Azali s’est terré pendant les présidences de Sambi et d’Ikililou. Il se présentait comme un homme qui avait accompli sa mission et certains ont pu penser qu’il avait tourné la page de la politique.
Mais, pendant ce laps de temps, il s’est fabriqué une nouvelle image, celle d’un sage parce qu’il se vantait d’avoir fait le choix de ne pas s’accrocher au pouvoir pour être en paix avec lui et pour le bien du pays. Il voulait sans doute gommer une partie de son histoire pour avoir pris le pouvoir par la force. Il s’attribuait le beau rôle de l’homme qui a sauvé le pays qui était au bord de l’explosion après des années de doute et de séparatisme. Il présentait les accords de Fomboni comme les premiers faits d’armes en politique.
Un silence stratégique
Et puis vers la fin du mandat de Ikiliou, il commença à dévoiler ses ambitions de revenir à la politique et au pouvoir. Le silence quasi cathédral durant les deux mandats de Sambi et Ilililou, sans aucune interférence majeure dans la vie politique, même quand ses ex-lieutenants étaient mis en cause par la justice, lui a donné le statut d’homme politique mature et posé, qui a eu tous les honneurs, le pouvoir et l’argent. Il avait séduit quelques politiques et citoyens qui le détestaient à la fin de son mandat.
En effet, loin de faire l’unanimité, Azali était apparu en 2016 comme l’homme de la situation parce qu’il avait tout connu, de l’organisation et du fonctionnement de l’État, des obstacles à la gouvernance du pays et qu’il avait acquis de l’expérience politique. Certains croyaient qu’il avait le recul suffisant pour donner un nouveau souffle au pays. Avec le manque de perspectives d’avenir et le chômage de masse, surtout pour les jeunes formés aux Comores et à l’étranger, « un jeune, un emploi » était un slogan de campagne crédible.
Transfert de la compétence constitutionnelle à la Cour Suprême
Avec Azali en 2016, tous les rêves étaient permis pour certains. Sauf que les espoirs des jeunes et de la classe politique étaient de courte durée.
Dès l’élection de 2016, le Président Azali a montré son vrai visage. Les grandes manœuvres pour s’accaparer de tous les pouvoirs ont commencé.
Il a supprimé la cour constitutionnelle de manière illégale et a transféré les compétences de cette juridiction à la Cour Suprême dont il pouvait nommer les membres.
Et puis il a fait adopter par voie référendaire une constitution sur mesure en 2018, une constitution qui lui attribue les pleins pouvoirs pour prendre toutes les décisions politiques qui lui conviennent.
Le contrôle effectif du pouvoir judiciaire a été l’un des instruments essentiels de la concentration du pouvoir par Azali Assoumani.
Le pouvoir judiciaire phagocyté par l’Exécutif
L’article 94 de la Constitution de 2018 prévoit dans son alinéa 3 que « les magistrats de siège sont inamovibles sauf pour le cas de nécessité de service ». Cela veut dire que le juge du siège : « ne peut être révoqué, puni ou déplacé qu’en vertu d’une procédure spéciale offrant des garanties renforcées ». Cela veut dire aussi « qu’il ne sera jamais remplacé dans ses fonctions ».
Toutefois, le pouvoir judiciaire, par essence indépendant, est l’un des piliers du fonctionnement des institutions étatiques qui souffre de l’ingérence quasi quotidienne de l’exécutif.
Le Président Azali, par décret du 28 mai 2020, a mis fin aux fonctions du Premier Président de la Cour d’Appel de Moroni. Ledit premier chef de juridiction a remplacé par un autre magistrat par arrêté de l’ancien ministre de la Justice aussitôt après.
Les Comoriens font le constat amer que le Président de la République et le ministre de la Justice font le contraire de ce que dit la constitution comorienne de 2018 sans que la classe politique dénonce sérieusement cet abus d’autorité de l’exécutif.
La passivité des juges face aux abus de l’Exécutif
Nous nous attendions à une grève des magistrats de ce pays pour dénoncer la décision arbitraire de l’exécutif de mettre fin brutalement aux fonctions du premier Président de la Cour d’appel. Le manque de solidarité envers leurs collègues pose problème concernant l’organisation du Conseil supérieur de la magistrature et des magistrats eux-mêmes.
