Entre sentiment de bénédiction et inquiétudes
Le mois du ramadan est accueilli tous les ans aux Comores comme une bénédiction divine. C’est un mois particulier, un mois structurant dans l’année la vie et la pratique religieuse des musulmans des Comores. Par MiB
Plus que l’année dernière, le contexte mondial aura une grande influence sur le bon déroulement de ce mois de jeûne qui commence avec des inquiétudes quant à des pénuries, en particulier alimentaires. Mais, en ce mois de ramadan, plus que dans le reste de l’année, le musulman comorien garde sa confiance en Dieu, ce qui lui permet de supporter les épreuves avec beaucoup de philosophie.
Cette année, le mois de ramadan a commencé dans l’archipel des Comores, hier, dimanche 3 avril. Il y aura donc cette année encore un décalage par rapport à la diaspora vivant en France, puisque les musulmans vivant dans ce pays ont commencé à jeûner samedi 2 avril. Les Comoriens vont se retenir de l’aube au coucher du soleil, soit en gros entre 6 heures du matin et 18 heures. Tandis que ceux qui vivent en France arrêteront les privations trois heures après. Que ce soit en France ou aux Comores, les musulmans bénéficieront d’un temps clément, loin de la canicule et loin de l’hiver.
Des touristes d’un autre genre
Certains membres de la diaspora passeront le mois de ramadan aux Comores, estimant qu’il est plus facile et plus agréable de jeûner dans le pays d’origine. Ils seront cette année moins nombreux à cause du contexte politique violent et qui n’a pas évolué depuis près de quatre ans, malgré la libération de quelques prisonniers politiques ces derniers jours. Dans l’île de Mayotte, sous administration française, ils devraient être plus nombreux à revenir dans l’île pour ce mois béni, même si c’est en dehors des périodes de vacances scolaires.
Les plus prévoyants d’entre eux ont envoyé vers Moroni de la nourriture dans les conteneurs plusieurs mois à l’avance et elle est arrivée à temps. D’autre, ont été surpris par la décision de la compagnie Maersk d’arrêter de desservir l’archipel et n’ont pas eu le temps de faire leurs envois. Ils sont donc déjà en train de chercher des solutions locales pour avoir des repas dignes d’un ramadan aux Comores chaque soir. Cela d’autant plus que sur place on attend du « Jeviens » qu’il contribue fortement au budget de ce mois de ramadan, étant supposé avoir plus de moyens financiers que ceux qui vivent sur place.
Ces « touristes » d’un autre genre viennent chercher une ambiance, la convivialité de ce mois de ramadan, les retrouvailles du soir pendant la rupture du jeûne, prier ensemble, échanger ou simplement profiter des activités proposées dans les villes, les villages ou les quartiers. En somme, une proximité humaine et chaleureuse qu’ils ont vécue pendant l’enfance et qu’ils ne retrouvent pas forcément à l’extérieur du pays.
Un moment de convivialité
La grande majorité se prépare surtout aux prières et aux lectures du Coran dans les mosquées, mais aussi dans les maisons. Chacun étant persuadé que c’est un mois où grâce aux actes de piété et au zakat, recommandé pour ceux qui en ont les moyens financiers, on peut obtenir le pardon pour tous les péchés commis durant toute l’année.
Ces deux dernières années, la convivialité pendant ce mois de ramadan a été fortement impactée par la pandémie de covid-19 qui interdisait les repas communs en dehors du cercle familial. Cette année, en plus de la covid, à laquelle il faut toujours faire attention, le mois de ramadan se déroule pendant une crise mondiale qui a des répercussions immédiates sur place.
Il y a déjà quelques mois, avant même la guerre en Ukraine, la crise était perceptible après l’arrêt de la compagnie Maersk de desservir les Comores. Cette décision présentée comme la conséquence de l’augmentation des frais de déchargement pour les armateurs avait provoqué une pénurie de certains produits comme les ailes de poulet ou la viande de bœuf. Elle a également eu pour conséquence l’augmentation de certains prix dans certains secteurs importants de l’économie comme celui du bâtiment.
