Depuis les Comores, je n’ai cessé d’affirmer que le véritable problème ne réside pas uniquement dans le gouvernement. J’ai souvent tenté de justifier ma position, d’expliquer ma perception des choses, mais, comme toujours, le Comorien rechigne à entendre la vérité. Lorsque l’on adopte un raisonnement clair et structuré, on est rapidement taxé d’arrogance, accusé de vouloir se faire passer pour un intellectuel. On vous assène des phrases toutes faites, comme : « Il fait comme s’il était le seul à avoir fait des études ». Ces remarques n’ont d’autre but que de décourager et de minimiser votre point de vue.
Quand j’entends de jeunes gens affirmer que le pays va mal, je leur réponds souvent que ce n’est pas le pays qui va mal, mais bien eux qui contribuent à sa dégradation en refusant de travailler. Ces échanges déclenchent généralement des débats animés, où, faute d’arguments solides, ils finissent toujours par rejeter la responsabilité sur le président Azali Assoumani ou sur son gouvernement. Ce phénomène n’est pas nouveau : depuis longtemps, les chefs d’État comoriens servent de boucs émissaires à une population en quête de responsables.
Pour moi, le gouvernement n’est pas seul responsable de la situation actuelle.
Beaucoup de mes interlocuteurs s’obstinent à comparer les Comores à des pays voisins comme la Tanzanie ou le Kenya, soulignant que là-bas, les conditions de vie sont meilleures : l’accès à l’eau, à l’électricité et à la nourriture y serait plus aisé. Ces arguments m’ont souvent fait sourire, car la réponse est évidente : quelle est la population de la Tanzanie ou du Kenya ? Quel est leur budget national ? Quelle est leur population active ? Ces comparaisons, bien qu’intuitives, manquent de profondeur et d’analyse.
Selon les estimations de la Banque mondiale, la Tanzanie compte une population de 67,44 millions d’habitants (2023), dont 19,69 millions forment la population active. Parmi eux, 80 % travaillent dans le secteur agricole, 10 % dans l’industrie et 10 % dans les services. Le Kenya, quant à lui, compte 55,1 millions d’habitants avec 19,82 millions de personnes actives réparties comme suit : 61,1 % dans l’agriculture, 6,7 % dans l’industrie et 32,2 % dans les services. Ces deux pays, bien qu’en voie de développement, possèdent des économies structurées et des recettes publiques suffisantes pour répondre aux besoins de leurs populations.
Aux Comores, la situation est différente. Le pays, avec une population active estimée à seulement 278 500 personnes pour une population totale jeune (âge médian de 20,2 ans), manque cruellement de ressources humaines et d’opportunités économiques. Contrairement à leurs voisins africains, les Comoriens, et particulièrement ceux de Grande Comore (Ngazidja), semblent moins enclins à participer activement au développement par le travail, ce qui freine considérablement la croissance économique. Le travail est pourtant la clé de toute prospérité : les pays comme le Sénégal, la Tanzanie ou encore le Kenya, malgré leurs défis, ont su mobiliser leur force de travail pour améliorer leurs infrastructures et services de base, comme l’électricité, l’eau potable ou les routes.
La mentalité comorienne, un obstacle à la démocratie
Il est important de comprendre que le développement des Comores ne repose pas seulement sur l’action de l’État ou sur la présidence. L’économie d’un pays se bâtit grâce à la contribution collective de ses citoyens : chacun doit participer activement à la création de richesse, que ce soit par le travail ou par l’impôt. Actuellement, le budget national comorien repose sur une minorité de contribuables, ce qui le rend insuffisant pour financer les services publics essentiels tels que l’éducation, la santé, les infrastructures ou encore les missions diplomatiques.
Les défis économiques des Comores nécessitent une compréhension approfondie de plusieurs domaines : les finances publiques, la fiscalité, la gouvernance, ainsi que l’impact des événements internationaux (comme la guerre en Ukraine) sur le commerce mondial et, par ricochet, sur l’économie comorienne.
Il est évident que l’Union des Comores ne peut être comparée à des pays qui ont su se hisser au rang de puissances économiques ou émergentes. Ces nations ont atteint leur position actuelle grâce à un travail acharné et une capacité à mobiliser divers secteurs pour impulser le développement. Leur réussite ne repose pas uniquement sur les actions de l’État, mais également sur une société active et dynamique.
Prenons l’exemple des multinationales implantées dans ces pays. Leur présence s’explique en partie par l’importance de la démographie : une population nombreuse et consommatrice constitue un levier essentiel pour attirer des investisseurs. Aux Comores, avec une population n’atteignant même pas le million d’habitants, il est peu probable que des entreprises telles que McDonald’s ou KFC s’y installent. Même les rares infrastructures modernes, comme le Golden Tulip ou le Retaj, peinent à atteindre des chiffres d’affaires significatifs. Si leurs résultats étaient à la hauteur, ces établissements recruteraient davantage et participeraient à la création d’emplois.