Le monde judiciaire est brutalisé dans son intimité par ceux-là mêmes qui sont censés garantir l’indépendance de la justice et le conseil supérieur de la magistrature manifestement de connivence avec l’Exécutif n’a pas pris la défense du magistrat mis au placard pour des raisons politiques et sans aucun fondement juridique.
Nous sommes persuadés pourtant qu’une bonne partie des magistrats désapprouve totalement les abus d’autorité de l’Exécutif. Mais, combien de temps encore vont-ils devoir croupir sous ce silence complice par omission ?
L’ex-Premier Président de la Cour d’appel a été démis de ses fonctions par un simple décret du président Azali pour me semble-il des raisons politiques et sans aucun respect de la loi et malheureusement cela n’était pas suffisant pour provoquer une démonstration de force des magistrats contre l’Exécutif.
Au fil des années, le statut de magistrat se précarise aux Comores. Un employé dans le secteur privé est plus respecté qu’un magistrat comorien en ce sens que si l’employeur veut se débarrasser de lui, il respecte l’essentiel du droit de travail. Une lettre de mise en demeure pour rappeler les manquements éventuels au contrat de travail, une invitation à s’en expliquer par une convocation préalable avant toute décision de licenciement pour faute grave par exemple, sont autant de garanties accordées aux salariés de droit privé.
Au palais de justice des Comores, les magistrats sont traités comme des moins que rien par l’exécutif. Ils sont considérés comme les sujets du roi à qui ils doivent se soumettre. Ils n’ont d’autres choix que de subir les caprices du monarque.
Mais il n’y a pas que le pouvoir judiciaire qui fait l’objet des assauts de l’Exécutif. Le pouvoir législatif n’a plus d’existence réelle.
Le pouvoir législatif, chambre d’enregistrement des désidératas du monarque
Les exemples de la mainmise de l’exécutif sur le parlement sont nombreux. Il sera cité ici une seule situation de fait qui met à mal le pouvoir législatif : la gestion opaque des comptes publics.
La loi organique de 2005, relayée par les lois des finances de l’État, avait fixé les quotas de répartition des crédits budgétaires entre l’Union et les îles. Cette loi a été abandonnée par le Président Azali.
De plus, tous les impôts collectés ainsi que les diverses taxes transitaient sur un compte unique de transition, comme ce fut le cas avec la constitution de 2001, avant la révision de 2009.
Aujourd’hui, les parlementaires comoriens n’ont pas la main sur la gestion des recettes fiscales des îles. Certains sont versés sur des comptes occultes non identifiés par le législateur. Alors que d’autres sommeillent sous des matelas en attendant leurs affectations pour le poste budgétaire prévu par le gouvernement.
Cette gestion non transparente des deniers de l’État permet à l’exécutif de financer ses choix politiques et sans débats. Mais elle favorise le gaspillage et la corruption sur l’argent public. Le parlement n’est pas en mesure de contrôler toutes les recettes fiscales des entreprises publiques, des établissements publics à caractère industriel et commercial et des entreprises privées.
En vérité, le pouvoir législatif de l’Union des Comores est fantomatique en ce sens qu’il a été vidé de sa substance par l’exécutif.
Le bilan des années de pouvoir sans partage d’Azali est catastrophique en ce qu’il a rendu le pays plus fragile qu’il ne l’était en 2016. L’échec de ses mandats successifs est le résultat d’un pouvoir personnalisé et autoritaire. Le piège du monarque absolu s’est refermé sur lui-même. Il endosse l’entière responsabilité politique.
Du coup, aujourd’hui on se pose la question de savoir, sincèrement, pourquoi Azali est revenu à la politique ? Est-ce que c’est pour des règlements de compte avec ses anciens camarades et opposants politiques ou tout simplement pour détruire complètement les institutions démocratiques du pays ?
Me Ben Ali Ahmed
Avocat au barreau de Saint-Pierre, La Réunion