Le 26 mai prochain, Azali Assoumani a décidé d’organiser une grande fête pour son investiture et surtout tenter de faire oublier les nombreuses fraudes et la mascarade électorale du 14 janvier 2024. Pour cela, il parie surtout sur l’arrivée de personnalités étrangères.
Par MiB
Avec Azali Assoumani les élections et les investitures se suivent et se ressemblent. L’homme n’est jamais sorti d’une élection sans être accusé de fraudes. Ses adversaires ne reconnaissent jamais avoir perdu et par conséquent, il n’a jamais connu une investiture apaisée avec ses adversaires.
En 2002, après le putsch qu’il a commis en 1999 (et avoir promis de rendre le pouvoir aux civils), il se présente pour la première fois aux élections présidentielles. Il a régné sans partage sur l’appareil d’État pendant trois ans. Il a placé ses hommes, notamment les militaires aux endroits stratégiques. Mais, il est honni par le peuple, car sa promesse de lutter contre le séparatisme s’est résumée en valses des mallettes de billets de banque régulièrement transférées à Anjouan pour calmer le président de « l’État d’Anjouan », Mohamed Bacar qui conservera le titre jusqu’à la fin du mandat d’Azali Assoumani, et même au-delà, malgré ce que peuvent prétendre les hagiographes et autres propagandistes.
Une victoire à 100%
En 2002, la fraude est massive, à tel point que les deux candidats qui arrivent au deuxième tour avec lui, Mahamoud Mradabi et Saïd Ali Kemal, faute de pouvoir empêcher que le deuxième tour ne se transforme également en une mascarade électorale, ont préféré retirer leurs candidatures. Au deuxième tour, 39% des électeurs se déplacent pour assurer un 100% à Azali Assoumani. Aucun des finalistes n’a reconnu sa victoire et aucun ne se rendra à son investiture. Azali Assoumani n’en a cure, il a la jeune garde des officiers de l’armée comorienne qui ont fait le putsch avec lui en 1999, auxquels il a adjoint des intellectuels et cadres carriéristes. Il n’y a que Mohamed Bacar qui continue à défier son pouvoir avec « l’État d’Anjouan ».
Aux élections législatives d’avril 2004, les présidents des îles, opposés au gouvernement Azali, réussissent tout de même à déjouer les fraudes et à remporter les élections. Cette dynamique anti-Azali demeure jusqu’aux présidentielles de 2006. Azali Assoumani qui doit céder sa place à un Anjouanais se retrouve sans candidat. Le candidat issu de son camp, Caambi Alyachourtu, refuse de porter l’étiquette de la CRC. Mohamed Sambi l’emporte largement au deuxième tour. Azali sera présent à l’investiture de son successeur : il sera hué par le public.
2016, une victoire à la Pyrrhus
Pendant dix ans l’homme se retire de la politique. Il revient aux présidentielles de 2016. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Azali et ses agents au sein de l’État ont autant fraudé que le pouvoir lui-même. Mais, encore une fois, il peut compter sur le soutien de ses frères d’armes. Le chef d’état-major sort de sa caserne pour faire pression sur la Commission électorale. La Cour constitutionnelle proclame Azali Assoumani vainqueur, mais seulement avec environ 41%. Encore une fois ses principaux adversaires ne reconnaissent pas sa victoire.
En 2019, après avoir neutralisé toutes les institutions qui contrôlaient d’une manière démocratique les élections, il n’a même pas besoin d’ouvrir les urnes retrouvées encore sous scellés au Palais du Peuple. Les chiffres ont été fabriqués au sein du gouvernement. Tous les candidats ont refusé les faux résultats et manifesté dans la rue contre la fraude.
Cinq ans après, le 14 janvier 2024, les fraudes massives ont été filmées et diffusées dans les réseaux sociaux, presqu’en « live ». Chacun a pu voir des agents choisis par le président de la CENI, Saïd Idrissa, « bourrer les urnes » sans être inquiétés, ni pendant ni après ; et l’armée intervenir directement dès 14 heures pour récupérer les urnes dans tout le Nyumakele. C’est donc tout naturellement que les cinq candidats qui étaient opposés à Azali Assoumani ont refusé de reconnaître les résultats présentés par la CENI puis ceux présentés par la Cour Suprême, qui a d’ailleurs refusé d’instruire la plupart des plaintes des candidats et qui a proclamé que les membres de la CENI et ceux de la Cour Suprême avaient une immunité.
