Pendant le mois de Ramadan, comme dans tous les pays musulmans, les Comoriens constatent « ye hawa yi badili » : L’air, l’atmosphère, l’ambiance change pendant ce mois sacré, un mois béni, un mois heureux, un mois consacré à la religion, un mois de partage et de traditions. Ce constat se fait chez tous les Comoriens à travers le monde et laisse apparaître des habitudes culturelles, au-delà du religieux. Par Nawal Msaidié
Les changements dans la sphère publique
Dans nos îles, le changement qu’apporte le mois de ramadan se constate d’abord dans l’habillement. Sur les quatre îles, les hommes sont plus souvent en kandu et kofia.
L’habillement des femmes est, quant à lui différent et plus varié : le bwibwi plus souvent mis à Ngazidja, le leso porté exclusivement sur la tête, le kishali de nambawani à Mwali, le shiromani à l’origine de Ndzuani mais qui se porte de plus en plus souvent sur les autres îles tout comme le saluva, gauni la shidzuani et enfin les boubous habillés que l’on différencie de ceux qui sont revêtus à la maison pour le confort personnel ou liés aux tâches ménagères.
Autre changement notable, l’organisation de la journée. Avant tout, pour laisser aux jeûneurs le temps de se consacrer à la spiritualité. Ainsi sont appliqués au travail des horaires ramadan qui autorisent les personnes à avoir une journée continue qui s’arrête aux alentours de 14h30 avant la prière de l’asr : les bureaux, les commerces, les transports, la vie professionnelle s’arrête plus tôt que d’habitude. Cela permet aux hommes de pouvoir assister aux darasa. Les femmes, quant à elles, peuvent rentrer à la maison pour préparer les repas qui seront servis lors de la coupure du jeûne.
À Mayotte, les horaires ramadan sont aussi proposés aux musulmans qui travaillent dans l’administration ou dans le privé (un peu avant 16h), mais on constate également une fermeture précoce des commerces, souvent peu avant le mahribi.
Aussi hors temps covid, on constate une réappropriation du bangwe. Après le darasa, les hommes se réunissent sur la place publique en attendant l’appel à la prière et jouent à différents jeux de société comme le mraha, les dominos, les cartes et discutent moins de la vie publique et politique qui est aussi un peu en suspens pendant le mois de ramadan (les mariages, par exemple, ne sont pas célébrés).
Certaines personnes aussi aiment pratiquer des activités sportives avant la rupture ou en soirées. Dans certaines localités des compétitions de sport sont organisées, comme le murenge par les jeunes, après la rupture.
L’un des plus beaux moments de la journée est le utosa djuwa lorsque l’on guette le coucher de soleil. Une image unique sur l’archipel de la lune, lorsque ciel et terre se rencontrent dans les reflets de l’eau.
Enfin, le premier ou dernier moment de partage est le tsahu. Moment où l’on mange le repas qui nous tient pour la journée de jeûne. A certains endroits, des jeunes garçons qui souvent sont à la mosquée pour le witr parcourent leurs villages en criant « tsahu! Tsahu! » afin d’encourager les familles à partager ce repas avant la prière d’alfajr.
Les changements dans la sphère privée
Le temps à la maison change aussi, autant le ramadan est une occasion de se consacrer à sa spiritualité, autant il est aussi l’occasion de partager des moments en famille.
Par exemple, la jeune mariée invite sa belle famille pour la première fois et se donne l’occasion de passer du temps avec ses shimedji, hommes et femmes.
En fait, comme beaucoup d’éléments de notre quotidien, le temps du Ramadan est codifié. L’un des objectifs est de passer ce moment de partage et de spiritualité avec tous nos proches, familles ou amis que l’on reçoit selon une sorte de groupe d’appartenance et ce quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le monde.
Les Comoriens vivant dans des pays non musulmans, eux, organisent aussi leur vie autrement. Certains prennent des congés ou encore ceux qui en ont la capacité font des stocks de nos pâtisseries. Les parfums des plats traditionnels sont ceux que l’on sent le plus dans toutes nos cuisines et sur nos tapis, mkeka et djavi.
À l’étranger, la cuisine comorienne côtoie aussi de plus en plus souvent des plats venus d’ailleurs. Selon l’origine des voisins, au moment de la rupture on trouvera les aloco très appréciés en Afrique de l’ouest, à côté de nos bananes vertes ou encore à la place du kuskuma ou du futra, on pourra trouver le matloua maghrébin. Cette découverte de nouvelles saveurs s’inscrit une nouvelle fois dans la tradition du partage du mois de Ramadan. Comme aux Comores, les gens de la diaspora invitent leurs voisins venant de différents pays à rompre le jeûne avec eux, musulmans ou pas.
Il est vrai que l’épidémie covid-19 a mis à mal l’atmosphère traditionnelle du ramadan. Il n’est plus possible de faire des invitations ni d’activités ludiques ou sportives. Cela rend l’ambiance ramadan particulière et plus morose. Mais, il n’empêche que le mois de Ramadan, reste une période qui permet un regain des traditions qui définissent le peuple comorien.
Nous remercions Said Omar Said Athoumani, passionné d’histoire precoloniale des Comores, Ismael Mohamed Ali, journaliste, Mmadi Ali Mwignimali, fundi ainsi que Hicham Aboudou, Said Ali Said Mohamed et Youssouf Abdoul-Madjid pour avoir aidé à la rédaction de cet article.
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