Poète et photographe, Mab Elhad parle à cœur ouvert de sa passion et de son art. Il a exposé ses photos à partir du 15 novembre 2021 à l’Aliance franco-comorienne de Moroni.
Propos recueillis par Hachim Mohamed.
Masiwa – Depuis l’arrivée des smartphones chacun s’improvise photographe. Comment êtes-vous arrivé à ce métier vous ?
Mab Elhad – Permettez-moi d’abord d’exprimer ma gratitude à l’équipe de Masiwa et saluer vos lecteurs dont je fais partie.
Pour répondre à votre question, je dirais que le Smartphone a révolutionné la pratique de la photographie, en ce sens qu’il a favorisé le développement de la pratique de cet art notamment chez les plus jeunes d’une part, mais a aussi facilité le traitement de l’image pour les professionnels. Avec le temps, la prise de vue téléphonique rivalise avec les appareils photos professionnels. Il n’y a pas si longtemps, ce n’était pas donné au commun des mortels d’être photographe, il fallait user de technicité et d’alchimie pour réaliser une photo. Lorsqu’en 2002 l’appareil numérique a fait son apparition, tout le monde s’est mis à faire de la photo. Je me rappelle que dans les années 1990 et jusqu’en 2001, j’avais été retenu pour la couverture des reportages du Système des Nations Unies aux Comores où on peut encore trouver les albums que je réalisais de leurs manifestations. Et du jour au lendemain, l’appareil numérique est venu tout chambouler. Avec ces appareils là on n’a pas besoin de faire une école de photographie puisque, comme par enchantement il suffit d’appuyer sur un bouton. En ce qui me concerne, je suis venu à la photo avec un instamatic Agfa à la fin des années 1970. Une fois engagé dans la Gendarmerie, j’ai fait de la photographie forensique (judiciaire) au Centre de Perfectionnement en Police Judiciaire (CPPJ) de Fontainebleau en France, lors de la formation en Police Technique et Scientifique à l’Ecole des Sous-Officier de la Gendarmerie française.
Masiwa – Nous savons qu’il y a plusieurs sortes de photographes, dans le métier on peut être soit amateur, soit professionnel, soit photographe de mode ou encore d’art, dans quel registre vous situez-vous ?
Mab Elhad – Après la Gendarmerie, j’ai eu le privilège d’être le premier photographe de l’Armée nationale de Développement (AND). J’ai aussi j’ai fait partie des deux premiers photographes de La Gazette des Comores avec Ibrahim. J’y ai effectué plusieurs reportages avant de devenir chroniqueur culturel. Retraité de l’armée, je me suis converti dans la photographie artistique. J’ai commencé à exposer en 2001 à l’Alliance Française. Je me considère donc comme appartenant à la famille des photographes humanistes avec pour registre la photographie de paysages et de rue. Avec mon diplôme en management de la sécurité, je continue à faire des photos professionnelles dans le cadre des audits de sécurité.
Masiwa – Racontez-nous ce qu’a été votre parcours ?
Mab Elhad – Des années durant j’ai exercé dans la photographie de la scène de crimes, de la reconstitution des faits et j’ai eu plusieurs félicitations certifiées pour avoir contribué à la résolution de certaines affaires, grâce au regard posé par l’appareil photo et qui à chaque fois a contribué à retenir l’essentiel de la scène du crime. Pour moi la photographie est une passion qui m’a permis d’être récipiendaire de trois trophées photographiques dont le Trophée « Carrefour des créateurs de l’Océan Indien » (2004) gratifié par l’Union des Artistes Réunionnaise. En 2005, j’ai été récompensé par le Conseil Delphique à l’Hôtel Colbert à Antananarivo et un extrait d’un poème de mon premier recueil figure sur les billets de banque de 1000 et 2000FC. Et en 2021, j’ai été récipiendaire du Trophée Alôfe-Sékou de la SEPHOB au Bénin. Faire de la photographie artistique, c’est effectivement tout un art qui demande de la patience, de l’imagination et un regard attentionné. J’estime que ces trois trophées sont l’expression d’une reconnaissance internationale, même si chez nous les artistes n’ont aucune considération. Mais, quand je vois des talents comme Barra, Medas ou Mahamoud Ahmed Bacar (Doudou) pour ne citer que ceux-là dans le domaine de la photographie, j’estime que la photographie a de beaux jours devant elle dans notre pays.
