L’une des principales conséquences de la rencontre des cultures est la variabilité des plats au sein d’une seule communauté, d’où le concept de « cuisine ethnique ».
Par Noussaïbaty Ousséni Mohamed Ouloubé
La cuisine comorienne, fortement métissée, balance naturellement entre l’Afrique et l’Inde, mais les restaurants proposent désormais des menus très européens et la pizza italienne est la préférée de la nouvelle génération. La gastronomie comorienne bien qu’elle soit peu valorisée en matière de décoration et de dressage ne reste pas moins délicieuse et unique en son genre et si elle semble se faire oublier par les restaurateurs, elle reste le premier choix lors des grandes cérémonies et l’un des mets les plus célèbres n’est autre que le halwa.
Un plat du monde
Le Halwa est l’un des plats les plus célèbres du monde, car il est apprécié dans plusieurs continents : l’Asie, le Moyen-Orient ou l’Afrique, autant de peuples qui partagent un trésor pour les papilles dont le nom lui-même d’origine arabe signifie « douceur ». L’Inde, le Bahreïn, la Tanzanie, les Comores, la Roumanie entre plusieurs autres pays du monde ont en commun cette recette qui serait originaire de l’Iran et qui serait faite à l’origine à base de sésame. Comme tout fait culturel, les recettes évoluent et s’adaptent à leurs nouvelles cultures quand elles voyagent de par le monde et chacun en réclame la propriété. Ainsi, ce dessert coloré est préparé de différentes manières et les ingrédients aussi changent d’un pays à un autre.
En Inde, comme dans d’autres pays de l’Asie, sans oublier l’Île Maurice qui, elle, se trouve en Afrique, il est préparé avec du ghee, du colorant alimentaire, du lait, du sucre et de la semoule, sans oublier les épices telles que la cardamome. Au Bahreïn, comme en Tanzanie, la semoule est remplacée par la fécule de maïs et souvent d’autres ingrédients comme l’huile de colza ou la noix de muscade sont rajoutés. Apporté par les Turcs en Roumanie, le halwa est là-bas fabriqué avec des graines de tournesol et est même fourré avec du chocolat. La texture et le goût de ce dessert qui porte quasiment le même nom à quelques différences près, dépendent de sa composition, mais à part les quelques audacieux qui ont essayé des versions salées, cela reste une recette très sucrée qui plait à tout le monde.
Aux Comores, le plus délicieux des halwa
Il existe des halwa différents partout dans le monde, mais le meilleur bien que moins connu reste celui des Iles Comores. Fabriqué à partir de la fécule d’une plante tropicale appelée arrow-root, le halwa comorien a une magnifique consistance qui le rend exceptionnellement beau, brillant et surtout délicieux. Le nom arrow-root qui se traduit par herbe aux flèches vient du fait que ces plantes étaient anciennement utilisées pour guérir les blessures causées par des flèches. Le mot renvoie à plusieurs plantes différentes dont les rhizomes donnent de la fécule et même le manioc est parfois appelé ainsi dans certains pays. Le tacca leontopetaloides ou tout simplement arrow-root de Tahiti connu localement sous le nom de ntrindri est la variété que l’on utilise aux Comores et sa fécule est la plus chère du marché comorien avec un prix qui peut parfois dépasser les 5000FC (10€) au kilo et les plus chanceux peuvent en acheter à 2500FC le kilo si le vendeur est de bonne humeur.
La fabrication de cette fécule est artisanale, longue et fatigante d’où son prix. Il faut commencer par déterrer les grosses racines rondes qui ressemblent à de gigantesques pommes de terre, les porter jusque chez soi, une charge plutôt lourde puisqu’elles sont riches en eau, les peler, les laver, les rapper puis les filtrer pour ne garder que le jus rouge amer. Après quelques heures, l’amidon reste collé sur le fond, l’eau est changée et la même action sera répétée jusqu’à ce que la pâte perde sa couleur rouge écarlate. Elle est ensuite séchée puis conservée. Cette fécule se conserve parfaitement bien pendant plusieurs années et plus elle est vieille plus elle est bonne à utiliser. Elle sert à préparer des porridges que l’on donne souvent aux bébés. Elle est connue pour ses propriétés antidiarrhéiques, mais également pour calmer les maux d’estomac entre plusieurs autres utilisations, mais la principale reste le majestueux halwa.
Une recette luxueuse
Cette recette est luxueuse par son goût et son coût. Entre la fécule de pia, autre nom de l’arrow-root de Tahiti, la vanille qui est l’or noir de la cuisine autant que le safran, car il faut avoir 1000FC pour acheter trois ou quatre gousses, la cardamome qui s’achète à 10000FC le kilo pour le produit local qui est bien plus odorant que celui qui est importé, la cannelle tout aussi couteuse, le ghee ou beurre clarifié, le colorant alimentaire de préférence rouge comme le sang puisque le halwa est aussi doux qu’un cœur, l’eau et enfin une bonne quantité de combustible accompagnée d’une bonne masse musculaire pour pouvoir remuer le produit d’une consistance très gélatineuse. Heureusement que le muscle n’est pas ce qui manque aux femmes comoriennes et encore moins quand il s’agit de préparer des mets de mariage.
Comme toutes les bonnes choses, ce dessert n’est pas à la portée de tous puisque sa réalisation est couteuse et délicate. Beaucoup sont ceux qui ne le mangent que pendant la saison des grands-mariages, car il est préparé en grande quantité pour être envoyé chez le marié avec beaucoup d’autres spécialités locales tout aussi sucrées. Il est possible de s’acheter des pâtisseries comoriennes sur les trottoirs de chaque ville, mais le halwa est bien trop précieux pour être trainé ainsi sur les routes. Les restaurants préfèrent vendre la pizza qui se cuisine facilement avec un coût moins élevé et donne aux clients l’impression de vivre une vie à l’américaine, la plupart ignorant que ce plat présent dans presque tous les films américains vient d’Italie.
N’est pas spécialiste du halwa qui veut donc dans chaque ville d’Anjouan se trouve quelques femmes qui seront amenées à le préparer pendant les festivités. Elles sont appelées les Mafundi et se sentent fières de leur talent. La femme choisie par la famille concernée profite toujours plus qu’il n’en faut de cette gloire qui lui permet de diriger la cuisson, le partage et surtout d’avoir la plus grosse part du butin. La délicieuse reine rouge peut semer la haine entre certaines femmes au même titre que les produits rares comme le pétrole et les diamants qui ont causé plus d’une guerre dans le monde.