Un an après les élections du président et des gouverneurs, élections qui ont été largement marquées par les fraudes du pouvoir en place, les Comoriens sont appelés de nouveau aux urnes en janvier et en février 2025. La Cour Suprême a rendu publics les noms des candidats officiels sur les deux scrutins, après avoir tranché sur une cinquantaine de cas qui lui étaient soumis.
Par MiB
Les élections législatives aux Comores auront lieu le 12 janvier pour le premier tour et le 16 février pour le second tour. Les municipales, quant à elles, se dérouleront en un scrutin de liste, à un seul tour le 16 février 2025.
Plusieurs candidatures ont été rejetées par la CENI dont les membres ont été largement renouvelés, tout en conservant le très controversé président Saïd Idrissa, un des principaux responsables des irrégularités et des cafouillages de janvier 2024 (voir Masiwa n°466 du 12 février 2024). La Cour Suprême a déjà invalidé de nombreuses décisions de la CENI en repêchant au final plus de 20 candidats qui avaient été éliminés.
Des indépendants sous influence
On peut noter que l’ensemble de l’opposition est plutôt en retrait et les têtes de l’opposition qui se présentent y vont en tant que candidats libres, sans mention de leurs partis respectifs. Comme il est de coutume maintenant depuis 2019, l’opposition s’est déchirée sur la question de participer ou pas aux élections de ce début d’année. Il semble qu’une grande majorité s’est entendue pour ne plus donner de crédit à des élections qui ne respectent aucun principe démocratique et dont les arbitres (CENI et juges de la Cour Suprême) sont tous nommés par le chef de l’État ou par des gens eux-mêmes désignés par celui-ci.
Les fraudes massives du pouvoir, malgré les nombreuses promesses faites aux organisations internationales et aux diplomates étrangers présents à Moroni, ont fini par décourager une grande partie de la classe politique. La grande majorité des candidats retenus sont « CRC » (parti au pouvoir) ou « Indépendant », même s’il s’agit parfois de personnalités appartenant à des partis de l’opposition ou des novices désignés officieusement par un membre influent du clan en place. Le parti Orange, de l’ancien ministre de l’Intérieur, Mohamed Daoudou, le PARI de Me Ibrahim Mzimba et un obscur parti dénommé Swauti ont aussi présenté quelques candidats aux deux scrutins, mais pas de quoi inquiéter le pouvoir, au contraire.
La palme du boycott revient à l’île de Mwali où aucun candidat de l’opposition ne se présente, même avec l’étiquette « indépendant ». Il n’y a que le parti Orange qui a présenté un candidat aux législatives et une liste aux municipales.
Des législatifs avec peu de candidats
On remarque aussi que de nombreux candidats, qui défendent leurs places actuelles ou qui sont dans le gouvernement, ont demandé à la haute cour d’éliminer leurs adversaires pour diverses raisons. On peut citer le cas du maire de Moroni, Saïd Abdoulfatahou, qui après cinq ans à la tête de la capitale, craint un adversaire et va jusqu’à demander l’annulation de la liste d’Ali Hassane El Barwane en faisant un recours auprès de la Cour Suprême. C’est aussi ce qu’a tenté de faire le ministre de l’Éducation, Bacar Mvoulana en demandant en vain l’éviction de l’un de ses adversaires dans le Mbude.
En ce qui concerne les législatives, il y a 33 postes de députés en jeu, et 109 sont candidats, soit en moyenne trois candidats par circonscription. Le parti au pouvoir a un candidat officiel dans chaque circonscription.
Sur la quasi-totalité des circonscriptions de Mwali, le pouvoir en place gagnera sans panache, il n’y a qu’un seul candidat et il est du parti CRC. La seule exception vient de la cinquième circonscription où le candidat CRC trouve en face de lui un candidat Orange. Il restera à faire croire que les Mohéliens, désabusés par les fraudes régulières de la CRC, sont allés voter.
À Anjouan, dans la circonscription de Domoni II, il n’y a qu’un seul candidat CRC. À Domoni I et III, ainsi qu’à Nyumakele I, il n’y a que deux candidats. Les témoignages venant de l’île laissent entendre qu’il n’y a aucun engouement en faveur de ces élections (voir Masiwa n°504, « Élections 2025. Désenchantement et scepticisme à Anjouan »).
Le Secrétaire général du gouvernement (SGG) et non moins fils du chef de l’État, Nour el Fath, est candidat dans la partie du Hambou comprenant Mitsudjé, sa ville de naissance. Nour el Fath Azali qui est aussi le Secrétaire général adjoint et véritable dirigeant du parti présidentiel, la CRC, est celui qui lors des présidentielles de janvier 2024 appelait, dans un audio devenu viral, ses partisans à bourrer les urnes. Certains pensent qu’il veut devenir Président de l’Assemblée pour se donner la possibilité de succéder plus facilement à son père. Mais, il est peu probable qu’il renonce en si peu de temps à tous les pouvoirs que lui a donnés son père, par décret, en août dernier (Voir Masiwa n°493, « De quels pouvoirs hérite le fils Azali ? »).