Masiwa – Pouvez-vous nous donner quelques exemples de moments émouvants que vous avez réussi à capter ?
Mab Elhad – La plus belle photo que j’ai vendue, et la plus chère, était une photo que j’ai ratée d’un sambe. Une prise de vue que j’ai faite avec une vitesse de 15 secondes. Le ralenti a donné un charme qui a fait que cette photo fut très appréciée ? Je l’ai appelé « La danse du tournis ! » Cela donne l’impression d’un tableau de couleur enrichi d’un mouvement surimpressionniste. C’est la photo de la couverture de mon dernier recueil de poèmes Regard biaisé, qui contient des photos et des anagrammes, mais qui est épuisé sur le marché local.
Masiwa – Quels liens faites-vous entre la poésie et la photo ?
Mab Elhad – La poésie, les calligrammes comme la photographie sont trois formes d’écritures complémentaires avec différentes formes d’expressions. La Photographie m’inspire certains textes et vice versa. D’ailleurs dans ma carrière de gendarme, certains ne comprenaient pas qu’étant si sentimental, j’ai embrassé une carrière de rigueur.
Masiwa – Qu’est-ce que vous aimez le plus immortaliser avec votre objectif ?
Mab Elhad – J’aime immortaliser le temps et l’espace ! Ceux qui ont lu mon dernier recueil l’ont compris. J’ai toujours pensé que le photographe comme le poète sont des témoins oculaires de leur temps. Ils doivent les marquer et se les approprier ! J’ai des photos de mon enfance qui aujourd’hui m’interpellent sur la transformation de mon environnement et des relations humaines. Ne dit-on pas en comorien : « Ko zakaya zi liyo ? », cela en dit long sur le temps qui s’écoule sur un espace qui ne retient rien. Eh bien oui ! rien n’est plus comme avant et rien ne sera plus comme aujourd’hui ! Le plus important, c’est de laisser une trace de ce que notre regard à travers la caméra aura retenu. Ma dernière exposition qui débute ce 15 novembre 21 en est l’illustration type. J’estime que le photographe a le devoir de questionner son temps. C’est ce que j’essaie de comprendre dans cette 16e exposition qui porte sur les pratiques des rites sacrés et des rites profanes sur les sites touristiques. Des pratiques animistes dans un monde musulman. Des aspects insolites de notre patrimoine immatériel que nous sommes censés valoriser culturellement pour favoriser l’analyse des mécanismes et facteurs de transformations dans leurs aspects environnementaux et philosophiques
Masiwa – Comment replacer les choses dans le temps, dans l’Histoire, et contribuer à la protection du patrimoine culturel ?
Mab Elhad – Tant que nous ne commencerons pas par reconnaître l’artiste, on aura du mal à valoriser notre patrimoine culturel. Il nous faut un répertoire national et le catalogue qui va avec, pour identifier nos richesses culturelles et nos talents. Nous avons des jeunes qui ont des talents et qui ont quitté très tôt les bancs de l’école, et auxquels l’État devait se donner la peine de créer une école artistique pour les valoriser. Certes notre pays a ratifié plusieurs conventions relatives à la valorisation de la culture, des ateliers et colloques ont été tenus, mais tant que la culture reste l’enfant pauvre de la nation, nous n’aboutirons à rien de concret.
Nous revendiquons tout simplement un ministère de la culture. Ce n’est pas le 1 % du budget consacré à la culture qui va nous relever des carcans qui bloquent l’épanouissement de la culture comorienne. La créativité est une substance qui s’entretient et se cultive. Ailleurs, on suscite des résidences de création et des ateliers de formation. Au cours de mon séjour au Bénin, à l’occasion de la semaine de la photographie, on m’a sollicité pour donner une formation relative à mon expérience, parce que tout simplement, eux, ils croient à la valeur du patrimoine culturel. Aujourd’hui la photographie est devenue la cheville motrice du témoignage de l’histoire sous toutes ses formes.