Abdoulaye DIARRA, représentant par intérim de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) aux Comores, se confie en exclusivité à Masiwa. Il retrace son parcours africain et livre également ses impressions sur le bureau de Moroni et sa restructuration nécessaire. Il explicite le mandat de la conscience mondiale de la santé et des spécificités locales. (Partie1) Propos recueillis par BAKARI Idjabou Mboreha
Masiwa- Monsieur DIARRA, depuis quand êtes-vous en responsabilité aux Comores?
Abdoulaye DIARRA- D’abord je vous remercie de me donner l’opportunité de partager quelques éléments d’information sur le travail de l’OMS et ses missions aux Comores. Quant à moi, je suis arrivé aux Comores en février 2018, comme représentant de l’OMS par intérim.
Masiwa- Et votre parcours professionnel avant les Comores?
A. D– Je suis médecin de Santé Publique. J’ai obtenu mon Diplôme de Médecine générale en 1986 au Mali, ma Maîtrise en Épidémiologie en 1989 à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) et un doctorat (PhD) en Santé Publique en 2001 à la London School of Hygiene and Tropical Medicine à Londres.
Au Mali j’ai travaillé à l’Institut National de Recherche en Santé Publique (INRSP) où j’ai commencé comme Assistant de Recherche pour finir Directeur de recherche et chef du Département Santé Communautaire, un des départements clés de l’INRSP.
Ma carrière à l’OMS : j’ai commencé à l’OMS en janvier 2003. Mon premier poste était au bureau pays du Togo au sein de l’équipe inter pays pour l’Afrique de l’Ouest. Je devais commencer à Abidjan, mais fin 2002 coïncidait avec le début de la rébellion en Côte d’Ivoire. De 2003 à 2005 je m’occupais de l’appui aux pays d’Afrique de l’Ouest en matière de lutte contre les maladies tropicales négligées, plus particulièrement la trypanosomiase humaine africaine ou maladie du sommeil, la schistosomiase et les helminthiases.
En 2005, j’ai été relocalisé à Libreville où il y avait la base de l’équipe d’appui inter pays pour l’Afrique centrale mais je continuais mon appui aux pays d’Afrique de l’Ouest par ce qu’on n’avait pas recruté quelqu’un pour me remplacer.
En 2007, j’ai été affecté au bureau régional de l’OMS à Brazzaville comme point focal régional en remplacement de Dr Honoré Meda qui venait de quitter l’organisation. En 2009 je suis encore retourné à Libreville pour assurer la même fonction de point focal régional et j’y suis resté jusqu’en 2016, date à laquelle je suis retourné au bureau régional à Brazzaville de nouveau.
«Un momentum pour se restructurer»
Masiwa- Passer de bureau régional, avec en gestion l’Afrique de l’Ouest et centrale à un bureau pays, quelle a été votre sentiment et surtout la situation du bureau de Moroni à votre arrivée ?
A D– De prime à bord, quand vous passez de l’appui à la lutte contre une maladie dans 36 pays endémiques, où vous devez appuyer l’élaboration des plans, la mobilisation des ressources avec les partenaires extérieurs et à l’interne, suivre la mise en œuvre correcte des interventions sur le terrain, c’était cela mon rôle à Brazza ; à responsable dans un seul pays, le premier sentiment, vous vous dites que le job sera vite fait (claquement des doigts). Vous êtes dans un seul pays et vous pensez que vous pouvez avoir tout de suite des résultats.
Mais en réalité, ce n’est pas le cas. Car les responsabilités changent. En fait tout change en tant que représentant. Vous êtes obligé d’avoir une vue holistique de la santé. Ce qui implique une collaboration étroite avec les collègues nationaux qui connaissent mieux la situation. En s’appuyant sur eux, on fait une économie substantielle du temps de l’analyse de situation.
A cet effet, je suis arrivé en février 2018. J’ai trouvé un autre représentant par intérim. Ce bureau reposait beaucoup sur les experts nationaux qui sont toujours là.
Mon analyse par rapport à la capacité du bureau à mon arrivée, compte tenu des défis à relever, la capacité actuelle du bureau pour faire face était, à mon avis, faible. C’était le premier constat. Il y avait 4 NPO (National Professional officer) pour aider à gérer l’ensemble des problèmes de santé de ce pays, accompagner le gouvernement à prendre en compte la santé dans tous les aspects et politiques de développement, collaborer et coordonner les partenaires techniques et financiers du secteur de la Santé, nouer de nouveaux partenariats avec par exemple la société civile, etc… ; pour tout cela le staff existant était insuffisant.