Un bras de fer postélectoral
Depuis 2002, Azali Assoumani a donc participé à quatre élections présidentielles, à chaque fois le scrutin a été marqué par des fraudes, le refus de ses adversaires de reconnaître sa victoire et la plupart du temps, ces derniers n’ont pas pris part à l’investiture, ce moment solennel où après la campagne électorale tout le peuple se retrouve en signe de reconnaissance du nouveau président. Par contre, il y a une constante : il a toujours le soutien de l’armée qui n’hésite pas, à chaque fois, à réprimer les manifestations des opposants contre les fraudes.
L’investiture prévue par Azali Assoumani le 26 mai est une sorte de bras de fer qu’il a engagé avec l’opposition qui refuse de valider les résultats proclamés par la Cour Suprême. Le chef de l’État comorien entend se servir de l’événement pour démontrer à la majorité des Comoriens qui refuse cette élection frauduleuse que le monde entier a validé l’élection. Son fils et conseiller privé, dans une rhétorique dont il est le seul à avoir le secret, a déjà annoncé que parmi les sept chefs d’État invités, certains s’étaient invités eux-mêmes. Élégant ! Il veut dire par là que l’équipe chargée de préparer cette investiture n’a même pas besoin de faire d’efforts pour avoir des personnalités à cette investiture, ils veulent tous venir y assister. Pourtant, dans le pays, les pressions sur les fonctionnaires ont débuté depuis une semaine, à certains endroits s’ils ne participent pas à l’investiture, ils risquent leurs postes, un peu comme quand il faut se rendre à l’aéroport pour accueillir le président.
Quant à l’opposition, notamment celle des cinq candidats qui ont concouru contre Azali Assoumani, impuissante, elle continue à dire que l’investiture n’aura pas lieu. Mais, elle est consciente que le chef de l’État ayant avec lui l’armée et ayant promu de réprimer toute manifestation ou action hostile à l’investiture, il est impossible pour eux d’agir. Ils comptent sûrement sur un mouvement instantané du peuple.
Un gouvernement consensuel ?
À travers leur doyen, Abdou Soefo, les cinq candidats aux présidentielles ont proposé au chef de l’État de sursoir à cette investiture et de former un gouvernement avec toutes les forces en présence. Azali Assoumani a répondu qu’ils pouvaient en discuter, mais après l’investiture. Pourtant, selon Abdou Soefo, ils sont prêts à lui laisser la présidence.
Ce qui parait certain c’est que le camp du gouvernement craint un mouvement politique des jeunes, comme celui qui a suivi la proclamation des résultats par la Cour Suprême et qui s’est traduit par le blocage d’un grand nombre d’axes routiers. Cette fois, cela serait catastrophique pour le gouvernement si un mouvement de l’opposition voyait le jour pendant la cérémonie d’investiture et alors que des personnalités étrangères seraient sur place.
La crainte du gouvernement s’est traduite par la mise en prison de Mohamed Daoud Kiki, ancien ministre de l’Intérieur, soupçonné de contrôler certains jeunes de la capitale et de vouloir organiser des manifestations le jour de l’investiture. Il semblerait également que le gouvernement a mis en alerte les commandants de l’armée depuis quelques jours pour prévenir tout mouvement.
Il est quasiment certain que rien n’empêchera Azali de faire son investiture, mais il est conscient que les cinq années de présidence seront encore plus difficiles que celles qui ont précédé, avec une hostilité permanente de la part de l’opposition, mais aussi de la population et notamment celle qui est à l’extérieur et qui a été encore une fois privée de vote. Et dans quelques mois se profilent les élections législatives et communales par lesquelles l’opposition pourrait, si elle réussit à juguler les fraudes, démontrer qu’Azali Assoumani est honni par les Comoriens. C’est ce que les présidents des îles avaient réussi à faire en 2004.