Iconi, vendredi 27 aout, vers 15 heures.
Par de petites vagues successives, les gens commencent à affluer à la place Bishioni, place emblématique de la ville d’Iconi. Près de 100 journalistes et membres des réseaux sociaux y sont également assemblés, connectés avec leurs smartphones pour faire vivre l’événement en direct à ceux qui sont loin. Par Hachim Mohamed
L’association Mabedja a décidé de tenir sa réunion prévue dans la ville malgré les menaces du gouvernement et de membres du parti présidentiel (CRC) de la ville.
Un collègue est enthousiaste. « Je suis sur les lieux depuis ce matin. Ce qui va se passer ici est un évènement qui va déplacer les foules », se confie Hadad Hassani, journaliste d’un média local avant de conter ce qu’il a vu sur le chemin faisant en arrivant.
« On immobilise les véhicules de transport en commun, on fait descendre les passagers, on demande les papiers au chauffeur. Franchement, c’est inquiétant ! ».
L’ambiance est chauffée à bloc par un animateur, officiant en tant que maître de cérémonie des Mabedja, mais aussi par les différents directs sur YouTube et Facebook.
Nkarobwe et les Mabedja accueillis en pop-stars
Avant l’arrivée des membres de Mabedja, la foule prenait du beau temps sous le soleil.
L’ambiance était bon enfant. Les poings levés, les manifestants scandaient des slogans nationalistes ou hurlaient des prières. Un autre groupe brandissait des tracts rédigés à la va-vite et invitait l’assistance à adhérer au mouvement Nkarobwe, du nom de ce militant des droits de l’homme qui chaque vendredi s’adresse à la foule en interpellant le gouvernement sur le mépris des droits.
Soudain, une foule de badauds venus de tous les coins du pays s’est levée d’un bloc et pour accueillir le fameux Nkarobwe, avec un grand tintamarre de crécelles, de sifflets et de cris de joie. C’est le signe que les prises de parole de ce personnage « fou pas comme les autres » ont une influence sur des citoyens qui ont soif de libertés.
À 15 heures 30, c’est l’heure choisie par les Mabedja (Sania, Soibahoudine, Bichara) pour faire leur apparition. Perdus parmi les journalistes et des compatriotes venant des autres localités du pays, les Mabedja essayaient tant bien que mal de se frayer un passage. La foule entama une interminable ovation pour saluer cette arrivée, comme pour les remercier de ne pas avoir cédé à la peur et aux menaces.
Dans la foulée, une minute de silence fut observée en l’honneur de Gazon, un jeune de la ville, sans histoire, qui a été froidement abattu par l’armée en 2019. La foule entonna ensuite l’hymne national qui fut suivi de la lecture du Coran par un Iconien.
L’armée mise en fuite
Soibahoudine, le premier des Mabedja est monté sur une estrade de fortune et a entamé un discours évoquant la nécessité de prendre en compte les préoccupations de la population, la démocratie, les droits de l’homme et la primauté de la loi. Vers 16 heures, un pick-up de la gendarmerie fonça au milieu de la foule et les gendarmes ont commencé à tirer en l’air. Dans un premier temps, ce fut un sauve-qui-peut général. Certaines personnes ont été prises de panique. Puis des jeunes d’Iconi, visiblement préparés à cette éventualité se précipitèrent vers le pick-up en lançant des pierres et divers projectiles. Les gendarmes ont été contraints de prendre la fuite et sortir rapidement de la ville.
Cet incident a ravidé l’audace de la foule qui a acclamé pendant plusieurs minutes « les jeunes guerriers d’Iconi » qui ont faire fuir l’armée d’Azali.
Larmes contre les armes.
Ce rassemblement d’Iconi a fait naître une prise de conscience d’une communauté d’intérêts d’une partie du peuple comorien et des jeunes Mabedja, venus aux Comores pour manifester pacifiquement contre la privation de libertés. Ce fut encore plus évident après la fuite du tristement célèbre PIGN à Iconi.
La révolte tue depuis tant d’années s’est exprimée avec les prises de parole de Sania, de Bichara, de Nkarobwe et tant d’autres compatriotes qui se sont exprimés ce vendredi dans ce rassemblement à Iconi.
Rien ne peut justifier un tel abus, une telle démonstration de puissance destructrice à chaque volonté de manifestation de la population de la part du gouvernement. « Nous avons les larmes, mais le pouvoir a les armes », a interprété sur le ton de l’ironie un des intervenants de l’association Mabedja.
Il semble que les jeunes en ont marre d’avoir peur comme l’a exprimé la jeune Zaoudjati qui s’est révoltée contre sa famille qui ne voulait pas la voir assister à cette manifestation. « Il y a beaucoup de risques pour toi de rester là-bas, car les militaires vont venir arrêter, disperser les gens à coups de gaz lacrymogène et de matraques. Si tu ne m’écoutes pas et tu persistes, il ne faut pas venir me demander de te libérer des griffes de la police », lui a lancé son frère, membre de la CRC. En réponse, elle a répliqué qu’elle n’a rien à faire du parti d’Assoumani Azali et qu’étant majeure et vaccinée, elle n’avait pas besoin de lui pour prendre ses responsabilités et ses décisions.
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