Nous sommes tous devenus les bras tendancieux de ce clan qui nous asphyxie. De cette dictature, qui passe son temps à parler de paix, enfonçant nos têtes dans un tourbillon de sable mouvant. Nous avons trahi notre nation à l’autel de petits salaires misérables. Pendant qu’ils se gavent et se remplissent la panse sur le dos de notre petite République.
Par Khaled Simba
Le 26 février 2023, le corps inanimé d’Aymane Nourdine, âgé de seulement 24 ans, a été déposé à Vouvouni par le PIGN. Il était là. Mort. Couvert de bleus. Enveloppé dans des sacs en plastique. Je me répète au cas où vous auriez lu trop vite : mort, couvert de bleus et enveloppé dans des sacs en plastique par le PIGN. Son histoire a pris fin aux mains des forces de l’ordre. Et on n’en saura rien d’autre. Rien, car l’enquête, si elle existe vraiment – permettez-moi d’en douter -, n’a rien produit de concret.
« Seul l’espoir apaise la douleur », disait Simone Veil. Chez nous, ça fait longtemps qu’on n’espère plus. Qu’on n’a plus ce droit. Plus aucun droit d’ailleurs. Si ce n’est de dire Amen ! Cependant, il y a des moments où la résignation constitue un crime. Car même tétanisés par une douleur intense qui assombrit nos âmes, par ce dictat qui nous prive de la voix et cette peur d’être le prochain, nous avons le devoir de rester humains. De nous émouvoir. De dire non quand les limites ne sont plus respectées. Mais notre couardise est tellement forte qu’on ne se respecte même plus nous-mêmes. Le tyran qui nous gouverne nous fait plus peur que le divin, seigneur de l’univers.
Mais par le seigneur des mondes, le tribut à payer est immense. Nous devrons vivre le reste de notre vie avec cette voix, aussi petite soit-elle. Nous devrons la supporter. Jours et nuits. Qu’il pleuve ou qu’il vente. Et elle ne se privera pas de nous le rappeler. Encore et encore. De nous le cracher en face s’il le faut. De nous narguer. Notre inaction, notre lâcheté et notre silence sont caution. « Aymane est mort et vous êtes des lâches », nous dira-t-elle.
Pire que cette voix intérieure, nous devons désormais vivre avec la perte de notre humanité. Nous avons abdiqué face aux plus basiques de nos droits fondamentaux. Nous acceptons notre sort, dans l’infamie de ce pouvoir, et continuons les salamalecs, les « Mtukufu » et le cirage de pompes, tout en espérant mieux !
Nous sommes tous devenus les bras tendancieux de ce clan qui nous asphyxie. De cette dictature, qui passe son temps à parler de paix, enfonçant nos têtes dans un tourbillon de sable mouvant. Nous avons trahi notre nation à l’autel de petits salaires misérables. Pendant qu’ils se gavent et se remplissent la panse sur le dos de notre petite République.
Nous avons tué nos enfants en refusant l’affrontement. En nous résignant. Espérions-nous vraiment la paix, face à un Dimku que nous alimentons, comme le disait un avocat de la place ? Pensions-nous qu’il suffisait d’attendre dans le silence pour que la dictature n’avale personne ? De la forêt ou de la ville, Dimku reste Dimku. Il a fait des enfants et des suiveurs. Essaimé dans tout le territoire. Dans toute l’administration. Il a tué l’essence même de notre existence. Il a tué l’espoir.
Et dans quelques mois, des louanges seront chantées un peu partout pour encenser Azali et sa cour. N’oubliez tout de même pas que tout cela est entaché par la mort de citoyens, en particulier de jeunes citoyens et que le pouvoir n’a rien fait pour résoudre et punir ces crimes.
Nous avons tué Aymane, lui et tous les autres avant lui depuis le jour où nous avons accepté que la mort de Khashoggi fût « une cuisine interne ». Depuis le jour où ce juge a ignoré les accusations de torture portées devant lui par un accusé, qui était aux mains de la force publique. Depuis la mort de Bapalé. Depuis le jour où mon ami a été roué de coups jusqu’à en perdre les celles, dans l’enceinte de la gendarmerie sans que cela n’émeuve les supérieurs sur place. Les bavures de la gendarmerie, ce qui se passe avec le PIGN et à la caserne de Mdé surtout nous révulse et nous ne le dirons jamais assez.
Enfin, nous avons tué Aymane depuis que beaucoup ont accepté et se sont imposé le silence. Je prends donc le pas de convoquer à nouveau dans vos cœurs, ce drame qui nous a tous touchés. Cette tragédie, ce symbole de l’oppression et de l’injustice, nous rappelle que l’indifférence et la complaisance ne sont pas des options. Nous ne pouvons pas espérer un changement tant que nous restons silencieux face à la tyrannie et à la corruption qui gangrènent notre société. Notre humanité est en jeu, et il est de notre devoir de résister à la peur et à la résignation. Nous devons trouver le courage de nous élever contre ceux qui nous oppriment, pour que la mort d’Aymane et de tant d’autres ne soit pas des faits divers sans intérêts. La quête de la justice et de la liberté est le seul chemin vers la rédemption de notre nation et ça commence par oser dire les choses. Oser les nommer. Car la peur d’une mort certaine ne nous sauvera pas.
En attendant, soyons intègres, soyons citoyens, soyons Comoriens, et le meilleur suivra.