Azali Assoumani a mis fin à son gouvernement, puis a quitté le pays en laissant l’intérim au ministre premier qui n’est plus ministre, pour aller recevoir à Bruxelles un obscur prix pour son action en faveur de la paix. Toute ressemblance avec une histoire belge serait fortuite.
Par MiB
La décision était attendue depuis l’investiture d’Azali Assoumani le 26 mai 2024. Un mois après, le porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidié a annoncé la fin du gouvernement en place, à l’issue du conseil des ministres du 26 juin dernier en ces termes : « Le mandat de ce gouvernement se termine aujourd’hui (…) Par l’intermédiaire du ministre premier, les ministres ont remercié le président pour la confiance qu’il leur a accordée ». Et il a annoncé le départ du chef de l’État pour un voyage en Belgique. Lorsqu’un journaliste a demandé au porte-parole du gouvernement s’ils avaient pris « une photo de famille » du gouvernement sortant, il a clairement indiqué : « je l’ai dit : le gouvernement est parti depuis aujourd’hui… le président a remercié ses ministres ».
Quel gouvernement et pourquoi faire ?
Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Azali Assoumani a pris tout son temps pour mettre en place le premier gouvernement de son troisième mandat consécutif depuis 2016. Bien que la Constitution ne l’oblige pas à mettre en place ce gouvernement après les présidentielles. Ce laps de temps peut s’expliquer par la contestation des élections suite aux nombreuses fraudes constatées y compris par des vidéos (voir « Gwadzima » la vidéo de la Rédaction de Masiwa) et les différences évidentes entre les chiffres présentés par la CENI et ceux présentés par la Cour Suprême, et surtout l’absence d’un tableau récapitulatif des résultats bureau par bureau.
L’attente d’Azali Assoumani peut également s’expliquer par les discussions et l’illusion donnée aux candidats malheureux, surtout à l’un d’eux, le doyen Abdou Soefo, ancien membre du parti présidentiel, qu’Azali serait prêt à mettre en place un gouvernement d’union nationale en prenant acte que son élection n’a été possible que par la fraude. Celui-ci a constaté, avec amertume, dans un communiqué après une dernière entrevue à Beit-Salam qu’Azali s’est encore une fois joué d’eux.
Enfin, ce laps de temps est également dû aux hésitations d’Azali lui-même et de son camp qui, d’une part, sont conscients qu’il n’y a aucun domaine clef (économie, finances, inflation, autosuffisance alimentaire, Justice, éducation, électricité, eau…) dans lequel ils peuvent afficher une réussite, sinon dans la signature de contrats et accords qui n’aboutissent jamais. Malheureusement, il n’apparait pas de solution de rechange (y compris dans l’opposition) qui puisse améliorer la situation et sortir le pays du gouffre dans lequel les dirigeants actuels l’ont plongé.
Théoriquement, dans les pays à régime parlementaire ou même présidentiel, lorsque le président met fin aux fonctions de son gouvernement, c’est qu’il a déjà une solution de rechange et le temps entre deux gouvernements ne dure pas plus d’une semaine, pour la nécessité de la continuité de l’État. Aux Comores, on assiste à une situation insolite : le chef de l’État met fin aux fonctions du gouvernement, prend l’avion pour quitter le pays et confie la présidence à un ministre à qui il vient d’enlever ses fonctions. Même les juristes qui soutiendraient qu’un ministre destitué peut continuer à envoyer les affaires courantes pendant des semaines, ce qui serait déjà étrange, admettraient qu’assurer la charge de président de la République ne relève nullement de l’expédition des affaires courantes. À moins d’être acquis aux incohérences dont nous a habituées Azali Assoumani. Mais, à sa décharge, il n’en est pas à un ou deux principes ou respects des institutions près. Pour le paraphraser quelque peu, on peut dire : un ministre destitué ou un ministre en fonction, il n’y a pas de différence.
Un président en représentation permanente
Le chef de l’État est très peu préoccupé par les nombreux problèmes qui pèsent sur la vie du Comorien. Il semble loin du pays profond. Il est en permanence dans la représentation pour essayer de convaincre ses concitoyens que même s’il est impopulaire dans le pays, incapable de résoudre les problèmes essentiels d’existence (se nourrir notamment), il est aimé et reconnu à l’extérieur, malgré les fraudes. Cette fois, il est parti recevoir un obscur prix dont aucun Comorien n’en avait entendu parler jusque-là : le prix Crans-Montana à Bruxelles. Selon une lettre du Directeur général du Protocole du 24 juin et adressé à « Mesdames, Messieurs » sans autre précision, ce prix de la Fondation Crans-Montana est « décerné chaque année aux grands acteurs modernes de la paix, de la liberté, de la démocratie et de la dignité humaine ». Si l’on ne parlait pas d’un homme qui a remis aux Comores la torture et les exécutions sommaires dans son pays, on pourrait se dire qu’il s’agit d’une bonne blague belge ou juste lire que c’est un prix « décerné chaque année aux grands acteurs modernes » et s’arrêter là. Mais, ce qui se passe aux Comores depuis 2018 est trop grave.
Pour pouvoir aller recevoir ce prix en Belgique, Azali Assoumani a décidé de retarder la nomination de ses ministres. Il est difficile de faire des pronostics sur la composition de ce nouveau gouvernement, même si certains journalistes s’y essaient. On peut juste supposer que le noyau dur demeurera en place, faute de choix qui puissent assurer un changement profond et nécessaire.
Après huit ans de gouvernement, sans avoir réussi à changer le sort du Comorien, Azali Assoumani est-il en mesure de surprendre par la composition de son nouveau gouvernement ? On peut en douter.