Bacar Mvoulana est un des symboles du Renouveau de la CRC, choisi pour devenir ministre de l’Éducation Nationale. Ancien professeur de mathématiques, les enseignants croyaient avoir gagné au change, or chaque jour les décisions du jeune ministre surprennent ses collègues, notamment quand il décide de punir des syndicalistes en les mutant hors de leur île et sans aucune indemnité pour se déplacer ou pour se loger. Il a accepté de répondre à nos questions.
Propos recueillis par MiB
Masiwa – Bacar Mvoulana, votre arrivée au ministère de l’Éducation nationale est marquée par une volonté de changement certes, mais ces changements vont se faire aux dépens des agents. Pourquoi tant de précipitation ?
Bacar Mvoulana – Mon objectif, dès ma prise de fonction, a été de répondre aux besoins urgents de notre système éducatif. Il ne s’agit pas de précipitation, mais d’une volonté d’agir face à des dysfonctionnements qui perdurent depuis trop longtemps. Les agents ne sont pas les victimes de ce changement ; ils sont des partenaires essentiels pour améliorer la qualité de l’éducation. Notre démarche est basée sur le dialogue et le respect des règles.
Raison pour laquelle dès le premier jour de ma prise de fonction, j’ai convié les syndicats à des négociations et une grande partie des revendications sont satisfaites.
Masiwa – On s’attendait à la fermeture des écoles privées « poubelles » dont les inspecteurs signalent les dysfonctionnements depuis de nombreuses années. À la place, on apprend par une lettre du 20 novembre que le Secrétaire général du ministère, Saïd Soulé Saïd, menace de fermer le deuxième établissement privé de la capitale, l’école Mouigni Baraka, par manque de coopération. Comment expliquez-vous cela ?
Bacar Mvoulana – La fermeture des écoles dites « poubelles » reste une priorité pour moi aujourd’hui et demain, car je sais bien, étant enseignant de formation, que ce sont ces écoles qui sont à l’origine, par leurs pratiques, du chaos qui règne dans le système de l’éducation. Concernant l’école Mouigni Baraka, notre objectif est de garantir le respect des normes établies pour tous les établissements. Nous avons demandé leur coopération pour répondre aux exigences de qualité, en vain, ça n’était pas le cas pour les dirigeants qui étaient en place, ils avaient refusé la visite des inspecteurs, raison de notre indignation. Vous le savez bien : nul n’est au-dessus de la loi, on avait qu’à forcer l’établissement à se conformer aux respects et exigences du Ministère. Dans tout ça, nous espérons trouver une solution qui permettra à cet établissement de continuer à fonctionner tout en respectant les standards.
Masiwa – Sans qu’une campagne de mutation ne soit mise en place, vous avez décidé d’office et par autoritarisme de muter à Anjouan et à Mohéli 11 agents qui exerçaient jusque-là à Ngazidja, sans tenir compte de leurs situations familiales. Pourquoi ?
Bacar Mvoulana – Ces mutations ne relèvent pas de l’autoritarisme, mais de la nécessité d’assurer une répartition équitable des ressources humaines à travers nos îles. Nous savons tous que nous sommes confrontés à un problème de sureffectifs des enseignants au niveau du secondaire à la Grande-Comore1 depuis qu’on a instauré le respect du taux horaire de 18 heures par semaine pour les enseignants du lycée et 21 heures pour le collège. Et ces enseignants n’avaient pas été affectés à leurs demandes2 d’être affectés. On les a affectés là où le besoin se faisait ressentir. Nous savons que chaque mutation peut avoir des conséquences personnelles, mais elles sont effectuées en tenant compte des besoins du service et des règles administratives3. Les agents concernés ont été informés de la nécessité dans les autres îles.
Masiwa – Est-ce que ces agents subissent une sanction déguisée, étant entendu que les 11 sont des syndicalistes engagés ?
Bacar Mvoulana – Absolument pas. Ces mutations n’ont rien à voir avec l’appartenance syndicale des agents. Les décisions ont été prises pour répondre à des besoins organisationnels précis. Nous respectons le droit syndical et encourageons un dialogue constructif entre toutes les parties4.
Masiwa – Est-il concevable qu’au 21e siècle, un ministre puisse envoyer dans une île un agent qui n’y a jamais vécu, sans lui fournir un moyen de se loger et même les frais de voyage ? N’est-ce pas un mépris du corps enseignant ?
Bacar Mvoulana – Je ne comprends pas les préoccupations soulevées par votre question5. Moi, je viens du nord de la Grande-Comore et mon premier lieu d’affectation était Dembeni dans le sud. Nous avons des universitaires qui exercent sur l’étendue du territoire sans tenir compte de leurs lieux de naissance, mais je ne comprends pas pourquoi ces affectations provoquent en vous des remous6.
