse du barreau de Moroni qui est organisée. Un fait rare dans ce pays.
Autour de Me Abdouloihabi, il y avait l’avocat le plus bouillonnant du barreau de Moroni, Abdoulbastoi Moudjahidi, qui a souvent eu à se défendre face aux juges, qui ont même tenté de l’éliminer du barreau. Il y avait également Me Attick, un des ténors du barreau.
En une vingtaine de minutes, le bâtonnier a exposé le problème : les avocats refusent que l’un d’eux, Me Idrisse Mze Mogne soit suspendu de ses fonctions par une décision unilatérale des juges.
En effet, le 31 mai dernier, une « Note d’information » portant l’entête de la Cour d’Appel de Moroni et la signature du Greffier en chef annonce à tous les magistrats du Palais de Justice de la capitale que Maître Idrisse Mohamed « est privé de plaidoirie jusqu’à nouvel ordre ». Comme s’ils ont compris plus tard que cette « note » ne peut pas suffire pour suspendre un avocat, le Premier Président de la Cour d’Appel, Le Procureur Général, Le Procureur de la République et le Président du Tribunal se réunissent et rédigent un Procès-verbal qui suspend Me Idrisse dans les mêmes termes que la note du greffier en chef.
Une décision illégale
Mais, comme l’ont rappelé le bâtonnier d’abord, puis Me Moudjahidi par la suite, cette procédure est illégale, car elle n’est prévue nulle part. Tous les avocats (voir ci-dessous déclarations de Me Djama-Eddine Bacar et Ahmed Ben Ali) sont sur cette ligne : les juges devaient saisir le bureau du Conseil de l’ordre afin qu’il envisage de sanctionner l’écart de l’avocat.
Me Mohamed Abdouloihabi dénonce une décision d’abord prise par un greffier, puis confirmée par des magistrats sans avoir donné à l’avocat l’occasion de se défendre. « Aucun magistrat n’a la capacité de juger un avocat. Cela revient au Conseil de discipline du barreau », ajoute le bâtonnier. L’ancien magistrat rappelle qu’un juge ne peut pas prendre des décisions sous le coup de la passion, or pour lui, la décision prise contre Me Idrisse Mze Mogne n’est pas « un acte de droit, mais celui d’un notable ».
Me Moudjahidi Abdoulbastoi rappelle que l’assemblée de magistrats qui a pris la sanction n’est prévue par aucun texte, mais affirme-t-il dans la conférence de presse, « certains juges pensent qu’au-dessus d’eux il n’y a que Dieu ».
À L’origine une citation du Coran
La conférence de presse du bâtonnier avait été prévue par une Assemblée générale du barreau de Moroni le 8 juin. Les avocats présents ont pu ce jour-là entendre et connaître les causes de l’acharnement du Procureur de la République contre Me Idrisse Mze Mogne.
Le 23 mai dernier, pendant le procès Faïna, cette enfant violée et assassinée, son avocat, Me Idriss Mze Mogne a commencé son plaidoyer par une citation du Coran. Il a été interrompu par le Procureur de la République, qui aurait rappelé que le Mufti ne veut pas de citations islamiques au Palais de Justice. Réaction étonnante d’un procureur dans un pays où la Constitution affirme que l’État a pour fondement l’islam.
Interrompu par le Procureur de la République, l’avocat est sorti de la salle d’audience. Interrogé par un journaliste, il aurait dit que le procureur est un « petit ». C’est cela qui a mis hors de lui le magistrat qui a exigé et obtenu une sanction hors du cadre légal. Habitué à la peur que ressentent généralement les avocats face aux juges, il n’a pas imaginé qu’ils pourraient réagir.
Me Mohamed Abdouloihabi avait prévenu que les juges ayant agi en dehors du cadre légal, il se pourrait que la réponse ne soit pas non plus conforme au droit. Une grève de 48 heures a débuté dès le lendemain. Elle ne semble pas avoir eu d’impact sur le fonctionnement de la Justice.
La grogne des avocats s’installe
Mais, les avocats avaient annoncé qu’ils durciraient le mouvement après deux jours de grève, si les sanctions contre leur collègue ne sont pas levées. Ils ont donc décidé d’organiser « un sit-in » au Palais de Justice, demain mardi 14 juin et ont appelé les médias à venir les écouter.
Entre-temps, une délégation menée par le bâtonnier a été reçue par le ministre de la Justice. Peu d’informations ont filtré sur cette entrevue, toutefois, un avocat qui a requis l’anonymat nous a fait part d’une promesse de soutien de la part du ministre.
En réalité, plusieurs avocats restent volontairement en marge. Ils n’ont toujours pas avalé la manière dont le bâtonnier actuel s’est imposé par un semblant d’élection et comment « les mêmes juges qu’il critique aujourd’hui ont manipulé les lois pour le mettre en place », nous confie l’un d’eux. Il n’y a pas que le bâtonnier. De nombreux avocats savent qu’ils ne doivent leur prestation de serment qu’au non-respect du droit de la part du bâtonnier précédent ou même d’un juge ou d’un ministre de la Justice qui a fait prêter serment à des avocats à Mwali, avant même la création du barreau de cette île.
Il reste à espérer que cette bataille entre avocats et juges finisse par éliminer définitivement des pratiques qui sont loin de la déontologie et des règles de loi dans les deux camps. Ce que le bâtonnier Mohamed Abdouloihabi et les avocats qui l’entourent demandent aux juges, ils devront l’exiger d’eux-mêmes. Ce ne serait pas un abus que de demander à un homme de loi de respecter la loi, juge ou avocat.
Me Djamal Eddine Bacar : « Nous sommes d’accord à ce qu’un avocat qui aurait commis une faute soit sanctionné, mais ce n’est pas au Tribunal de le sanctionner, à moins que ça soit un outrage à magistrat et que ce dernier peut juger l’avocat sur place. Mais, les sanctions devant être prises contre les avocats doivent émaner d’une décision rendue par le Conseil de l’ordre. Ce qui se passe est qu’une pratique s’est instaurée et fait que les avocats sont souvent privés de leurs droits, font souvent l’objet d’arrestation… et pour nous ce n’est pas légal. On a des procédures qui régissent les écarts des avocats (loi sur la profession de l’avocat) comme on a des procédures qui régissent les écarts des magistrats (loi sur le Conseil supérieur de la magistrature). Nous demandons tout simplement le respect mutuel de tous les acteurs du milieu judiciaire, le respect des règles qui régissent chacun de ces acteurs. »
Me Ahmed Ben Ali : « Ce vent de révolte des avocats du barreau de Moroni, conduit par le bâtonnier ABDOULOIHAB Mohamed, dénonce la dictature des juges du palais de justice de Moroni. À l’origine de ce conflit, une « note d’information » du greffier en chef de la cour d’appel et un papier signé par les quatre chefs de juridictions qui suspendent illégalement Maître Idrisse Mzé Mogne de son métier d’avocat, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Il s’agit plus de « décisions » qui ternissent davantage l’image des juges comoriens et de la justice de notre pays qu’une humiliation des avocats du barreau de Moroni. »