Le 20 mars 2025, Mohamed Adam Ali Kaboul s’est éteint, laissant derrière lui un vide immense. L’annonce de son décès s’est rapidement répandue, bouleversant la ville, la région et le pays tout entier.
Par HOUDAIDJY SAID ALI. Juriste Publiciste et Internationaliste, Paris – France
Le mois de mars demeure une période particulièrement marquante pour la ville d’Iconi, à l’instar du 18 mars 1978. En ce même mois de mars, qui coïncide cette année avec le mois sacré du Ramadan, Iconi vient de perdre l’un de ses plus illustres fils. Le 20 mars 2025, Mohamed Adam Ali Kaboul s’est éteint, laissant derrière lui un vide immense. L’annonce de son décès s’est rapidement répandue, bouleversant la ville, la région et le pays tout entier. Une nouvelle qui endeuille profondément tous ceux qui l’ont connu et admiré.

Mohamed Adam Ali Kaboul demeure l’une des figures les plus emblématiques d’Iconi. Son parcours exemplaire, son engagement et son expérience faisaient de lui un homme unanimement respecté. Le surnom qu’on lui attribuait témoignait de sa grandeur et de son influence. Homme de charisme et d’intelligence, il s’est illustré dans divers domaines, mettant son savoir et sa sagesse au service de sa communauté.
Adamo, comme on le surnommait, était une véritable bête politique, fervent défenseur d’une idéologie socialiste libérale. Héritier des grandes figures d’Iconi de l’époque – parmi lesquelles Idjabou Madi, Ali Mze Mnemoi, Hamada Ibrahima Fundi et MSA Fundi –, il militait inlassablement pour une Iconi unie, affranchie des clivages sectaires. Son engagement au sein de l’association Entente et de l’Union des Jeunes et des Scolaires d’Iconi, où il fut un acteur clé, témoigne de son rôle déterminant dans la consolidation de la cohésion sociale et du développement intellectuel de la jeunesse.
Plus qu’un simple acteur politique, Adamo était un passeur de savoirs, un guide pour les générations futures. Nombreux sont ceux qui, considérés comme ses petits frères, ont bénéficié de son encadrement scolaire, tant sur le plan collectif qu’individuel. Il fut une figure incontournable de la scène politique post-indépendance à Bambao et, plus largement, à Iconi.
En outre, Mohamed Adam Ali Kaboul a occupé des responsabilités au plus haut niveau, notamment en tant que ministre de l’Information, de la Jeunesse et des Sports du deuxième gouvernement de feu Said Mohamed Djohar au début des années 1990. Cette période fut cruciale pour le développement des institutions du pays, et Adamo y joua un rôle clé, incarnant l’engagement de la génération de la libération dans la modernisation des Comores.
Son empreinte reste également visible dans les infrastructures locales. Les travaux de rénovation de l’école primaire illustrent son savoir-faire en génie civil, tandis que le rayonnement du Centre de Lecture et d’Animation Culturelle (CLAC) ainsi que la pérennité des associations socioculturelles et scolaires attestent de son engagement sans faille. Dans l’UGSI puis l’UJSI, il fut un artisan et un encadreur de premier plan.
Sur le plan national, Mohamed Adam Ali Kaboul fut un ardent défenseur de l’unité des Comores. Comme l’a souligné Ali Youssouf Chioni, son héritage dépasse les frontières d’Iconi et de Bambao : il appartient à toute la nation comorienne.
Aujourd’hui je peux témoigner, à mon humble niveau, de l’excellence de Mohamed Adam Ali Kaboul dans sa quête d’une Iconi forte et unie. Entre 2012 et 2017, la ville a traversé une période de division profonde, poussant les habitants à se ranger dans des camps opposés selon leurs liens de sang. Une fracture si marquée qu’elle influençait même notre quotidien : bien que partageant les mêmes bancs d’école, nous en venions parfois à refuser de rentrer ensemble, manipulés par une propagande insidieuse. Cette instrumentalisation de la ville par des individus malintentionnés n’avait qu’un objectif : diviser pour mieux asseoir leur pouvoir.
Lorsque j’ai croisé Adamo pour la première fois, je savais qui il était, sans toutefois mesurer l’ampleur de ses accomplissements, mon jeune âge ne me permettant pas encore d’en saisir toute la portée. Ce jour-là, il s’était arrêté au café du port pour nous inviter à monter dans sa voiture et nous emmener à Iconi. Tous mes camarades s’y sont précipités, sauf moi. Conditionné par l’idée que je ne faisais pas partie de leur lignée, j’avais refusé de monter. Voyant cela, Adamo a fait marche arrière, est descendu de la voiture et s’est approché de moi. D’un ton bienveillant, il m’a demandé de monter à bord. Mais face à mon refus persistant, il a pris une décision radicale : il a fait descendre tout le monde et s’est dirigé vers ma maison. Je ne comprenais pas son intention. Une fois arrivé, il salua mon grand-père, feu Ali M’ze, ainsi que ma mère. Ce fut un moment de révélation : il connaissait parfaitement ma famille.
En ma présence, il demanda à mon grand-père de parler de lui-même, dans une volonté manifeste de me faire comprendre les liens familiaux qui nous unissaient. Puis, il s’adressa directement à moi : « Ne te laisse pas instrumentaliser par ceux qui cherchent à diviser Iconi à leur seul profit. Ils sont responsables tout autant de sa chute que de sa grandeur. » Il m’expliqua qu’Iconi ne pouvait exister sans Mramboini ni Harmoimdji, que tout était intrinsèquement lié, et qu’il ne fallait pas sombrer dans des querelles stériles. Cet échange a profondément marqué mon esprit. Dès lors, je suis resté proche de mon meilleur ami de l’époque, refusant de rompre notre amitié pour des conflits vains.
En 2019, après l’obtention de mon baccalauréat, Adamo tint à me rappeler qu’il avait connu mon grand-père et soutenu mon père dans ses études. Il estima donc naturel de me prodiguer à son tour de précieux conseils pour mon avenir universitaire. Mon père souhaitait me voir suivre ses pas en intégrant la marine marchande, mais Adamo, fidèle à son sens de l’écoute et à sa vision pragmatique, me demanda ce que, moi, je voulais réellement. Il envisageait de m’envoyer à Anjouan pour un stage d’initiation, afin de me permettre d’évaluer si ce domaine me convenait. Mais lorsque je lui exprimai mon désir d’étudier le droit, il n’hésita pas une seconde. Il s’adressa immédiatement à mon père et lui annonça que, dans ce cas, ce serait le Sénégal. Il précisa que si j’avais choisi la marine marchande, il m’aurait envoyé au Maroc ou à Marseille.
J’ai tenu cette promesse et suis parti poursuivre mes études. En 2024, lorsque je suis revenu diplômé, nos chemins se sont à nouveau croisés. Son regard s’illumina en me voyant, et il me fit comprendre que, tout comme mon père, je tenais toujours mes engagements. Nous avons échangé longuement, discutant de nombreux sujets, notamment des entreprises d’État et de la bonne gouvernance. Je lui confiai que je me lançais dans un nouveau défi et qu’une autre formation m’attendait. Son soutien fut immédiat et sans faille.
Aujourd’hui, la disparition de Mohamed Adam Ali Kaboul m’attriste profondément. Il incarnait l’héritage des sages, ces hommes qui, à l’image des prophètes, éclairent la voie et guident les générations vers le droit chemin. Que son exemple continue d’inspirer ceux qui, à leur tour, œuvreront pour une Iconi unie et prospère.
Aujourd’hui, nous prions pour que la terre lui soit légère et qu’Allah lui ouvre les portes du Paradis.