En acceptant de jouer ce rôle de bon petit soldat, qui s’attelle à servir l’opium du peuple en se servant de son aura, Bajrafil se met au même rang que ceux qui oppriment notre peuple. Il a choisi l’autre camp, et l’histoire s’en souviendra, tout comme elle se souviendra de ceux qui, dans l’obscurité de la nuit, essuient leurs larmes pour ne pas laisser au pouvoir la chance de les voir pleurer.
Par Khaled Simba
Les rues des Comores sont actuellement chargées de frustration et d’exaspération. Notre pays fait face à des défis majeurs sous le régime du président Azali, avec une population confrontée à des restrictions croissantes de ses droits fondamentaux et de ses libertés individuelles. Les paroles de Karl Marx sur la religion servant à justifier les inégalités sociales résonnent tristement dans le contexte actuel. L’Imam Bajrafil, devenu un maître de cérémonie présidentielle, semble avoir oublié son rôle initial en tant que guide spirituel pour devenir un bon soldat, prêt à lécher les bottes du président Azali jusqu’à s’user la langue.
Connu pour être un orateur influent, son dernier discours a été d’une flagornerie ridicule. Rempli de Salamalecs et de gendre-idéalisme, oubliant complètement la critique constructive qui est censée être le rôle d’un homme de foi, avec un esprit cartésien, dans une société démocratique. L’imam émerge comme une figure qui tente de convaincre la masse populaire que les problèmes du pays découlent de l’abandon de l’éducation religieuse au profit d’une éducation occidentale. Quand il évoque que le temps du Shioni et des corvées du jeudi était plus formateur que l’école maternelle, une analyse critique révèlerait que les problèmes sont beaucoup plus profonds et ne résident pas en nous, le peuple, mais bien en ceux qui nous gouvernent et nous ont gouvernés depuis l’indépendance.
Étonnamment, le colonel Azali ne s’est pas endormi, comme lorsque le grand cadi lui rappelait à l’ordre concernant les défaillances de son ministère de l’éducation.
Mais la perte présumée de valeurs religieuses est loin d’être la cause des maux qui frappent la population comorienne. Et la foi seule ne peut masquer les incompétences des dirigeants et la corruption endémique. L’imam oublie que les éminentes figures religieuses dont il se targue et cite dans son discours, aujourd’hui, sont tombées dans l’oubli parce que l’État a lamentablement échoué à préserver leur héritage. Des figures religieuses qui ont accompli des exploits extraordinaires pour la société comorienne, mais qui ont été laissées dans l’ombre parce que l’État n’a rien fait pour préserver leur mémoire et promouvoir leur enseignement.
Le discours de Bajrafil est rempli de simplicité et brosse l’image d’un peuple élu qui perdrait les bienfaits du seigneur parce qu’il est ingrat et se détournerait de ce qui a fait sa gloire. Mais qui est ce peuple ? Comment peut-on mettre en avant le fait que tout le monde sait réciter le Coran pour parler de réussite ? Nous ne savons pas lire, ou devrais-je dire que très peu savent lire. Au Shioni, ma génération et les plus anciennes ont appris à mémoriser et à réciter sans comprendre un mot. Est-ce là une gloire sur laquelle se vanter ? Moi, j’y vois un échec total. Beaucoup d’entre nous sont incapables de travailler avec des arabophones ou de comprendre un document écrit en arabe, comme en témoignait ce haut responsable du gouvernement de Sambi qui se targuait d’avoir signé un document incompréhensible pour lui, car écrit en arabe.
Dans ce même discours, il vante la méthode classique de la répétition, qui aurait permis à beaucoup de Comoriens de connaître les noms de Dieu, l’ascendance de notre Prophète et bien d’autres aspects de la religion. Mais qu’en est-il de la compréhension de tout cela ? Où est l’amour de notre Prophète Muhammad ? Qui applique les enseignements présents dans les 99 noms d’Allah ? Pas beaucoup, en tout cas, pas celui qui nous gouverne, alors qu’il est le fruit de ces méthodes. Ni la miséricorde ni la justice ne semblent l’inspirer.
Et puis la question se pose la question de ce traditionalisme, cette nostalgie d’une époque passée qui nous a vus ne rien produire pour la société. Comment ce docteur et théologien contemporain espère voir une émergence aujourd’hui avec des méthodes anciennes qui ne sont pas applicables dans ce monde 2.0 ? Comment peut-il dire que la corvée était quelque chose de bien ? Et qu’en est-il des sévices que nous avons subis parce qu’en retard ou absent. De ce fundi qui m’a électrifié par ce qu’a 10 ou 12 ans, je ne me souviens plus, j’ai fait un bisou à une fille lors d’un jeu banal d’enfant, le fameux « stop-bisou ». C’est ce monde-là qu’il veut offrir à nos enfants en 2023 ?
La réalité est que les gouvernements successifs aux Comores n’ont pas suffisamment œuvré pour instaurer une culture de l’excellence éducative, de la justice sociale et des opportunités pour la jeunesse. En acceptant de jouer ce rôle de bon petit soldat, qui s’attelle à servir l’opium du peuple en se servant de son aura, Bajrafil se met au même rang que ceux qui oppriment notre peuple. Il a choisi l’autre camp, et l’histoire s’en souviendra, tout comme elle se souviendra de ceux qui, dans l’obscurité de la nuit, essuient leurs larmes pour ne pas laisser au pouvoir la chance de les voir pleurer.
Pour en revenir à sa thèse, l’Imam Bajrafil semble glorifier le système d’apprentissage de nos anciens, mais il est important de se rappeler que celui-ci n’a pas nécessairement produit des individus capables de comprendre et de résoudre les défis complexes auxquels le pays est confronté. Ceux qui ont été formés par ce système sont certes capables de réciter des passages du Coran, mais ils n’appliquent en réalité rien, car ils n’ont rien compris de ce qu’on leur a appris, comme en témoigne notre président en premier. Le simple fait de mémoriser et de réciter sans compréhension ne suffit pas à résoudre des problèmes structurels.
En fin de compte, l’État comorien a préféré l’opium de la complaisance et de la flagornerie plutôt que de s’attaquer aux problèmes profonds de la société. Le président Azali, qui est celui qui nous a gouvernés le plus longtemps, en porte une très grande responsabilité. Lui et les gouvernements qui l’ont précédé ont choisi de maintenir les masses dans l’illusion que tout va bien, même lorsque les conditions de vie se détériorent et que les droits fondamentaux sont bafoués. Il est grand temps que nous nous réveillions de cette illusion et que nous exigions un leadership véritablement responsable. Car oui, la rhétorique religieuse de Bajrafil ne peut pas masquer la réalité de la mauvaise gouvernance et de l’injustice. Le peuple comorien mérite des dirigeants qui travaillent réellement pour le bien-être de tous, au lieu de chercher à détourner l’attention de leurs propres échecs. C’est seulement alors que nous pourrons espérer un avenir radieux pour les Comores.
En attendant, soyons intègres, soyons citoyens, soyons comoriens, et le meilleur suivra.