Avec La rédemption des iguanes, paru aux éditions Cœlacanthe en 2018, Ahmed Bacar Rezida offre aux lecteurs une allégorie bien ficelée de la société et la politique comorienne. Par Nawal Msaidié
La rédemption des iguanes oscille entre le roman policier et le pamphlet politique. Pour ce premier roman, Ahmed Bacar raconte l’histoire d’un coup d’État qui a presque réussi. Un coup d’État perpétré aux Comores… L’intrigue se déroule entre Ngazidja, Ndzuani, Maore, les côtes malgaches et fait même un détour en Turquie.
Un haut gradé de l’armée comorienne réussit grâce à la science un subterfuge extraordinaire : il prend la place du Raïs en usurpant son identité avec l’aide de plusieurs proches de ce dernier. Le roman raconte le coup d’État, de sa préparation à son exécution et le combat pour le président déchu pour reprendre son pouvoir.
Des personnages familiers
Azali, Sambi, Ikililou, Tadjidine, Aniwar, Bob, Hadjira, Kamar Eddine Saindou voici les noms de personnages du roman. Des noms bien loin d’être ceux d’inconnus pour tout lecteur comorien qui reconnaît des noms de personnalités qui ont marqué et qui marquent encore l’histoire politique des Comores. L’habileté de l’auteur est de ne pas forcément leur assigner le rôle que l’Histoire leur a donné. Les cartes sont constamment redistribuées. On ne s’attache pas à lire des paraphraser d’une histoire politique connue de tous, on plonge dans une fiction qui s’inspire de celle-ci.
Le terme « Raïs » désigne à la fois la fonction de président, mais c’est aussi le nom du personnage principal. Tout au long du roman, le designer ainsi a participé à la construction de l’allégorie.
L’effet bis repetita
Une analyse du titre du roman nous permet d’entrer progressivement dans le sens de l’histoire. Le mot « rédemption » suppose qu’il y a au final une leçon tirée des erreurs du passé, ce qui peut susciter un sentiment d’espoir.
Pourtant l’utilisation du mot « iguane » semble remettre en cause cet espoir, car comme son cousin le caméléon, au-delà de son aspect passif et observateur, il réussit aussi à prendre différents aspects pour s’adapter, semble-t-il, à son environnement.
Le récit débute par une prise de pouvoir perfide, se poursuit sur le montage et le dénouement d’un complot et se finit sur une prédiction d’une future « guerre fratricide ».
Rappelons-nous que depuis la prise de l’indépendance des Comores en 1975, presque chaque nouveau mandat électif ou issu d’un coup d’État se fait sur fond de crise politique et sociale.
Le fait donc de plonger son roman dans l’histoire des Comores et de prendre les noms de personnages connus, c’est déjà créer une atmosphère connue des Comoriens. L’auteur, Comorien de naissance fait de perpétuelle répétition qui empêche une avancée politique notable de l’archipel. Le message est donc que nous avons toujours les mêmes personnages, toujours les mêmes centres, toujours les mêmes complots et toujours les mêmes issues.
Le roman policier
Pour le lecteur qui ne connaît pas les Comores, La Rédemption des iguanes reste sûrement une œuvre qui par certains aspects rappelle Agatha Christie ou encore Sir Arthur Conan Doyle et en cela c’est un très bon roman policier.
Pour un Comorien sensible à l’histoire de son pays, il s’agit surtout d’une analyse critique de la société comorienne en prise avec son histoire.
On pourrait donc croire que la conclusion de l’auteur peut plonger le lecteur dans un désespoir profond, mais peut-être que ce genre d’analyse est nécessaire pour lancer les graines d’une nouvelle société laissant place à des visages et des noms nouveaux…
Avec ce premier roman, Ahmed Bacar Rezida confirme qu’il est un conteur, un écrivain qui sait raconter des histoires. Il a d’ailleurs publié son premier livre également aux éditions Coelacanthe, Trois contes des Comores, des histoires qu’il a totalement imaginées, et qui présentent l’avantage de plaire aussi bien aux enfants qu’aux adultes.
Ahmed Bacar Rezida, La rédemption des iguanes, Coelacanthe, 2018, 15€.