La campagne électorale pour les législatives et les communales a été ouverte. Sur le terrain, et dans les médias d’État, il n’y a que les candidats du pouvoir. Ibrahim Mahafidh Eddine s’interroge encore une fois sur la provenance des fonds qui leur permet d’avoir un budget de campagne aussi fastueux.
Par Ibrahim Mahafidh Eddine
Les Comores s’apprêtent à vivre un moment crucial de leur vie politique avec l’ouverture de la campagne pour les élections législatives. Cependant, le contexte politique est marqué par des controverses profondes et des pratiques qui interrogent quant à la transparence et à l’équité du processus électoral. Pendant que le pays s’anime pour les élections, nos frères et sœurs de Mayotte enterrent leurs morts et soignent leurs blessés après le passage dévastateur du cyclone Chido, rappelant l’urgence d’une solidarité nationale qui semble absente dans les priorités des dirigeants.
Une campagne inégale : entre opulence et précarité
Comme à l’accoutumée, le parti au pouvoir a ouvert la campagne avec des moyens colossaux, multipliant les meetings grandioses et les mobilisations massives. Mais d’où viennent ces fonds ? C’est la question qui revient à chaque élection sans jamais obtenir de réponse claire. Le parti au pouvoir s’appuie sur les biens publics : voitures de fonction, carburant, et même la mobilisation des fonctionnaires. Ces derniers, sous la menace de perdre leur poste, sont contraints de participer à ces rassemblements. Ces pratiques, largement dénoncées par l’opinion publique, traduisent un détournement systématique des ressources de l’État à des fins partisanes.
Le fils d’Azali Assoumani, candidat dans sa région, illustre parfaitement cette situation. Lors de son meeting, les trois îles des Comores ont vu leurs ressources humaines et matérielles réquisitionnées pour gonfler artificiellement l’affluence. Tee-shirts, casquettes et autres gadgets à son effigie ont été distribués, probablement financés par l’argent public. Cette opulence contraste avec l’absence totale de transparence sur l’origine des fonds, comme lors des élections précédentes où les infrastructures de l’État, telles que les tentes de la COSEP (sécurité civile), étaient utilisées sans gêne dans les rassemblements électoraux du parti au pouvoir.
Une opposition qui peine à émerger
Face à cette machine bien huilée, l’opposition tente tant bien que mal de s’organiser. Une lueur d’espoir semble apparaître avec la jeune formation politique Naribarikishe Yi Komori, qui a tenu son premier congrès en 2023. Ce congrès, financé de manière transparente grâce à une cagnotte alimentée par les militants et sympathisants (près de 10 000 € collectés), représente une rare exception dans un paysage politique dominé par l’opacité. Pourtant, le traitement médiatique de cet événement souligne l’inégalité des moyens : alors que les médias publics consacraient leur couverture au congrès du parti au pouvoir, pas une seule ligne n’a été écrite sur celui de Naribarikishe Yi Komori.
Cette marginalisation médiatique reflète un verrouillage de l’espace public par l’exécutif, qui utilise les institutions étatiques pour asseoir sa domination politique. L’opposition, malgré ses bonnes intentions, se heurte à des pratiques bien ancrées : fraudes électorales, intimidation, et une structure électorale entièrement soumise au régime.
Des députés impuissants face à l’exécutif
Les élections législatives aux Comores posent également la question du rôle des députés dans la vie politique nationale. En théorie, ces derniers devraient être les garants de la transparence et du contrôle de l’exécutif. En pratique, ils se contentent de valider les décisions du régime. L’Assemblée nationale, transformée en une simple chambre d’enregistrement, ne remplit plus sa fonction de contre-pouvoir. Aucun député n’a eu le courage d’enquêter sur l’utilisation des biens publics lors des campagnes ou sur l’origine des fonds électoraux.
Cette complaisance a des conséquences directes sur la gestion des entreprises publiques, aujourd’hui en faillite. Les députés, plus préoccupés par leurs privilèges que par leur mission, ne prennent aucune mesure pour redresser ces institutions vitales. Ce manque de contrôle alimente un cercle vicieux où l’impunité du pouvoir engendre des dérives toujours plus graves.
Un système électoral à réformer
Les élections législatives sont organisées par les mêmes structures et les mêmes personnes que celles des scrutins précédents, largement critiqués pour leur manque de transparence. Azali lui-même avait admis qu’il y avait eu des “erreurs” à corriger, mais aucune mesure concrète n’a été prise. Pire encore, les mêmes pratiques frauduleuses sont reconduites, laissant peu d’espoir à une véritable alternance.
L’opposition, bien que consciente de ces limites, continue de participer au processus électoral. Elle justifie sa démarche par la nature locale des élections, estimant qu’il serait plus facile de surveiller le vote. Mais comment garantir une surveillance efficace face à une machine étatique si puissante et omniprésente ? Cette question reste sans réponse.
Appel à la responsabilité citoyenne
Dans ce climat de méfiance, la responsabilité citoyenne devient essentielle. Les biens publics, utilisés pour financer des campagnes partisanes, appartiennent à tous les Comoriens. Il est impératif que chaque citoyen joue un rôle actif dans la dénonciation de ces abus et exige des comptes aux responsables politiques. Les Comores ne peuvent pas continuer à tolérer un système où les ressources de l’État sont détournées pour servir les intérêts d’une minorité proche du régime.
Le moment est venu pour les Comoriens de repenser leur système politique et de réclamer des réformes profondes. Les élections législatives de 2025 ne doivent pas être une simple répétition des abus du passé. Elles doivent marquer le début d’un changement réel, où la transparence et l’équité deviennent des principes incontournables.
Seuls des citoyens engagés et des leaders politiques courageux pourront briser le cycle des pratiques électorales douteuses. L’avenir des Comores en dépend.