Donc il fallait voir comment renforcer les capacités de ce bureau, d’abord en ressources humaines puis financières. Dieu merci avec l’appui du bureau régional, et les plaidoiries des ministres successifs de la santé (Dr Fatma ensuite Mme Loub Yakouti Attoumane) qui ont toutes les deux parlé avec Dr Moeti, Directrice Régionale de l’OMS pour l’Afrique et aussi de Dr Matthias Naab, coordinateur Résident du Système des Nations Unies qui a lui aussi fait le plaidoyer auprès du Dr Moeti, le bureau a eu la possibilité d’avoir un peu de renfort en personnel (deux staffs permanents et des consultants temporaires). Avec cet effectif renforcé, nous nous sommes tous engagés lors de notre dernière retraite du bureau tenue à Mitsamiouli en Avril 2019 à relever les défis pour impacter le système de santé du pays.
En matière de mobilisation des ressources financières, nous avons bénéficié de certains fonds, par exemple les fonds CERF des Nations Unies, suite au cyclone Kenneth et d’autres fonds provenant du bureau régional et du siège à Genève. Pour mieux répondre aux défis, en plus des hommes et des fonds, il faut une structure adaptée et développer le partenariat. C’est ce chantier de la restructuration du bureau qui est actuellement en cours. Il faut aussi signaler que pour répondre efficacement aux défis, chaque agence du système des nations unies dans le cadre de son mandat est engagée à travers ce qu’on appelle le plan cadre des nations unies pour l’aide au développement (UNDAF) qui prend en compte les priorités définies dans la SCA2D.
Je peux aussi citer la réforme globale engagée par l’OMS et le programme de transformation de l’OMS/AFRO, initié par le Dr Moeti qui met un accent particulier sur les résultats et les hommes. A mon avis tout ceci peut être considéré comme un momentum pour le bureau pays de se restructurer pour mieux répondre aux défis du pays. Une équipe, venue du bureau régional pour la revue fonctionnelle de notre bureau, a rencontré les autorités nationales, tous les partenaires impliqués dans la santé et le personnel de l’OMS. Forte des informations recueillies auprès des parties prenantes, cette équipe a proposé une nouvelle structure du bureau pays qui sera Inchallah mise en place à partir de 2020.
Le mandat de «la conscience mondiale de la santé»
Masiwa- Justement à propos de mandat, quel est celui assigné à l’OMS et plus particulièrement à l’antenne locale?
A D- On ne peut pas parler du mandat du bureau pays sans parler des missions de l’OMS en général. L’Organisation Mondiale de la Santé a pour devoir d’impacter au quotidien la vie de tout le monde, à travers ses actions. Elle est l’autorité principale de la santé au sein du système des Nations Unies. Elle est la conscience mondiale de la santé. A cet effet, elle contribue à assurer la sécurité de l’air, de la nourriture, de l’eau, des médicaments, des vaccins et des équipements médicaux. C’est tellement vaste. Tous ces aspects contribuent à assurer la santé de la population.
L’OMS a pour objectif de donner à chaque enfant, chaque femme, chaque homme les meilleures chances de mener une vie plus saine et plus longue.
Pour y parvenir, il y a 6 fonctions essentiellement :
– Assurer le leadership sur les questions liées à la santé, s’engager dans le partenariat lorsqu’une action commune est requise
-Élaborer le programme de recherche à stimuler la production, la traduction et la diffusion des connaissances précieuses
– Fixer les normes et les standards, promouvoir et suivre leur implémentation
-Formuler des orientations éthiques et des options politiques reposant sur de l’évidence
-Apporter un appui technique catalyseur
(Ce qui fait la différence entre l’OMS et certains bailleurs, rires…). Certaines personnes mal renseignées pensent que l’OMS est un bailleur de fonds Non et Non, l’OMS apporte beaucoup plus l’appui technique. Mais elle dispose cependant de fonds catalytiques pour catalyser les actions afin d’atteindre les objectifs de santé, le plus souvent en formant les intervenants et en mettant à disposition les outils nécessaires à la mission (normes et procédures).
– Suivre la situation sanitaire et répondre aux tendances en matière de santé. Dans ce cadre nous produisons des bulletins pour rendre compte de la situation. Par exemple les bulletins épidémiologiques sur les urgences en Afrique, sur Ebola en RDC etc… Aux Comores, il faut dresser le profil épidémiologique et suivre l’évolution.
Le mandat du bureau local ne peut pas être différent du tableau dressé, on adapte juste le global au contexte local. Je peux juste rajouter que le bureau pays sis à Moroni fournit l’appui au gouvernement pour la planification et la réalisation de toutes les missions visant à assurer la santé de la population comorienne. Ceci passe par la fourniture d’expertises avisées pour aider le pays à prévenir et à contrôler les maladies, à renforcer les capacités, à suivre les tendances en matière de santé et à utiliser efficacement les meilleures stratégies et technologies disponibles pour prévenir, traiter et guérir les maladies tout en touchant le plus grand nombre de personnes. En un mot l’OMS appuie l’élaboration de la politique de santé et la mise en œuvre du plan de développement sanitaire du pays.