Au mdjini, le premier ramadan d’un enfant est en soi un événement. Toute la famille guettait de près les signes de fatigue de l’enfant pour l’assister à supporter la dure épreuve la journée durant.
J’avais sept ans quand j’ai dit à mes parents mon intention de jeûner. Prévenir les parents, ce n’est pas pour qu’ils ne donnent pas à manger car on était censé pouvoir se débrouiller pour casser la croûte par un fruit, une tubercule, des restes du repas de la veille ou tout simplement chez l’une ou l’autre des nombreuses mamans (tantes). Prévenir les parents, c’est pour avoir le bambu ou matsaza de l’exploit. Cela peut être un animal, un arbre ou un objet de valeur que l’enfant peut garder longtemps en grandissant.
En ma qualité de fils aîné, j’ai eu droit à beaucoup d’égard du fait que je prêtais mon prénom à tous les membres de la famille. Mbaba Dini, mdzadza … kokwa…. Mbaya…. mdjomba … et le petit frère mwanashewa… ma petite sœur mwanamshwa….
J’avoue avoir tenu durement la journée, attirant même la pitié de tout le monde, scrutant le coucher du soleil, espérant l’appel du muezzin jusqu’au moment généreux pvomaharibi.
Le verre d’eau qui m’a été offert par mon père fut une véritable délivrance. Je ne sais pas par quel menu commencer tellement un tapis garni offrait toute une gamme de plats chauds qui dévorent l’appétit.
– Ubu wa tsambu, wa trama, wa ndrindi
– djosho: mhogo, mbatse, madjimbi
– mikatre: wasiniya, zikango, kaimati
– yirewo: nyama, nfi, nkuhu
– ndrovi ya nazi.
Mon père avait plusieurs wafunguzi(ses enfants, ses neveux, quelques uns de ses élèves, ses beaux frères) tout était bien consommé.
Mais ce que j’attendais à cet instant de victoire, c’est le cadeau de ramadan. Plusieurs cadeaux car chaque membre de la famille m’en avait offert. Des habits, de l’argent, des poules, des livres. Il me reste en vif souvenir ce que ma grand-mère et mon père m’ont donné.
Kokwa Dini m’a offert un jeune cocotier dans le potager familial ( ndo kurani). Ce beau cocotier grandissait avec moi et portait le nom Mnamnazi wa Dini. J’allais lui dire bonjour le matin et au revoir la nuit. J’admirais ses mbepve, je veillais sur ses nkoma, j’offrais ses zidjavu et je donnais ses nazi. Je passais des heures assis sur ses racines, le dos posé sur son tronc et je me suis battu pour que les grands couteaux ne le blessent pas pour faire des nkelewo. Tout était beau dans ce jeune cocotier et surtout l’élégance étalée de ses feuilles pointées vers le ciel, sa fleuraison en graines dorées jusqu’à la formation des noix dont le cycle offrait un beau processus de développement: nkoma-nkumbu-zidjavu-nazi. C’est de lui que j’ai appris à grimper, une épreuve qui attend tout garçon de milieu rural.
Quant à mon père, il m’a invité à l’accompagner dans son champ, le lendemain de mon premier ramadan pour m’offrir le plus beau cadeau que j’ai eu. Un petit lapin blanc, à la peau moelleuse et aux beaux yeux rouges. Quand il l’a mis dans mes bras, j’ai senti avoir toute la richesse de la terre. C’était en fin d’après midi parce qu’il était allé chercher du grillage chez son ami mzungu qui travaillait dans le centre d’appui technique de la SODEC, une société de développement agricole dirigée à l’époque par Ali Soilihi Mtsashiwa. Avec ce grillage, du bois et de la paille apportés par ses élèves, mon père m’a construit un clapier pour élever mon lapin. C’était ma première activité agricole et je me levais très tôt pour que juste après la prière de l’aube, je partais chercher le ntsohoho pour nourrir mon lapin. J’ai dû faire appel à mes petits frères et à mes cousins pour m’aider à tenir l’élevage car la 1ère mise bas du monsungurwa m’a donné 12 petites souris devenues en quelques jours des petits lapins blancs.
C’est de là que je ne mange jamais de viande de lapin comme je n’aime pas qu’on abatte des cocotiers. Les premiers cadeaux de ramadan, c’est sacré.
Par Dini Nassur