La nouvelle du décès du capitaine Rachadi Abdallah, survenu subitement, a choqué les Comoriens de tous bords. Chacun retient l’image du militaire qui a opposé une résistance contre Bob Denard en 1995, mais aussi sa défiance envers le colonel Azali depuis près de 20 ans en refusant l’orientation autoritaire de son ancien chef.
Par MiB
La mort du capitaine Rachadi Abdallah a été annoncée très tôt dans la matinée du mercredi 28 août. L’ancien officier de l’armée comorienne qui s’était converti dans l’entrepreneuriat n’avait pas encore atteint l’âge de 60 ans. Comme chaque année pendant la période estivale, il se trouvait aux Comores.
Bien qu’il soit à la fois originaire de Maweni ya Mbude par sa mère et de Moroni par son père, c’est dans la maison familiale de Moroni qu’une foule, composée de personnalités et de simples citoyens, est venue toute la matinée présenter les condoléances à la famille du défunt. Le corps a ensuite été présenté à la mosquée du vendredi de Moroni pour la prière mortuaire dirigée par le chef de l’État, Azali Assoumani, avec lequel il n’était pas en odeur de sainteté depuis près de vingt ans, et particulièrement ces dernières années. Avant la prière au mort, son oncle de Maweni, le grand notable du Mbude, Kifia a tenu à dire quelques mots sur son neveu et a rappelé avec beaucoup d’émotion, devant le chef de l’État, que le capitaine Rachadi était un patriote reconnu par tous dans le pays.
Un patriote
Comme l’histoire a gardé en mémoire que lors du coup d’État de Bob Denard en 1995 (depuis il a été démontré que les mercenaires ont eu au moins le feu Orange du gouvernement français), le colonel Azali, chef d’état-major, a fui pour se réfugier à l’Ambassade de France, elle gardera aussi en mémoire que d’autres militaires qui se sont élevés contre l’attaque de leur pays et l’ont défendu au péril de leur vie. Parmi eux, il y eut le capitaine Rachadi Abdallah.
En 1999, le pays était en danger et était menacé de dislocation par les séparatistes anjouanais, appuyés par des éléments de l’extrême droite française à la Réunion et en France. Avec la mort du président Taki en 1998, Tadjiddine Ben Massound assurait l’intérim et était poussé à des interprétations toujours plus larges de la Constitution, alors que la crise séparatiste l’empêchait d’organiser l’élection du Président de la République. On disait à l’époque que le pouvoir était au sol et qu’il suffisait de le ramasser. Échauffés par des maladresses du président par intérim, des officiers qui se considéraient comme loyalistes étaient sur le point de prendre le pouvoir quand le chef d’État-major, Azali Assoumani, s’est rallié à eux et en tant que chef a pris le commandement du coup d’État. Un vent d’espérance s’était levé dans certains esprits lassés par deux ans de séparatisme, avant de tomber.
Un putsch pour remettre le pays sur les rails ?
Le capitaine Rachadi Abdallah était parmi les officiers décidés à changer le pays. C’est d’ailleurs lui qui a annoncé la prise du pouvoir par l’armée à la Radio nationale au matin du 30 avril 1999. Pourtant, comme il aimait à le répéter à ses amis jusqu’à sa mort, il était loin d’être un homme politique, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une vision pour son pays.
Officier d’élite, Rachadi Abdallah avait été formé à Saint-Cyr, l’école qui forme les officiers français. Dans cette école, les officiers n’apprennent pas seulement le maniement des armes, mais aussi le maniement de la langue et le commandement.
L’entrée à Saint-Cyr n’était pas fortuite, Rachadi Abdallah voulait devenir militaire depuis son enfance. Il a pu réaliser son rêve en se faisant remarquer pour ses aptitudes physiques, dans le sport, en tant qu’athlète, mais aussi en tant que brillant élève du lycée Saïd Mohamed Cheikh de Moroni.
Après le putsch de 1999, il a préféré se mettre derrière Azali Assoumani et jouait le rôle de garde du corps. Il avait alors troqué son treillis contre un costume col Mao pour s’interposer entre Azali Assoumani et la diaspora comorienne en France. Pendant le premier voyage d’Azali à la rencontre avec la diaspora, la capitaine Rachadi se rend compte de la haine que les Comoriens de France vouent à Azali Assoumani. Il tient bon aux côtés jusqu’au dévoiement complet des militaires qui pensaient qu’ils allaient faire autrement que les hommes politiques et sortir le pays de l’instabilité et du non-respect des lois. C’est à ce moment-là aussi que le capitaine Rachadi a décidé de s’éloigner du gouvernement conduit par l’ancien chef d’État-major et même de quitter le pays pour les États-Unis.
Un entrepreneur
Il revenait régulièrement au pays où il avait monté une entreprise d’électromécanique auto. Ces derniers temps, c’est surtout dans les cérémonies de mariage (anda) qu’on le voyait officier, aussi bien dans Moroni qu’ailleurs. Il était respecté de tous, surtout dans l’armée et avait un réseau d’amis partout dans les quatre îles et dans la diaspora. Le mot qui revient le plus souvent quand on évoque sa mémoire, c’est la « droiture ». Un homme droit.
C’est sans doute par fidélité qu’il a entendu le message de son ancien chef, le colonel Campagnard, qui lui a demandé de l’accompagner dans son combat pour mettre fin à l’autocratie que l’ancien chef d’état-major, Azali Assoumani, était en train de mettre en place depuis 2018. Le capitaine Rachadi Abdallah a participé activement dans les réseaux sociaux, mais aussi sur le terrain à la campagne du colonel Campagnard. Soudain, celui qui disait qu’il n’était pas un politicien se révèle être un tribun hors pair. Son action sur le terrain a inquiété le système autocratique et le Procureur de la République l’a appelé pour le mettre en garde contre des propos qui pourraient être jugés subjectifs. Malgré les menaces subies par l’équipe de Campagnard, la campagne s’est poursuivie jusqu’à son terme.
Azali Assoumani a remporté les élections de mars par de nombreuses fraudes. Les candidats qui ont voulu contester les élections ont été menacés et arrêtés. Le capitaine Rachadi Abdallah a quitté le pays pour retourner aux États-Unis. Pas pour longtemps puisqu’il est revenu et avait l’intention de s’installer définitivement au pays.