Sans surprise, la Cour Suprême dont tous les membres ont été désignés par le candidat Azali Assoumani a conforté ce dernier dans sa décision de se maintenir à la présidence tout en faisant campagne.
Par MiB
La semaine dernière le feuilleton de la présidentielle comorienne a été marqué par la remise en cause de la candidature du chef de l’État, Azali Assoumani. Ce dernier a décidé de se maintenir à la présidence tout en faisant campagne. C’est une position interdite par le code électoral, voté par l’Assemblée de l’Union le 27 décembre 2022 et promulgué par le même Azali le 8 mars dernier.
Une position illégale
En effet, l’article 199 de ce Code électoral énonce que « Les candidats aux élections doivent prendre congé de leur poste public électif ou nominatif dès publication de la liste définitive des candidats ou de listes de candidats sous peine de disqualification ».
Cette idée est reprise dans la loi organisant l’élection du président de l’Union, votée par le Parlement comorien le 3 mars 2023. Elle était déjà présente dans la Constitution de 2001 (Azali avait alors dû céder la présidence à son fidèle ami, Hamada Madi Boléro pendant les élections de 2002) et elle est encore présente dans la Constitution révisée en 2018 en ces termes (article 118) : « Si le Président et les Gouverneurs en fonction se déclarent candidats, ils doivent dès la publication de la liste définitive des candidats prendre congé de leurs fonctions ».
Or le candidat Azali Assoumani a décidé que cet article ne le concerne pas vu qu’il est aussi président de l’Union africaine. Il est appuyé par son conseiller diplomatique, Hamada Madi Boléro qui affirme dans les médias, comme un argument d’autorité, sans vraiment apporter un fondement, que les règles de l’Union africaine sont au-dessus des lois nationales.
Le 28 novembre, la Chambre électorale, saisie par le Secrétaire général du gouvernement a déjà eu à se prononcer sur cette question. Le gouvernement avait déjà abandonné l’idée fallacieuse de la primauté des règles de l’Union africaine et demandait juste à la Cour Suprême de constater que cette disposition ne s’applique pas au président de l’Union en exercice, malgré l’article 118 de la Constitution. La Chambre électorale, présidée par Harimia Ahmed, avait donc avalisé le fait en déclarant que les dispositions de l’article 13 de la loi organique exigeant la démission du président ne s’appliquent pas au président en exercice.
Cinq candidats contre Azali et la Cour Suprême
Le 8 décembre dernier, l’ensemble des cinq candidats opposés à Azali Assoumani ont décidé de saisir d’une manière collégiale la Chambre électorale de la Cour Suprême pour demander la disqualification du candidat Azali puisqu’il n’a pas démissionné de sa fonction de président de l’Union et n’a pas déposé « auprès de la Cour Suprême une déclaration attestant ce congé dans les soixante-douze heures (72) qui suivent la publication de la liste définitive des candidats », comme le prévoit l’article 13 de la loi organique relative à l’élection du Président de l’Union votée le 3 mars 2023. C’est-à-dire qu’ils s’appuient sur l’article 13 de la loi organique sur lequel la Cour s’est déjà prononcée en faveur du gouvernement et d’Azali, alors qu’ils auraient pu évoquer d’autres textes (la Constitution et le Code électoral).
Les demandeurs assistés par Me Ibrahim Ali Mzimba et Me Issa Mhoutoir Mze dénient à Azali Assoumani le droit de « s’affranchir des règles électorales de son pays par quelques mécanismes ou subterfuges quelconques » (requête). Pour eux, il n’y a aucune contradiction entre les textes de loi comoriens (et notamment sa constitution) et les textes de l’Union africaine, on ne saurait donc parler de primauté des règles de l’organisation panafricaine. Ils voient au contraire dans la Charte de l’Union africaine une invitation à organiser des élections transparentes en respectant le principe d’égalité entre les candidats. Mais, en argumentant sur la primauté des règles de l’UA, les avocats semblent n’avoir pas pris connaissance de la décision de la Chambre du 28 novembre et n’ont pas vu que le gouvernement avait tout simplement abandonné cette idée.
Cette affaire a été préparée en amont, et sans doute par les juges électoraux eux-mêmes, de par leur proximité avec le candidat Azali Assoumani qui les a nommés. La Chambre électorale a confirmé que cette affaire a déjà été jugée le 28 novembre et ne peut plus être jugée, vu que les décisions de la Cour Suprême ne peuvent pas connaître d’appel.
