En ce début d’année deux indices internationaux viennent montrer que les Comores continuent dans la dérive, après le suivi de l’inflation qui approche les 20%. L’Indice de perception de la Corruption de l’ONG Transparency international indique encore une fois que la corruption bat son plein aux Comores. Le pays est aussi au plus bas selon l’Indice de la bonne gouvernance en Afrique de la Fondation Mo Ibrahim.
Par Nezif Hadj Ibrahim
Comme chaque année depuis 1995, l’ONG Transparency International publie l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) des pays. Le 31 janvier dernier, l’IPC de l’année 2022 a été rendu disponible et les Comores patinent dans le rouge, comme étant l’un des pays les plus corrompus au monde. Elles récoltent un score de 19 sur 100, sachant que plus on est proche de 0 et plus cela indique une corruption considérable. C’est une situation « historiquement faible », apprend-on dans le Rapport. Les Comores font donc partie des 5 pays les plus corrompus en Afrique subsaharienne. Pourtant, en 2020, Azali Assoumani annonçait que l’année allait être celle de la lutte contre la corruption. En fin de compte, les Comores ont encore reculé dans le classement.
Par ailleurs, l’Indice de la Fondation Mo Ibrahim pour la Gouvernance en Afrique sorti aussi au mois de janvier dernier rapporte pareillement un climat de gouvernance inquiétant pour l’appareil étatique.
« Violence », « instabilité » comme causes essentielles de la corruption
En proie à plusieurs crises, notamment d’ordre économique et politique, l’Afrique subsaharienne est aussi traversée par des conflits violents, laissant voir des conflits armés entre groupes djihadistes et armées régulières. Les pays victimes du terrorisme comme le Mali et le Burkina Faso ont été le théâtre de coup d’État militaire. Pour Transparency International cette atmosphère fait valoir un accroissement de la corruption sur cette partie du continent. Elle estime que « les pays en situation de conflit sont gagnés par la corruption, et la corruption à son tour est moteur de conflit ». Les conflits deviennent donc des facteurs favorisant ainsi le classement de près de 90% des pays de la région du sud du Sahara en dessous de la moyenne. L’ONG note également que « la violence et l’instabilité qui gangrènent de nombreux pays de la région – qu’elles résultent de coups d’État militaires, de l’extrémisme, de la terreur ou de la criminalité – alimentent davantage la corruption ».
Pourtant, les Comores ne sont pas gagnées par des épisodes de guerres ou de guerres civiles. Il existe sans doute dans le pays d’autres causes pour la corruption. Par ailleurs, au niveau de la région de l’océan Indien, le pays dirigé par Azali Assoumani occupe la dernière place. Les Seychelles (70/100) embrassent la première place pour toute l’Afrique, alors que Maurice (50/100) et Madagascar (26/100) se placent derrière.
Un Indice symptomatique d’une administration publique opaque
L’enquête sur la corruption effectuée par Transparency International porte davantage sur l’administration. À travers des sondages et des enquêtes d’opinions, elle tend à évaluer « de la corruption dans le secteur public ». Elle porte donc sur les détournements de fonds publics, l’utilisation des moyens de l’État à des fins privées, la capacité de l’État à contenir la corruption, c’est-à-dire au regard de ses efforts, le népotisme aux postes administratifs, la protection de ceux qui rapportent des faits de corruption, la transparence dans les affaires publiques… Dans ce cadre, on peut relever les marchés publics, qui sont le domaine privilégié de la corruption aux Comores, en ce sens qu’ils permettent aux décideurs politiques de faire gagner des sommes faramineuses à des amis politiques alors que Transparency International souligne que « les États doivent donc, sans plus tarder, rendre leurs systèmes de passation de marchés publics plus transparents ». Pourtant, « l’intégrité en politique est cruciale pour s’assurer que les deniers publics soient utilisés uniquement à des fins d’intérêt général », assure l’ONG.
La corruption comme moyen de « légitimation » politique
Comme le rappelle le récent discours d’un des proches collaborateurs d’Azali Assoumani, lors d’une réunion du parti au pouvoir, pour les membres du régime politique en place, l’administration publique est une propriété des femmes et hommes politiques qui gouvernent. En invitant les journalistes du journal d’Al-Watwan à ne pas écrire contre le régime politique en place, Youssouf Mohamed Ali dit Belou ne fait qu’insister sur un fait communément connu, sinon il fait un rappel à l’ordre d’un fonctionnement déjà intériorisé par la population et aussi par les gouvernants. N’ayant pas recours aux concours régis par la transparence et le mérite, ne reposant pas son rapport avec les gouvernés sur un cadre juridique, les autorités publiques utilisent les moyens de l’État pour légitimer leur pouvoir, puisque dans le champ politique, ils fondent leurs rapports de forces sur les capacités financières de l’État et leurs compétences discrétionnaires dans le recrutement. Ce qui fait que même ceux qui sont recrutés par une voie de titularisation ne sont pas à l’abri d’une suspension abusive ou tout simplement d’une radiation. Ainsi, la gestion des fonds publics et de l’administration en général relève-t-elle de l’arbitraire des autorités politiques sans qu’une forme de contrôle efficace puisse être effectuée ou qu’une forme de contrepoids puisse être possible. Dans son Rapport, Transparency International fait du contrepoids un élément majeur dans la lutte contre la corruption. « Les contrepoids au pouvoir exécutif sont essentiels pour une amélioration », soutient-il en montrant que les pays en Afrique ayant connu de la progression dans la lutte contre la corruption sont des pays où l’opposition a une influence dans l’adoption des mesures rédhibitoires à ces pratiques.
Une mauvaise gouvernance de l’État
Dans un autre Rapport, publié en janvier dernier, cette fois sur la bonne gouvernance, l’Indice de la Fondation Mo Ibrahim sur la Gouvernance en Afrique dresse également un constat préoccupant pour l’État comorien. Les Comores traînent aussi au bas du classement et sur l’ensemble des volets sur lesquels le Rapport a été dressé, à savoir : la sécurité et l’État de Droit, la participation, les droits humains et l’inclusion, les fondations pour les opportunités économiques, le développement humain, seulement dans une catégorie qu’elles font mieux. Il s’agit du développement humain, où les Comores occupent la septième place, et l’apport financier de la diaspora est pour beaucoup dans ce classement. En effet, par ses transferts, souvent importants, au pays, la diaspora dote les moyens financiers pour mieux se nourrir, se loger et s’éduquer.
La corruption s’érige pour les États d’Afrique, surtout pour les Comores, comme un des obstacles notables au développement. Elle fait perdre à l’administration des moyens considérables, qui pourraient permettre d’améliorer les conditions de vie de la population, dont la majorité vit dans une extrême pauvreté. La bonne gouvernance demeure la solution fondamentale pour la lutte contre la corruption et « pour aller beaucoup plus loin, ils doivent prioriser les réformes de bonne gouvernance […] notamment les mesures visant à protéger les libertés fondamentales », relève Transparency International dans son IPC de 2022.