On dit « notable » en langue française, en langue verte des Comores, le mot c’est « ka’imu ». Ka’imu, qui en arabe, vient du verbe « ka:ma », se dresser, se mettre debout. Ce n’est pas s’allonger verticalement, pied sur terre, être ka’imu c’est être habile. Et dans toutes les cultures, et au sein d’un peuple qui détient et défend ses valeurs, le notable est un élément indispensable pour le bon fonctionnement de la société. De ce fait ce n’est pas un titre ni une classe ordinaire à laquelle n’importe qui peut avoir accès. Ce n’est pas tout le monde qui peut ou qui doit être notable.
Par Said Yassine Said Ahmed, Auvergne-Rhône-Alpes
Qu’est-ce qu’un notable ?
Le notable est une personnalité qui baigne dans une notoriété et une affabilité au sein de la société dans laquelle, il se trouve. Un apôtre de la Paix, un homme conciliant et conscient en toutes circonstances, un gardien de la tradition, donc quelqu’un sur qui le poids de toute une société repose. En public, le notable est guidé par sa probité, son humilité, sa discrétion, sa pudeur et surtout le sentiment d’un homme qui ne cède jamais à la division.
L’œuvre du notable
Aux Comores, la génération d’aujourd’hui ne connait pas la vraie notabilité, morte avant sa naissance. Des gens qui se sacrifiaient et qui misaient tout sur l’honneur pour le maintien des valeurs comoriennes et le bien-être des citoyens. Nos villes et nos villages ont connu des notables dignes de ce nom. Ils véhiculaient la Paix dans nos milieux.
On peut prendre pour exemple la réconciliation de Saïd Mohamed Cheikh et le Mbude, réconciliation d’Ikoni et Moroni, apaisement de la tension née des referendums du 5 novembre 1989. C’était avant. Ces hommes complets, pour ne pas dire parfaits, se connaissaient et se respectaient, de partout où ils se trouvaient même s’ils se situaient loin les uns des autres.
Ces artisans de la Paix et de la sécurité d’autrefois, de nos milieux, partageaient les soucis du pays ensemble. Même s’ils étaient de couleurs politiques différentes, le pays était leur priorité. Avec leurs habits traditionnels, leurs modes de vie, le respect envers eux-mêmes, ces grands hommes, ces grandes figures, ont pu retourner des décisions inacceptables de chefs d’État comoriens. Ils ont fait ces miracles parce qu’ils se respectaient en respectant leurs valeurs et la classe dont ils incarnaient les valeurs, donc ils respectaient les gens. Dans un passé lointain, être notable, c’était aussi savoir dépenser en faveur des populations dont ils se sentaient responsables. La propreté morale et la propreté physique se mariaient et allaient de pair avec l’incorruptibilité. Une richesse qui donnait de l’allure à la société comorienne. Cette classe était en nombre limité. Comme c’est une classe atypique, le notable ne mangeait pas l’heure où les autres mangent. Gardien de la société, il veillait à ce qu’aucun étranger à sa ville ne traine dans les rues sans manger.
Appelle-moi notable
Ces derniers temps, nous assistons au crépuscule vertigineux de la notabilité aux Comores, l’effondrement de cette institution. La notable a été tuée par le moi et le syndrome de l’écharpe. L’anéantissement de cette classe a atteint son apogée. Avec ces hommes, le pays perd ses repères, et c’est le gommage total des valeurs. Plusieurs notions qui sont en perdition dans ce cercle illustrent le trépas d’une institution naguère protectrice. Actions, réactions, tenues vestimentaires, prises de parole, gestion des conflits… des effets synonymes de respect envers soi-même.
Auparavant, dans cette classe des notables, on trouvait des gens qui n’ont pas fait le grand mariage, mais qui disposaient du savoir, de la sagesse, de la probité, de la patience, respectueux et respectés… car lourde était ou est la tâche d’un notable dans sa communauté. L’effondrement de cette classe n’a laissé aucun vestige. Le sérieux s’en est allé, la pudeur est atteinte, les us et coutumes sont gommés, la religion est rendue inexistante… des effets devant être défendus et maintenus par la notabilité. Pour la génération d’aujourd’hui dans cette classe, un carnet d’adresses des malfrats du pays suffit.