Le 28 novembre : une décision ou un avis ?
Il faut donc comprendre que le 27 novembre, le gouvernement par l’intermédiaire de son secrétaire général s’est empressé de demander à la Chambre électorale, non pas un simple avis, mais un jugement sur le fait qu’Azali peut rester candidat et président. Il a ainsi obligé la Chambre électorale à se prononcer au vu des seuls documents que le gouvernement a présentés, et ainsi il a court-circuité toute autre demande des opposants.
La question reste : comment la Cour Suprême peut accepter une demande de jugement émanant du gouvernement en faveur d’un candidat ? N’est-ce pas un avis qui aurait dû être donné ? La décision du 28 novembre est encore une fois un fait qui démontre la complaisance de la Cour Suprême envers le candidat Azali, mais aussi que le gouvernement et toute la machine de l’État (y compris les forces de l’ordre, comme ce fut le cas en 2019) sont et seront utilisés par le candidat Azali pour se construire une victoire fallacieuse.
Et ce qui est encore étonnant, c’est que la Chambre électorale en citant une deuxième justification au rejet de la requête de l’opposition contrevient à un principe qui fonde la Cour Suprême elle-même : la non-possibilité de réexaminer une question déjà jugée. Autrement dit, elle rejette la requête des candidats opposés à Azali Assoumani sur le motif qu’elle ne peut juger deux fois la même affaire, et par son deuxième point, elle le fait quand même. C’est aussi incontestablement une erreur de procédure.
La procédure, nous le répétons souvent dans les colonnes de Masiwa, c’est la maladie infantile des juristes comoriens, aussi bien les avocats (qui, dans ce cas précis, auraient dû savoir qu’il n’était plus la peine de faire une requête sur une affaire déjà jugée et qui n’auraient pas dû regrouper les candidats dans une plainte collective), mais aussi des juges qui n’hésitent pas, régulièrement, à marcher allègrement sur les textes de procédures pour répondre à des exigences de l’Exécutif, comme ils l’ont fait sur les procès des opposants politiques et comme ils viennent de nous le démontrer de nouveau dans cette affaire du refus de démissionner du candidat Azali Assoumani.
Le gouvernement en précampagne pour Azali
Les irrégularités du candidat au pouvoir sont déjà nombreuses dès la précampagne. Le Code électoral interdit de recruter, de faire des promesses, des dons ou toute action en faveur d’un candidat pendant cette période, mais le gouvernement et les proches d’Azali Assoumani ne se gênent pas. Ils se servent de l’État pour mener une véritable campagne envers les électeurs.
Dans un post publié sur son mur Facebook le 10 décembre et intitulé « Un peu de tenue, monsieur l’ambassadeur », le candidat Aboudou Soefo notait qu’en période de précampagne le candidat Azali se permettait de faire l’inauguration d’une école à Anjouan, en compagnie de l’Ambassadeur de France. Il notait en plus qu’un « « leso » de campagne de la CRC a été suspendu sur la terrasse du bâtiment ». Le gouvernement lui-même continue à faire miroiter aux Comoriens des contrats signés avec des promoteurs étrangers qui viendraient soit avec des hôtels soit avec les avions d’une compagnie aérienne. C’est dire que les promesses n’ont pas varié depuis 2016 jusqu’à 2023 en passant par 2019. Elles sont le reflet d’un gouvernement qui a délaissé la population depuis sept ans.
Le plus actif dans cette précampagne est le fils d’Azali Assoumani, conseiller privé de son père et vice-président du parti CRC. L’État a organisé un concours pour recruter des professeurs, il sort en conférence de presse pour annoncer qu’ils ont mis en place la méritocratie, ce qui a eu pour conséquence de mettre le doute sur ce concours. Le même fils et conseiller privé s’est rendu encore récemment dans les médias pour annoncer la pose de la première pierre d’une route qui passe dans la ville d’Iconi, route attendue depuis plusieurs années.
Le processus électoral est bien sous le contrôle d’Azali Assoumani et de son clan et ils ont entre les mains tous les moyens de l’État pour gagner. C’est pour cela qu’il ne peut pas quitter la présidence pour faire campagne sans les moyens de l’État.