Cependant, au-delà des contraintes économiques et démographiques, le problème des Comores est aussi sociétal. L’organisation sociale actuelle favorise une dépendance excessive au sein des familles. À Ngazidja, par exemple, il est courant de voir de nombreux jeunes, pourtant aptes au travail, inactifs. Ces derniers vivent aux dépens des chefs de famille, se contentant de la sécurité que leur offre ce système familial : un toit, de la nourriture, l’électricité, des vêtements, sans jamais contribuer.
Ces jeunes, souvent prompts à critiquer le gouvernement en accusant les dirigeants de piller les ressources nationales, oublient leur propre responsabilité. L’argent de l’État ne leur appartient pas directement, mais provient des efforts d’une minorité courageuse qui, par son labeur, parvient tant bien que mal à maintenir un semblant de stabilité. Sans ces individus, le pays sombrerait dans le chaos. Pourtant, une partie de la jeunesse continue de se plaindre sans chercher à agir. Ils accusent le gouvernement de ne pas payer les enseignants, de ne pas recruter dans la fonction publique ou de ne pas créer d’emplois, mais oublient que cela nécessite des ressources que le pays ne possède pas. Avec quel argent cela serait-il possible ?
Enfin, il est illusoire de comparer les Comores à des pays comme la France. Certains justifient l’inertie en évoquant les aides sociales françaises, telles que le RSA. Mais la réalité est tout autre : la France est une puissance qui a bâti sa richesse en exploitant des ressources extérieures, notamment celles de tout un continent. Elle dispose des moyens nécessaires pour assurer un tel modèle.
Pour que les Comores progressent, il est impératif que chaque citoyen assume sa part de responsabilité, que la jeunesse se libère de la passivité et du confort illusoire, et que l’effort collectif prime sur la dépendance. Sans cela, toute tentative de développement restera vaine.
Il est frappant de constater que, mis à part les Anjouanais, une large partie des Grands-Comoriens semble peu encline à embrasser le travail manuel ou les métiers perçus comme modestes. Tandis que les Anjouanais s’investissent avec courage et détermination dans des secteurs comme les marchés, les transports ou les petits commerces, beaucoup de Grands-Comoriens, eux, considèrent ces professions comme dégradantes. Être marchand ambulant, par exemple, est souvent vu comme une atteinte à leur dignité.
La solidarité, bien qu’enrichissante sur le plan humain, devient un obstacle à la démocratisation du travail et à la responsabilisation individuelle. Pourquoi se donner la peine de travailler si l’on sait qu’on aura toujours de quoi manger et un toit sur la tête, sans effort ? Pourtant, il est intéressant de noter que ces mêmes individus, lorsqu’ils émigrent à l’étranger, adoptent un tout autre comportement. Ils travaillent dur, conscients qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
Une vision audacieuse pour un épanouissement socio-économique prospérant
Pour résoudre les problèmes structurels de notre société, je propose des solutions nécessaires. Premièrement, il est impératif de briser la dépendance excessive des jeunes envers leurs parents, une caractéristique du modèle familial comorien qui freine l’épanouissement personnel et la contribution économique. Dès l’âge de 16 ans, les parents devraient inculquer à leurs enfants l’idée que l’effort personnel est la clé de la réussite, qu’il s’agisse de travailler pour acquérir une paire de chaussures ou pour subvenir à leurs besoins futurs. À partir de 20 ans, il devient crucial d’encourager les jeunes à quitter le foyer familial pour devenir autonomes, en participant activement à l’économie. Il est temps d’adopter une mentalité entrepreneuriale, à l’image des Anjouanais, qui se mobilisent efficacement dans le commerce et les activités privées.
Dans le domaine de l’agriculture, des mesures fermes doivent être instaurées. L’État devrait imposer aux familles de mettre en exploitation leurs terrains, ou, à défaut, les céder temporairement pour des projets agricoles ou autres initiatives productives. Une échéance pourrait être fixée, au-delà de laquelle les terres non utilisées seraient réquisitionnées. Cette contrainte encouragerait les familles à cultiver, élever du bétail ou construire, tout en attirant les banques dans des projets hypothécaires pour financer ces activités. L’État doit affirmer son autorité et imposer une discipline de travail.
Dans cette optique, il est temps de mettre fin à certains contrats inutiles qui grèvent les finances publiques sans apporter une réelle valeur ajoutée. En particulier, il est absurde de reconduire des retraités à des postes qu’ils devraient céder aux jeunes générations. Nous savons pertinemment que ces contrats coûtent souvent plus cher que les salaires des fonctionnaires en poste. Plutôt que de réengager des anciens, l’État gagnerait à privilégier l’embauche de jeunes talents, en appliquant par exemple le principe d’“un jeune, un emploi”. Avec un budget équivalent à celui requis pour un seul contrat onéreux, il serait possible de recruter plusieurs jeunes qualifiés, donnant ainsi un sens concret à cette politique.
HOUDAIDJY SAID ALI, Juriste publiciste et Internationaliste, Paris – France
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