Les événements dramatiques ne cessent de s’enchainer aux Comores. Le mercredi 10 novembre, après l’assassinat d’un homme à Ndzaouze, les jeunes ont laissé éclater leur colère, bloqué la route nationale et détruit des véhicules de particuliers. Le lendemain l’Armée nationale de Développement est intervenue pour nettoyer la route. Puis, tandis que la nuit s’installait, elle s’est livré à un saccage systématique des maisons aux abords de la Nationale et autres biens de ce village situé au nord de la Grande-Comore. Par MiB
En moins d’un mois, l’île de Ngazidja a connu trois crimes crapuleux dont deux ont entrainé la mort. Le 24 octobre dernier, le dénommé Cheytoine a agressé à l’arme blanche à Mitsamihuli-ville un jeune homme et il est toujours en fuite. Le 7 novembre, c’est un notable de Moroni, la soixantaine, qui a été tué. Et voici que trois jours après, un homme a eu le crâne fracassé par son ami à Ndzaouze.
Des jeunes en colère
Pour Ndzaouze, c’est le deuxième assassinat cette année. En effet, le 15 mai dernier, Hamada Msaidié, un homme âgé d’environ 55 ans, a été retrouvé décapité. Le présumé assassin est en prison, depuis, sans jugement.
Donc, dès que les habitants ont appris qu’un homme a été assassiné dans leur village, les nerfs étaient à vif. Ils exigent de connaître l’identité de l’homme. Ils veulent savoir si c’est encore un habitant de la ville. Les gendarmes leur ont fait croire que le mort n’était pas de Ndzaouze. Les jeunes voulaient en avoir le cœur net. Ils ont donc harcelé les gendarmes pour voir le corps. Ceux-ci décident d’envoyer l’assassin à la gendarmerie de Moroni pour lui éviter les foudres des habitants, qui sont persuadés qu’il n’y a rien à attendre de la Justice. Mais, jusqu’au soir, les jeunes de la ville ont exigé de voir le corps de l’homme assassiné et ils ont fini par le voir. Il s’agissait bien d’un habitant de la ville, charpentier de la commune, selon le maire.
Après l’enterrement, le soir même, les jeunes de Ndzaouze, en colère, ont décidé de barrer la route nationale. Même le maire de la commune, présent à la cérémonie n’a pas pu passer et a dû laisser sa voiture dans la ville. Il l’a retrouvée le lendemain saccagée, sans pouvoir déterminer quels étaient les auteurs du délit. Le soir du 10 novembre, plusieurs voitures sont détruites par les jeunes, le 11 l’Armée nationale a fait de même. Le point d’orgue de la violence des jeunes est l’incendie de la gendarmerie. Fort heureusement, il n’y avait sans doute qu’un ou deux gendarmes de permanence qui ont pu fuir.
La contre-attaque de l’armée
Jeudi matin, les militaires font d’abord face aux jeunes de Ndzaouze au niveau de la ville de Djomani. Puis, ils ont commencé à remonter la route pour enlever les troncs d’arbres et autres objets qui obstruaient la route. Ils ont même embarqué pendant un moment dans un pick-up quelques journalistes pour leur montrer les dégâts commis par les jeunes en colère et le fait qu’ils étaient là pour rétablir la situation. Puis, ils ramenèrent les journalistes en arrière pour entreprendre un assaut sur la ville. Les journalistes avaient alors interdiction de les suivre ou d’entrer dans la ville. Après le blocus mis en place par les jeunes, les gendarmes n’hésitent pas à établir leur propre blocus du village.
Pendant plusieurs heures, jusqu’à tard dans la nuit, les militaires ont parcouru la nationale en saccageant les maisons qui sont au bord de la route, sans témoins sinon les habitants qui n’avaient pu fuir par mer vers Djomani. En effet, les pêcheurs de la ville voisine ont pris le risque de faire des allers-retours entre les deux villes pour évacuer les femmes et les enfants et les empêcher de subir la colère de l’Armée nationale. Certains ont témoigné dans les réseaux sociaux que même en mer, ils ont essuyé des tirs de l’armée.
Mais, ce n’est qu’au matin, quand la ville est enfin de nouveau accessible que les gens se rendent compte du désastre, conséquence de l’assaut de l’armée. Plusieurs lanceurs d’alerte et journalistes sont sur place et filment la ville et les maisons, de l’extérieur et de l’intérieur. Les habitants ramassent les restes de projectiles et de grenades. Ils constatent que les vitres des maisons ont été cassées et les portes parfois défoncées. À l’intérieur des maisons, les meubles ont été renversés et détruits. Les maisons ont été systématiquement fouillées. Un originaire du village nous a affirmé que de l’argent a été volé dans la maison familiale.
Mission accomplie
Après avoir renversé et cassé les effets personnels dans les maisons, particulièrement les écrans de télévisions, l’armée a quitté la ville. Elle a voulu revenir le matin, mais les habitants étant très remontés, elle a préféré rebrousser chemin.
Depuis lors, il y a une certaine tension dans le village, mais aussi dans toute la commune et même dans la région de Mitsamihuli-Mbude.
Certains habitants de la ville de Ndzaouze ont déploré le fait que ceux qui se plaignent en permanence de l’absence d’un État de droit n’ont pas suivi ce mouvement pour lutter en faveur de l’instauration de la démocratie. D’autres font des reproches aux habitants des villages limitrophes et particulièrement à ceux des autres villages de la commune dont Mitsamihuli, le chef-lieu qui ne leur ont pas apporté de l’aide, comme l’ont fait les habitants de Djomani.
Carence de justice
Le maire de la commune, Abdou Ntsode, ne croit pas que les reproches proviennent de l’ensemble du village. « C’est l’heure de l’apaisement et nous nous y attelons ».
Plusieurs habitants du village ont été amenés au camp militaire de Mdé. Il y avait au départ neuf femmes, dont une enfant de 17 ans qui souffre encore à cause des coups qu’elle a reçus, selon une source du village. L’armée a d’ailleurs dû relâcher le soir même (jeudi) l’une des femmes qui a eu un malaise, puis l’ensemble des femmes le vendredi soir, après plusieurs négociations. Il resterait encore treize hommes au camp de Mdé. Aucune procédure judiciaire n’a été engagée contre eux depuis leur « enlèvement » jeudi soir. Par contre, la même source du village de Ndzaouze affirme que l’armée demande 500.000 FC (1000€) au village pour libérer ces hommes. Cette somme devrait servir à remettre en fonctionnement la gendarmerie de Mitsamihuli saccagée par la population mercredi soir.
Bien des commentateurs expliquent le regain de violence actuel par le fait d’une défaillance de la Justice. Et il est vrai que cette défaillance encourage la violence, chacun se disant qu’il ne sert à rien de faire appel à cette justice. Le saccage de maisons, l’enlèvement d’hommes, de femmes et d’enfants par une armée régulière, le fait qu’ils soient parqués dans un camp militaire et soumis à de travaux forcés, sans qu’aucun juge éprouve le besoin d’intervenir montre bien que nous sommes dans un pays où il n’y a plus que l’apparence de la Justice. Jusqu’à ce dimanche ni le porte-parole originaire de la région, ni le ministre de la Justice qui aime tant parler, ni les religieux, ni les notables, ni la Présidente de la CNDHL n’ont pris la parole pour dénoncer les actes inqualifiables de l’Armée nationale à Ndzaouze.