« Nous mettons tout en œuvre pour avoir une relation apaisée, mais exigeante avec les Comores, on est à ce stade satisfait ». Autant dire que le gouvernement français, qui avait annoncé Wuambushu 2 pour ce lundi 15 avril, ne s’attend pas à une opposition de la part du gouvernement comorien. Le régime en place à Moroni, avait déjà fait aveu de bradage de la souveraineté des Comores, lors de Wuambushu 1, en échange de son maintien au pouvoir.
Par KES
Wuambushu 2 ne connaîtra pas la même publicité que Wuambushu 1 mené l’année dernière à la même période avec des renforts déployés depuis Paris pour nettoyer Mayotte des « bandes de délinquants qui sèment la violence, des immigrés et de l’habitat précaire ». L’épisode 2 de l’opération anti-immigration de Gérald Darmanin, ministre français de l’Intérieur, sera donc de basse intensité dans la démonstration des forces. A l’évidence, pour ce deuxième épisode, Paris a besoin de tous ses effectifs pour les jeux Olympiques et ne peut rééditer le débarquement de Dzaoudzi avec les mêmes moyens qu’en 2023. Le discours est d’ailleurs moins guerrier que celui développé à l’époque par le ministre de l’Intérieur.
Mais tout compte fait, cela doit bien arranger les affaires de Darmanin qui préfère sans doute voir les Français s’occuper des JO que de scruter ses agissements lointains. Lui qui a trouvé à Mayotte, un laboratoire idéal pour tester en toute quiétude sa politique anti-migratoire dans toutes ses variantes. Reconduites administratives à la pelle en dehors de la rigueur des procédures associées. Destructions arbitraires d’habitat sans solutions de relogement. Déni des droits des étrangers. Expérimentation de l’abolition des lois de la République à l’exemple de la proposition de suppression du droit du sol à Mayotte ou de l’impunité dont bénéficient des mouvements de citoyens poussant l’excès jusqu’à interdire l’accès aux soins à des habitants sous prétexte de ne pas avoir les bons papiers. Traquer la violence d’une jeunesse bannie par la République et exclue des politiques mises en place sur le territorial et que les courants extrémistes instrumentalisent en toutes circonstances, pour ethniciser la société et justifier leurs politiques d’exclusion.
Mais derrière l’affichage de la lutte musclée engagée contre l’immigration à Mayotte, la frange extrémiste du gouvernement Macron que représente son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et ses soutiens locaux, au premier rang desquels la députée Estelle Youssoufa, la France poursuit son projet de finalisation de l’annexion de l’île comorienne qu’elle occupe illégalement depuis l’indépendance de cet archipel de l’Océan indien. Près d’un demi-siècle après le début de la balkanisation en 1975, la France estime que sans doute, le temps est venu de passer un nouveau cap et boucler à son avantage le différend de souveraineté sur cette île contre le droit international faisant de Mayotte, une partie intégrante de l’État comorien né en 1975.
La mise sur orbite d’une nouvelle élite décomplexée qui déroge à toutes les règles de la diplomatie jusqu’à s’autoriser des propos infamants envers un État indépendant sans craindre d’être rappelée à l’ordre, qui se passe de lectures historiques, qui n’a cure du droit international en matière de décolonisation et qui n’hésite pas à fustiger les droits de l’homme lorsqu’il s’agit d’outrepasser les principes et les valeurs que se réclame la France, n’est-elle pas annonciatrice d’une offensive de démantèlement des Comores ? La France serait-elle en train d’expérimenter aux Comores, le scénario soudanais ?
En amenant sous le bras, la députée mahoraise jusqu’au siège des Nations Unies, la France de Macron affiche une volonté de rupture avec la diplomatie de négociation conduite par ses prédécesseurs sur le différend de souveraineté qui l’oppose aux Comores au sujet l’île de Mayotte ? C’est en tout cas ce qui transpirait déjà dans le courrier du 24 octobre 2023 demandant l’appui de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères à une « mission des élus de Mayotte à l’ONU ».
Si tout laisse penser que Paris ne s’embarrasse plus de scrupules pour imposer ses intérêts géopolitiques dans l’espace archipélique comorien, le silence du gouvernement comorien aux initiatives menées par le gouvernement français, sous couvert de ses soutiens mahorais, est une renonciation flagrante à la souveraineté des Comores et à l’intégrité des frontières de son territoire reconnu internationalement. En laissant Paris libre d’agir comme elle le fait, sans aucune réprobation, le régime Azali assume sa complicité et le crime de trahison nationale qui qualifient une telle démission.
Au prix de sa survie politique, le gouvernement Azali a donné plusieurs gages d’une capitulation devant Emmanuel Macron. L’image de la poignée de main scellant le blanc-seing du gouvernement comorien à Gérald Darmanin pour mener Wuambushu 1, reste gravée dans les annales comme la plus haute trahison d’un chef d’État comorien envers les intérêts suprêmes de son pays.
Certes, la diplomatie française a toujours eu une longueur d’avance sur celle des Comores dont les dirigeants se sont littéralement allongés de la pire des manières devant les intérêts de l’ex-puissance colonisatrice pour se maintenir ou accéder au pouvoir. Mais le régime en place aux Comores depuis 2016, a perdu toute dignité même lorsqu’il se fait traîner dans la boue par les propos insultants et méprisants d’une Estelle Youssoufa, députée connue pour sa haine viscérale anti-comorienne.
Vingt-et-un ans après le premier acte du démantèlement des Comores indépendantes à savoir le Visa Balladur, Wuambushu confirme la volonté d’ethnicisation de Mayotte, pour permettre son assimilation totale à la France. Mais, la réalité est plus complexe. Les révoltes et les colères qui secouent la société mahoraise d’aujourd’hui ne sont pas la seule expression d’une « crise migratoire » n’en déplaise à Darmanin et à ses satellites locaux. Ces convulsions résultent de la tourmente du déni identitaire devenu insupportable pour les habitants de cette île comorienne qu’une puissance étrangère veut arracher à leur terre. Quel territoire au monde où plus de la moitié de sa population serait étrangère et qui plus est, ces « étrangers » ressemblent étrangement aux locaux au point de parler la même langue, de commémorer les mêmes morts et de célébrer les mêmes fêtes ?
La radicalisation de la violence politique qu’exerce la France à Mayotte depuis l’avènement de la départementalisation, cherchant à mettre fin au statu quo politico-diplomatique, est lourde de conséquences. Certes le différend entre les deux pays dure. Mais l’histoire de la diplomatie des conflits enseigne de maintenir l’espoir de retrouver « de nouvelles formes d’unité » comme l’avait suggéré le président François Mitterrand, lors de son passage aux Comores en 1990.
Le choix de la radicalisation du discours et de l’affrontement à l’œuvre à Mayotte ne peut que susciter des réactions du même ordre. La France, puissance coloniale, sait où peut conduire l’obsession à vouloir ethniciser un peuple. Penser qu’elle peut noyer la revendication comorienne sur Mayotte, comme les naufragés des kwasa, est une erreur politique. Croire qu’elle peut par son soutien, compter sur un régime qui ne détient aucune légitimité populaire pour passer cette revendication par pertes et profit, c’est minimiser la force de la mémoire d’un peuple.
À l’heure de l’effondrement de la Françafrique et de la perte d’influence de la France en Afrique, le sursaut des peuples contre le néocolonialisme devrait alerter le couple Macron/Azali que les comoriens ne peuvent rester éternellement les derniers de la classe et assister à la dépossession de la souveraineté de leur pays, les doigts dans le nez.