Dans la configuration dans laquelle il se trouve, après l’élimination par la CENI et par la Cour Suprême de son adversaire le plus sérieux (qui n’était vraisemblablement pas inscrit sur la liste électorale), il devrait passer sans encombre, mais il laissera sans doute son suppléant aller siéger à Hamramba.
Des ministres en campagne
Nour el Fath Azali a aussi exigé qu’une grande partie de « ses » ministres soient candidats dans leurs régions. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Mbaé Mohamed, doit aller affronter Hamidou Karihila, ancien co-fondateur de la CRC et qui a un véritable fief à Mbeni, sa ville de naissance et dans le Hamahame depuis longtemps. C’est dire que sans fraudes, il est très peu probable que le ministre sorte glorieux de ce duel.
Aboubacar Saïd Anli, qui a la suppléance de la présidence de l’Union, est l’unique candidat dans la deuxième circonscription de Mwali. Il ne risque pas de perdre, pourtant le SGG, Nour el Fath Azali, a demandé à la Cour Suprême de l’autoriser à faire campagne tout en demeurant au gouvernement, et celle-ci autorise une telle entorse au code électoral sans pouvoir s’appuyer sur un texte législatif, mais uniquement sur un principe, celui de la continuité de l’État.
Dans la circonscription de Bambao II, le chemin semble ouvert pour le ministre de l’Agriculture, Daniel Ali Bandar. Il n’a qu’un concurrent, issu du parti Orange, mais peu connu.
Bacar Mvoulana, ministre de l’Éducation nationale, est envoyé par le SGG conquérir le nouveau mandat de la région du Mbude, une région que contrôle encore le très influent Houmed Msaidié. Même si l’ancien ministre reste fidèle à la CRC, tout n’est pas gagné pour le ministre, car il y a cinq autres candidats, certains plus solides que lui. Mais, il y a aussi, dans la région, une volonté d’équilibrer le pouvoir entre les villes.
Dans la circonscription de Mutsamudu I, Miroidi Aboudou Idaroussi, ministre de l’Aménagement du Territoire, est opposé à trois candidats « indépendants » qui n’ont pas de véritable poids politique. Malgré ses déboires au sein de la société ONICOR, il devrait l’emporter et dans ce cas, c’est sûrement sa suppléante Yasmine Hassane Alfeine, qui était dans l’équipe de Saïd Idrissa à la CENI lors des dernières présidentielles, qui devrait entrer à Hamramba pour le compte de la CRC.
Sa collègue, Inayati Sidi, ministre de la Jeunesse, du Travail, de l’Emploi, des Sports, des Arts et de la Culture n’aura pas autant de chance. Le combat est plus difficile dans sa circonscription d’Ouani I, car originaire de la ville d’Ouani, elle a en face d’elle deux autres candidats dans sa ville. Mirghane Abdallah, le quatrième candidat, originaire de la très active localité de Bazimini, qui a pour suppléant un originaire de Barakani, a des chances de gagner. Il part avec l’étiquette « Indépendant », mais dans la région des sources indiquent qu’il roulerait pour un membre influent du clan Azali.
Municipales : une campagne sans intérêt ?
Pour les élections municipales, on peut remarquer qu’il y a peu de candidatures, et cela peut expliquer l’ouverture de la Cour Suprême qui a validé pas mal de listes mises en cause.
Onze communes (dont 4 sur 5 à Mwali) sur 54 ne présentent qu’une seule liste (toutes CRC), et 14 n’en ont que deux, parfois deux listes CRC (comme c’est le cas dans la commune d’Ishari à Ngazidja).
Par conséquent, dans de nombreuses communes des candidats CRC se trouvent en face d’autres candidats CRC. Sans même tenir compte du fait qu’il est probable que parmi les « indépendants » il y a des membres de la CRC, on peut voir que dans cinq communes, une liste CRC se trouve opposée à une autre liste CRC, voire plus. Dans la commune de Cembenoi-Sada (Ngazidja), ce sont même trois listes CRC qui s’opposent. Comment la Cour Suprême peut laisser deux listes du même parti, avec le même logo dans la même commune. Il s’agit du parti au pouvoir.
C’est dans la commune-capitale, Moroni, que l’enjeu est grand. C’est aussi la commune dans laquelle il y a le plus de listes en compétition : neuf notables qui peuvent chacun emporter le suffrage des Moroniens. Le maire sortant, Abdoulfatah Said Mohamed, qui a déçu beaucoup de gens après cinq ans de mandature, se représente, mais sans le soutien du pouvoir en place. La CRC a investi Mohamed Ahmed Assoumani, un ancien du parti RADHI. Le parti Orange a aussi investi un candidat, Abdallah Mohamed.
La capitale reste le reflet du pays et le pouvoir en a conscience. Pourra-t-il répéter les manœuvres de fraudes observées ces dernières années ? Probablement, vu qu’au niveau de la CENI et de la Cour Suprême, ce sont les mêmes acteurs qui sont en place.