En prélude à la Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains, le sixième « Café Médias » tenu par le Coordonnateur-Résident des Nations Unies le 25 juillet dernier avait pour thème la lutte contre la traite des personnes et la criminalité maritime aux Comores.
Par Hachim Mohamed
Dans le monde la traite des femmes et des enfants rapporte plus que le trafic illicite des armes et de la drogue.
« À mon arrivée aux Comores, il y a deux ans, j’avais demandé si la traite de personnes y existe. On m’avait dit non. En fait, la traite des personnes est quelque chose d’universel. Pour l’Union des Comores qui ne répondait pas entièrement aux normes minimales pour l’élimination de la traite, le pays a toutefois fait des efforts considérables dans la lutte contre le fléau, dans la mesure où depuis le 18 juillet le pays qui était placé sous surveillance dans la catégorie 3 de la traite de personnes a gagné une place en passant de la catégorie trois à celle de 2 selon une note verbale de l’Ambassade des États-Unis qui informait de ce classement », affirme le Coordonnateur-Résident, François Batalingaya.
Les différents interlocuteurs venant de Beit-Salam, des Affaires étrangères et de l’Unicef entre autres ont évoqué une série d’engagements visant à criminaliser la traite des personnes, à protéger les nombreuses victimes et à prévenir le phénomène. L’accent dans les différentes prises de parole a principalement été mis sur l’établissement de stratégies, la prise en compte de la situation du pays, son cadre juridique et la coopération avec les services compétents dans la lutte contre ce phénomène.
Dans le cadre de la responsabilité donnée au Bureau de la surveillance et de la répression de la traite des personnes, notamment celle de la combattre et l’éradiquer, le rapport annuel du département américain reproche à l’Union des Comores l’absence de procédures opérationnelles standard pour l’identification de la traite, en particulier parmi les groupes vulnérables tels que les enfants employés de maison, les enfants placés dans les familles et les enfants scolarisés dans les écoles coraniques.
La violence culturelle
Il y a eu en 2021, six cas de victimes de violences culturelles, des jeunes filles entre 11 et 17 ans.
Les services d’écoute et de protection des enfants et femmes victimes de violences de l’Union des Comores ne disposent pas de statistiques qui reflètent fidèlement ce que subissent physiquement, sexuellement, économiquement, psychologiquement ces groupes vulnérables.
En revanche, dans la société comorienne des femmes sont reconnues comme victimes de violence économique. Elles dépendent entièrement de leur mari, à qui elles ont été souvent mariées trop tôt sans qu’elles n’aient le temps de finir leurs études ou trouver un travail. Une fois séparées de leurs maris, elles se retrouvent sans emploi, sans sources de revenus pour subvenir aux besoins de leurs enfants en bas âge.
Pour les filles placées dans les familles pour le besoin dans un premier temps d’aller à l’école et avoir une bonne éducation, force est de constater que la réalité est tout autre dans la mesure où ces jeunes filles qu’on appelle « wapampé » subissent, dès leur plus jeune âge, les pires maltraitances au sein de ces familles d’accueil, réduites en esclavage. Et ils ne mettent jamais les pieds à l’école.
« On se rend compte que plusieurs femmes entre 18 et 25 ans ont été victimes de traite en étant enfants, par l’âge de leur enfant et par leur âge également. Majoritairement, les cas de violence culturelle touchent les jeunes filles entre 11 et 17 ans. Ce sont souvent des mariages précoces et des mariages forcés. Jusqu’à présent, aucun cas de victime de sexe masculin n’a été signalé au service d’écoute. Sur la base de l’enquête démographique de santé et à indicateurs multiples, 30% de jeunes filles placées dans des familles en milieu rural et 20% en milieu urbain », a expliqué Dajnia Anzilani, du service de la protection de l’enfance à l’Unicef.
Un avant-projet de loi visant le crime d’exploitation
S’agissant du cadre juridique, les Comores ont ratifié la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir et réprimer la traite de personnes, en particulier des femmes et des enfants.
Mais, cela est insuffisant. Les Comores ne peuvent pas avoir un plan efficace de gestion des risques du phénomène sans un cadre légal bien défini. Sans se conformer aux normes et standards techniques applicables dans ce domaine.
À en croire Faiçoil Mohamed Djitihadi, Directeur général des Affaires juridiques et Politiques au ministère des Affaires étrangères, un avant-projet de loi relatif à la lutte contre la traite des personnes et à la protection des victimes est en cours d’élaboration par son ministère de tutelle. Il estime qu’avec la Brigade des mineurs qui est déjà en place, cette initiative offrira la possibilité de sévir rapidement.
« Le drame de ces filles placées dans les familles, c’est ça qui se passe aux Comores, sans procédure juridique qui formalise ces placements. Pour le cas de Malgaches accueillis dans les familles dans certains villages à Ngazidja, attention aux journalistes qui diffusent sans éthique et déontologie une information sur la traite. En fait, quel que soit le statut d’une personne, elle doit pouvoir compter sur la protection et la jouissance de ses droits humains. En fait, la traite de personnes est un crime d’exploitation et le principe de précaution est nécessaire devant les risques de racket, viols, meurtres, entre autres, dont les personnes à qui on a promis l’eldorado, peuvent être victimes et se voient abandonnés quelque part par des passeurs sans scrupules… », a précisé en visioconférence depuis Nairobi un représentant de l’Unodc (United Nations Office on Drugs and Crime).
Avec la propension à ramener toute traite à l’agression sexuelle, ce partenaire international propose, pour éviter l’amalgame, de séparer la traite de personnes du trafic illicite des migrants.
Alignement des lois nationales et confection d’outils standardisés
Pour les Comores, placées désormais dans la catégorie 2, elles ne sont encore sorties de la liste de pays qui ne peuvent pas établir de partenariat bilatéral avec les États-Unis.
À entendre le modérateur, François Batalingaya, tout comme Faiçoil Mohamed Djitihadi, venir à bout de ce fléau passe d’une part par l’alignement des lois nationales sur les normes et exigences des conventions internationales et la confection d’outils standardisés, d’autre part.
Selon la législation nationale, la traite de personnes lorsqu’elle est commise aux fins d’exploitation de mineurs de moins de 18 ans est punie de dix à vingt ans de prison et trente millions de francs d’amende. Toutefois, les Comores restent un pays qui n’a pas encore les moyens matériels et juridiques idoines pour combattre convenablement le fléau.