Le week-end dernier, suite à l’appel du chanteur Salim Ali Amir, de nombreux Comoriens ont posté des publications exclusivement en shikomori dans les réseaux sociaux. Une action de valorisation de notre langue qui s’inscrit dans une tendance culturelle mondiale : la revendication de l’identité culturelle par la langue. Par Nawal Msaïdié
Le dictionnaire Larousse définit la “langue comme le système de signes vocaux, éventuellement graphiques, propres à une communauté d’individus, qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux.”
La langue est un bien commun pour communiquer, s’exprimer, construire des repères et vivre ensemble. C’est un élément clé qui participe à la définition de l’identité d’un individu et de son territoire, de son patrimoine.
Le shikomori, une langue bantu et quatre variantes
Le shikomori est composé de quatre dialectes ou variantes : le shimaore à Mayotte, le shimwali à Mohéli, le shidzuani à Anjouan et le shingazidja à la Grande-Comore. Ces variantes se répartissent en deux groupes selon leur degré d’affinité : le groupe oriental comprenant le shiMaore et le shiNdzuani et le groupe occidental formé des parlers shiMwali et shiNgazidja.
Le shikomori appartient à la famille des langues bantu.
Aux Comores, “trois langues officielles coexistent : le shikomori, l’arabe et le français. Chacune ayant un statut ne correspondant pas toujours à la réalité du terrain. L’arabe jouit d’un grand prestige étant rattaché à l’Islam, religion d’État qui structure la société et les mœurs des Comoriens. Le français est la langue de l’administration, de la politique et des affaires depuis la colonisation. Et le shikomori est la langue première des habitants, utilisée dans la famille, dans les actes de la vie quotidienne, dans les commerces de proximité et dans les rites traditionnels”. (« Le système éducatif comorien », note d’analyse de Sara Ahamed, 2020).
« Je ne dois pas parler comorien à l’école ».
En effet, les deux langues officielles étrangères sont privilégiées par rapport à la langue maternelle.
Dans les années 1990, dans une école de la capitale, Moroni, les élèves pouvaient avoir une étrange punition récurrente qui les privait souvent de recréation : écrire plusieurs fois au tableau « Je ne dois pas parler comorien à l’école ».
Le shikomori était la langue interdite et à rejeter tandis que le français était la langue tolérée et à rendre exclusive dans un territoire décolonisé depuis une vingtaine d’années et se trouvant à 13 000 kilomètres de l’ancienne mère-patrie. Il me semble que cette pratique tend à diminuer avec le temps mais perdure dans beaucoup de cercles familiaux. Le français est et doit être la langue maîtrisée par l’élite pour une bonne réussite sociale.
Ce rejet de la langue, beaucoup d’enfants de la diaspora le vivent consciemment ou inconsciemment pour des soucis d’intégration de leur part ou de leur entourage.
La langue comme signe d’appartenance à une communauté
Ce ne sont pas les règles de grammaire qui font la langue mais la manière dont une communauté s’empare de cette langue et s’identifie par elle.
Une page instagram qui regroupe de plus en plus d’abonnés ces derniers mois illustre tout à fait cela : la page « In comoros, we don’t say » (traduction : aux Comores, on ne dit pas). Cette page publie presque quotidiennement des expressions comoriennes en accentuant leur authenticité culturelle. Par exemple, on peut y lire « In Comoros, we don’t say tu es tellement intelligent, bo mze we ndé chiyo soifiiii ». L’engouement pour cette page prouve que l’utilisation de la langue assoit le sentiment d’appartenance à une même communauté et donc à une même culture.
L’écriture comme outil de transmission et de standardisation
L’UNESCO classe la langue dans la catégorie du patrimoine culturel immatériel (PCI). La langue est une composante à part entière de notre patrimoine et doit donc bénéficier d’outils pour la valoriser et la stabiliser. Les langues de beaucoup de pays se transmettent à l’oral et peu à l’écrit, or, nous sommes à une époque où c’est l’écrit qui assure la pérennité d’une langue.
L’opération de ce week-end ou la lecture de publications écrites en langue comorienne a démontré que, malgré le décret de standardisation du shikomori de 2009 et la publication du dictionnaire shikomori, l’écriture est loin d’être stabilisée.
Ecrit-on luha ou lugha ? Il est difficile de se prononcer en sachant que dans chaque camp, il y a des arguments valables.
Vous pourrez trouver la réponse sur le site d’ORELC (Outils et Ressources pour l’Exploitation de la Langue Comorienne). Il s’agit d’un « projet qui a pour vocation de fédérer au sein d’un portail unique, un ensemble d’outils et de ressources basés sur la langue comorienne. Pour constituer cette banque de données axée sur la langue comorienne, ORELC s’entoure de professionnels en linguistique, de chercheurs, informaticiens et autres contributeurs qui pourront pérenniser et faire de ce projet le site de référence pour la langue. « C’est une initiative qui s’appuie sur la participation de contributeurs scientifiques ou non pour aider à une meilleure connaissance et appropriation de notre langue et donc de notre identité.
Pour finir, reprenons l’expression « Dis-moi d’où tu viens, je te dirais qui tu es”, en littérature on va même plus loin puisqu’ on dit que la façon dont un texte est rédigé révèle beaucoup sur son auteur. Il est donc primordial de se pencher sur la standardisation de notre langue pour en faire un défenseur actif de notre culture et de notre identité.
L’année dernière, la présidence annonçait la création de l’académie nationale du shikomori, peut-être un premier pas pour sécuriser ce patrimoine essentiel.