Masiwa – Nous avons même remarqué que dans la liste des 11 victimes, il y a deux femmes. Est-ce que nos traditions religieuses vous permettent d’envoyer dans un lieu qu’elles ne connaissent pas, sans leur affecter un logement décent ?
Bacar Mvoulana – Les femmes ne sont en aucun cas privées de leur droit à la mobilité dans leur cadre professionnel religieusement surtout dans cette période qu’ils prônent pour l’égalité7. Je comprends les préoccupations soulevées, mais il est de notre devoir en tant que société de garantir que chaque citoyen homme ou femme puisse contribuer au développement de la nation sans discrimination tout en tenant compte de leur réalité personnelle8.
Masiwa – Combien de temps avez-vous prévu que cette sanction allait durer ?
Bacar Mvoulana – Encore une fois, il ne s’agit pas d’une sanction, mais d’une mesure organisationnelle. La durée dépendra des besoins du service et des éventuelles opportunités de réaffectation. Nous continuerons d’évaluer la situation pour nous assurer que les décisions prises servent à la fois les élèves et l’intérêt général.
Masiwa – Un autre courrier du même Secrétaire général, en date du 11 novembre, affirme que les professeurs ne peuvent plus faire grève sans autorisation et s’ils font grève, leur absence sera considérée comme abandon de poste. Est-ce que vous avez décidé par des mesures aussi autoritaires de détruire le syndicalisme aux Comores ?
Bacar Mvoulana – Je tiens à réaffirmer notre respect du droit de grève, qui est garanti par la Constitution9. Cependant, ce droit doit être exercé dans un cadre qui respecte également les droits des élèves à une éducation continue. Nous privilégions le dialogue social pour résoudre les différends, et nous n’avons pas pour objectif de nuire au syndicalisme, mais de trouver un équilibre entre les revendications et l’intérêt général.
Moi en tant que ministre de l’Éducation Nationale, j’ai l’obligation d’éduquer et à n’importe quel prix et j’utiliserai tous les moyens pour que ces élèves étudient tout au long de l’année.
Notes
1. Si le déplacement autoritaire de 11 syndicalistes permet de résoudre le problème de sureffectif à Ngazidja, c’est donc qu’il n’y a pas de problème de sureffectif.
2. Parmi les 11 enseignants sanctionnés par ces déplacements, il y a un professeur qui a 18 ans de métier, il était à Ouellah à Ngazidja, il se retrouve à Sima (Anjouan). Donc, si on comprend le ministre, il y a plus de chance d’obtenir une mutation dans l’île d’origine quand on est en début de carrière que lorsqu’on a déjà 18 ans au service. Et il nous explique que ce n’est pas une sanction pour cet homme.
3. Quelles règles administratives peuvent permettre à de nouvelles recrues de rester à Ngazidja alors qu’on déplacerait d’office des agents qui ont 18 ans de carrière ?
4. Selon nos sources, ces déplacements sont bien des sanctions envers des enseignants syndiqués.
5. En réalité, le ministre n’est pas un écervelé et il comprend très bien qu’un enseignant qui a déjà des difficultés à nourrir sa famille, n’a pas de moyens supplémentaires pour payer un billet d’avion pour se rendre à Anjouan ou un kwasa-kwasa pour Mwali ni pour payer un loyer sur place, s’il trouve un logement décent.
6. Encore une fois, le ministre fait semblant de ne pas comprendre des choses simples et il ose comparer une affectation après recrutement dans son île d’origine, dans une ville dans laquelle il peut se rendre en taxi le matin et retourner chez lui le soir et une mutation dans une autre île, sans possibilité de revoir sa famille le soir et sans attribution d’un logement de fonction.
7. Le ministre fait semblant de confondre le « droit à la mobilité » pour les agents et particulièrement pour les femmes, avec une situation dans laquelle il oblige deux femmes à aller s’installer dans une autre île, loin de leurs familles et sans leur attribuer un logement de fonction. Il est à noter qu’Echata Maoulida Adam, envoyée à Djoiezi (Mwali) est mariée, elle a 6 enfants et même de petits enfants. Hadjira Youssouf, envoyée à Adda (Anjouan) est mariée avec 4 enfants.
8. En l’occurrence, les 11 déplacés d’une manière autoritaire ont été choisis d’une manière discriminatoire et à cause de leur engagement syndical.
9. La lettre du ministère précise que toute grève des agents doit être autorisée pour être valable, ce qui est contraire aux dispositions constitutionnelles.