Il y a une certaine prétention à croire avec beaucoup de sérieux que des linguistes ou des historiens ou même les auteurs peuvent déterminer le bon texte officiel de l’hymne national des Comores ou dire quelle version doit être chantée.
Par MiB
Les historiens peuvent sans doute retrouver ou reconstituer la version originale, celle qui a été choisie en 1978, après la restauration d’Ahmed Abdallah. Les auteurs peuvent aussi dire quel était le texte qu’ils ont présenté aux autorités pour devenir l’hymne national. Ils sont les mieux placés pour dire quel était le premier texte de l’hymne. Les linguistes peuvent transcrire l’hymne dans la bonne version du shiNdzauni et l’écrire avec l’orthographe moderne. C’est d’ailleurs l’apport important qu’ils ont fait sur ce texte.
Pour le reste, tout appartient à l’État qui a pu, dans le passé, modifier formellement ou non le texte officiel, qui théoriquement conserve la version officielle comme tous les autres symboles de l’État et qui a aussi la possibilité de modifier cet hymne par un acte du parlement. Au-delà de l’État, aucune entité ne peut affirmer détenir ou établir la version officielle d’un symbole représentant la nation.
Mais, qu’est-ce se passe-t-il quand l’État est défaillant dans ce domaine également. Quand le protocole d’État n’a aucune version officielle ? Quand le chef de l’État lui-même ne connait pas la version officielle et pire, est surpris dans une vidéo devenue virale, en train de chanter une version inconnue de l’hymne national (« biladi li kombozi pia »), alors qu’il a été pendant très longtemps un militaire (jusqu’au grade de colonel) et qu’il a dû normalement le chanter chaque matin au lever du drapeau dans sa caserne ?
Il arrive ce qu’on voit actuellement. En 2021, le protocole de l’État ou les chargés de la communication de Beit-Salam choisissent une chanteuse pour chanter l’hymne national le 6 juillet, sans chercher à savoir comment elle va l’interpréter et si elle a bien compris la petite histoire qui est racontée dans l’hymne. Du coup, on se retrouve avec une chanteuse qui au lieu de dire que les iles de l’archipel sont au firmament (brillent) affirme que les îles se sont séparées (éloignées). En 2022, on apprend que c’est un groupe qui a choisi le chanteur et lui a donné le texte revu par les linguistes pour le chanter le 6 juillet. Sans aucune intervention de l’État ?
Si nous avons chanté pendant plus de quarante une version, est-ce que ce n’est pas de fait la version qui est imposée par les diverses constitutions ?
Depuis plus d’un an que ce débat sur l’hymne national déchire les Comoriens, le gouvernement ne prend même pas la peine de se prononcer, notamment pour dire aux Comoriens quel est l’hymne officiel. Il ne sait pas lui-même et donc laisse faire les rumeurs.
Face à cette déliquescence de l’État que nous observons tous les jours dans divers domaines, il faudrait que chacun garde un minimum de modestie. Ce n’est ni aux historiens, ni aux linguistes et encore moins aux chanteurs payés pour une prestation, sans que les services de l’Etat leur donnent un texte officiel, sans que les communicants de Beit-Salam n’entendent leur interprétation de l’hymne national de façonner un quelconque symbole de l’Etat.
Dans les États où les ministres ont le souci de servir, tout cela est déterminé par un texte de loi, parfois intégré dans la Loi fondamentale et tous les citoyens savent à quoi se référer. Mais, quand je vois qu’en 2021 et en 2022, les artistes choisis pour chanter l’hymne national font ce qu’ils veulent, je me dis que c’est la marque d’un État dont les dirigeants, en plus de se moquer du sort du peuple, se fichent complètement des symboles qu’ils devraient chérir. Et ils voudraient reporter leurs responsabilités sur des linguistes ou des historiens ? Cela n’est pas possible. Il n’est pas du ressort des chercheurs de prendre des décisions politiques. Si les responsables politiques actuels ne peuvent pas assumer leurs rôles et responsabilités, ils doivent laisser les places à d’autres, car la communication ne peut pas tout cacher.
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