Danger dans les énergies
Cette décision de la compagnie Maersk auquel le gouvernement comorien n’a trouvé aucune parade, à défaut de négocier un retour le temps de trouver une solution en proposant des avantages, a plombé le commerce local qui avait déjà subi les hausses des taxes douanières décidées dans le budget de l’État pour 2021.
En ce début de ramadan, on peut s’interroger d’une part sur la fourniture de manière permanente d’électricité, de gaz ou même de pétrole dont une partie sert aussi à cuire les aliments, à cause d’un prix du gaz qui reste inabordable pour la majorité de la population. Et d’autre part, sur le maintien des prix à un niveau raisonnable.
À Mayotte, l’île sous administration française, comme chaque année à l’approche du ramadan, la peur de manquer de gaz s’est emparée des habitants. Le préfet a beau rappeler par un communiqué officiel qu’il n’y a pas de pénurie de gaz, pour essayer de dissuader les éventuels spéculateurs, mais depuis plusieurs semaines, les Maorais font la queue sur les points de vente pour se procurer une bouteille verte ou orange (Total).
Le gaz ne manque pas à Mayotte, par contre son prix a connu une hausse assez importante alors qu’il est normalement réglementé par un arrêté préfectoral. Le prix de la bouteille est passé de 25€ en janvier 2022 à 29€ le 1er avril, soit une augmentation de 4 euros en trois mois. L’essence et les produits dérivés ont aussi fortement augmenté, mais le gouvernement français a atténué cette hausse par une remise de 15 centimes par litre.
Dans les trois autres îles, il n’y a pas de pénurie d’essence, mais que ce soit à Anjouan ou à la Grande-Comore, le pétrole de cuisine se fait rare. Comme chaque année pendant le mois de ramadan, ce produit manque. Les gens font la queue pendant des heures sans être certains d’en avoir. Il y avait une inquiétude quant aux livraisons en hydrocarbures après la chute du ponton qui se trouve entre Mirontsy et Ouani et qui permet aux pétroliers de ravitailler l’île. Mais, les tuyaux étant toujours en place, la Société des Hydrocarbures devrait pouvoir bricoler en attendant un « budget ». L’électricité ne pose pas non plus de gros problèmes comme on a pu en connaître par le passé, par contre il y a toujours des coupures dans l’après-midi aussi bien à Anjouan qu’à Ngazidja. Cela peut parfois perturber la préparation des repas pour ceux qui utilisent des instruments électriques.
Une augmentation générale des prix
Quelques produits phares de la cuisine comorienne sont manquants actuellement. Mais, d’une manière générale, tous les prix des produits agricoles ou carnés sont en forte hausse. Alors que Mayotte a un niveau de vie supérieur aux trois autres îles, on peut s’étonner que les prix soient quasiment les mêmes dans les quatre îles.
Interrogée sur les perspectives d’un mois de ramadan difficile, une femme qui habite dans les environs de Mutsamudu nous répond : « Cette année, à moins que les miracles de ce mois n’opèrent, on va souffrir ici. Les prix ont tous augmenté et les produits les plus consommés en ce mois ne sont pas épargnés. Je parle du sucre, de la farine, de l’huile et du lait. ». Même constat à Moroni où depuis quelques jours l’huile dont le prix a été doublé, voire triplé, est rare. Certains font des kilomètres à la recherche d’une bouteille d’huile. « Il parait que c’est à cause de la guerre en Ukraine », avance un mari envoyé chercher cinq litres et qui revient avec un litre acheté à 800 FC.
Même les prix des produits locaux (bananes, mhogo, songe…) ne cessent d’augmenter quand ces produits ne sont pas rares. Même à Anjouan, le poisson augmente, l’île où il est souvent en abondance et peu cher.