Située à Patsy, dans l’île d’Anjouan, la société Coca-Cola, autrefois fleuron de la production de boissons gazeuses aux Comores, traverse une période sombre.
Par Mouayad Ahmed
Créée en 1975 comme une simple usine de mise en bouteille d’eau, cette entreprise a été rachetée en 1996 par une filiale de Coca-Cola, installée en Afrique du Sud. C’est celle-ci qui a introduit les célèbres sodas dans les foyers comoriens. Depuis, elle est devenue un pilier économique, employant des centaines de travailleurs et soutenant indirectement de nombreuses familles. Cependant, un constat s’impose aujourd’hui : Coca-Cola à Patsy est à bout de souffle.
Des problèmes techniques ou un malaise plus profond ?
En 1996, le rachat des actions de la Société des Eaux de Patsy par Coca-Cola a marqué un tournant décisif pour l’entreprise. Si le grand siège de la société se trouve désormais au Kenya, les activités sur le sol comorien ont toujours été pilotées localement. Des familles influentes comme celles de feu Ahmed Abdallah ou de Mohamed Ahmed détiennent encore des parts importantes dans l’entreprise. Par cette gestion mixte, Coca-Cola a su dynamiser l’économie locale tout en assurant un lien direct avec ses racines internationales.
À Anjouan, l’usine principale de Patsy a longtemps été une fierté nationale. Les boissons mises en bouteilles (en verre), plébiscitées par de nombreux consommateurs, étaient distribuées non seulement à Anjouan, mais aussi à Ngazidja et Mohéli avec des dépôts régionaux. Pourtant, depuis trois ans, cette structure autrefois prospère se retrouve en proie à des difficultés qui compromettent son avenir.
Selon Mchindra, un haut cadre de la société, les ennuis actuels de l’entreprise trouvent leur origine dans des pannes techniques. Des équipements essentiels seraient hors service, nécessitant des réparations coûteuses que la société peine à financer. Ce discours officiel ne convainc pas tout le monde.
Un employé, ayant requis l’anonymat, évoque d’autres facteurs. « On a le sentiment que l’État ne soutient pas assez cette société, alors qu’elle joue un rôle crucial dans le tissu économique local. Elle nourrit des familles et permet à des jeunes de travailler dignement. Pourquoi cette indifférence ? » s’interroge-t-il.
Cette absence de soutien étatique est d’autant plus incompréhensible que Coca-Cola, malgré ses origines étrangères, est une entreprise citoyenne. Elle a permis à de nombreux Comoriens de trouver un emploi stable, tout en contribuant aux recettes fiscales du pays. Avec une centaine d’employés touchés directement par les réductions d’activités, la société perd de sa capacité à embaucher et à dynamiser l’économie.
Une menace pour les petits commerçants et les consommateurs
Les difficultés de Coca-Cola ne touchent pas seulement ses employés. Les petits commerçants, qui dépendaient de la disponibilité des boissons en bouteilles de verre, subissent également les conséquences de cette crise. Abdou de Vassy et Omar de Bandrani, deux détaillants bien connus, expriment leur inquiétude : “Les consommateurs préféraient les Coca-Cola locaux. Maintenant, on est contraints d’importer des boissons d’autres pays comme la Tanzanie, ce qui nous coûte plus cher et menace nos marges.”
Ces témoignages mettent en lumière une contradiction flagrante. Alors que les autorités comoriennes prônent une politique d’émergence économique, elles semblent négliger des entreprises stratégiques capables de jouer un rôle clé dans ce processus.
Le contraste avec d’autres pays africains
Dans de nombreux pays africains, Coca-Cola reste un acteur majeur de l’économie. Au Kenya, en Afrique du Sud ou encore en Côte d’Ivoire, l’entreprise contribue à la création d’emplois, au développement de compétences locales et à l’essor de l’exportation. Même en période de crise, ces pays ont su maintenir leurs usines opérationnelles grâce à une collaboration étroite entre les actionnaires, les employés et les autorités publiques.
Pourquoi cette dynamique est-elle absente aux Comores ? Certains observateurs pointent du doigt une mauvaise gestion locale ou un désintérêt croissant des grands actionnaires. D’autres dénoncent un manque de volonté politique de la part de l’État, qui semble ignorer les appels à l’aide des entreprises en difficulté.
Un manque de stratégie économique
Les Comores, pays en quête d’émergence, ne valorisent pas suffisamment leurs ressources et leurs entreprises stratégiques. La crise que traverse Coca-Cola à Patsy est un symptôme d’un problème plus large : l’absence de soutien concret aux entreprises locales, qu’elles soient industrielles ou artisanales.
Si l’État souhaite réellement atteindre ses objectifs de développement, il doit mettre en place des mécanismes d’accompagnement pour les entreprises en difficulté. Ces mécanismes pourraient inclure des subventions ponctuelles, des exonérations fiscales ou encore des partenariats public-privé pour financer la modernisation des infrastructures.
Coca-Cola à Patsy n’est pas un cas isolé. D’autres filières stratégiques, comme celle de l’ylang-ylang, sont également en déclin. Anfouanlou, un passionné de cette filière basé à Bimbini, tire la sonnette d’alarme : “L’ylang-ylang est une richesse emblématique des Comores. Pourtant, la filière est négligée et manque cruellement de soutien. Si rien n’est fait, ce patrimoine risque de disparaître.”
Ces situations qui se répètent au niveau national illustrent un problème systémique : le manque de vision et de stratégie économique des autorités comoriennes. Au lieu de miser sur leurs atouts locaux pour bâtir une économie résiliente, elles laissent des secteurs vitaux s’effondrer.
Quand le vide profite à d’autres
L’affaiblissement de Coca-Cola à Patsy ouvre la voie à une montée en puissance des importations. Les boissons en provenance de Tanzanie, notamment les colas et les boissons énergétisantes, envahissent le marché local. Si certains commerçants en tirent profit, cette tendance fragilise davantage les entreprises comoriennes en réduisant leur part de marché.
Ce phénomène pose également une question cruciale : que deviennent les employés laissés sur le carreau ? Sans revenu, ces chômeurs techniques se retrouvent en grande précarité, aggravant les tensions sociales et économiques dans un pays déjà marqué par un taux de chômage élevé.
Le cas de Coca-Cola à Patsy doit servir de catalyseur pour une réflexion plus large sur la politique économique aux Comores. Les autorités doivent comprendre que l’émergence passe par le soutien aux entreprises locales et le développement de partenariats stratégiques.
L’entreprise Coca-Cola à Patsy peut être relevée assez rapidement par un plan combinant trois facteurs. D’abord, les grands actionnaires de la société doivent agir et clarifier leur position en réaffirmant leur engagement envers l’entreprise. Ensuite, l’État doit soutenir Coca-Cola par des facilités douanières afin que la société puisse importer les pièces nécessaires à la réparation des machines ou lui accorder des subventions pour relancer la production. Enfin, les consommateurs et les petits commerçants peuvent jouer un rôle essentiel pour la relance de Coca-Cola Patsy en réduisant l’importation de cocas produits dans d’autres pays et en soutenant celui produit dans le pays.
Le déclin de Coca-Cola à Patsy est un signal d’alarme pour l’ensemble de l’économie comorienne. Cette entreprise, autrefois synonyme de prospérité et de dynamisme, est aujourd’hui à genoux. Si rien n’est fait, elle risque de rejoindre la longue liste des opportunités gâchées.
Pour éviter ce scénario, il est impératif que les autorités, les actionnaires et les acteurs locaux unissent leurs forces pour redonner à cette société l’énergie et la vitalité qui ont fait sa renommée.