Le procès de la Citoyenneté économique est devenu le procès Sambi, au fil des ans et des abus commis par la justice contre cet ancien président de l’Union des Comores. Dans le tribunal, il est devenu le procès de la Cour de Sûreté de l’État, cette Cour héritée de la colonisation, qui était l’alliée de la dictature d’Ahmed Abdallah et des mercenaires et dont Azali Assoumani a fait un pilier du régime, servant à éliminer les opposants politiques.
Hachim Mohamed
Au deuxième jour du procès de la Citoyenneté économique, le 22 novembre, à 11 heures, les six avocats de l’ex-président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, se sont retrouvés non pas au Palais de Justice de Moroni, mais à la salle de conférence d’un hôtel de la place, devant la presse pour faire le procès de la Cour de Sûreté de l’État.
« Notre présence ici montre que nous n’avons pas le droit à une justice apaisée, à un procès équitable. Si l’ex-président a opéré une défense de rupture, cela dénote une justice désastreuse », a lancé Me Fatima Ousseni qui n’en revient pas sur le fait que les avocats de Ahmed Abdallah Mohamed Sambi soient dans un endroit autre que le prétoire.
En expliquant la décision de quitter l’audience de la part de l’ex-président Mohamed Sambi, ses six avocats se sont livrés à une gymnastique intellectuelle où en lieu et place du vrai procès, ils ont offert un procès de la Cour de Sûreté.
C’est Me Mahamaoudou Ahamaha qui avait commencé les « plaidoiries orales » de cette défense loin du prétoire. Il a essayé de comprendre comment un délit s’est retrouvé à la Cour de Sûreté de l’État et son client poursuivi pour haute trahison.
Un organe qui n’est pas prévu par la loi.
Me Mahamoudou Ahamda et son collègue venu de Belgique Me Jean Fermon se sont attachés à montrer que selon les textes en vigueur aux Comores, la Cour de Sûreté n’avait aucune existence légale.
Le premier a rappelé que la mise en cause de son client remonte au 25 juin 2018 quand le procureur Mohamed Abdou a ouvert une information judiciaire. Pour entendre l’ex-président sur l’affaire de la citoyenneté économique, il a fallu attendre le 20 août 2018 sous l’initiative du juge d’instruction Alyamane Abdallah.
Me Jean Fermon s’est arrêté sur la loi sur l’organisation judiciaire des Comores de 2020. Il constate l’absence de mention pour la Cour de Sûreté. Or, rappelle-t-il, pour pouvoir juger, siéger, rendre la justice, un tribunal doit être institué par la loi. L’avocat belge a mis sous les yeux des avocats l’article qui dit noir sur blanc que la fonction de commissaire de la République, liée à la Cour de Sûreté a été supprimée.
Jean Fermon interrompu 25 fois pendant la séance
C’était l’occasion pour Me Jean Fermon d’expliquer ce qu’est la Cour de Sûreté, une juridiction d’exception qui a été mise en place pendant les années de plomb, l’époque des mercenaires aux Comores. L’avocat a affirmé que c’est un problème majeur pour son client de comparaitre devant une juridiction d’exception, qui de plus juge de crimes politiques. D’autant plus que la Cour de Sûreté n’admet aucun recours, aucun appel.
L’installation du juge Omar Ben Ali a suscité beaucoup de réserve de la part de ses six avocats. Me Mahamoudou Ahamada a rappelé que le juge Omar Ben Ali a siégé dans la chambre d’accusation à maintes reprises et a eu à connaître ce dossier. Il y a eu cinq séances du tribunal où il a été aux manettes et a livré de décisions. Ce fut le cas le 7 mai 2019 avec décision rendue le 14 mai 20119 ou le 19 février 2019 avec une décision rendue le 23 février 2019.
Me Mahamoudou Ahamada a aussi fait savoir aux journalistes les difficultés qu’il a eues à avoir accès aux archives de la Chambre d’accusation pour vérifier la présence du juge Omar dans les délibérations qui ont abouti à ces différentes décisions. Les juges qui ont reçu des instructions d’en haut ont souvent refusé de lui fournir les documents dont il avait besoin pour mieux défendre son client.
Me Jean Fermon s’est également heurté à une situation d’anomalie quand il a demandé au juge Omar Ben Ali de clarifier la légalité de Cour de la Sûreté de l’État. Le juge l’a interrompu 25 alors qu’il tentait de demander des explications sur les documents qui venaient d’être versés par la partie civile.
La Cour de Sûreté disqualifiée
Sur la légalité de la Cour de Sûreté, Me Mahamoudou Ahamada a fait état de l’article 4 relatif aux quatre assesseurs. Il y est indiqué que deux des assesseurs sont nommés par décret après proposition de l’Assemblée fédérale. Or aucun d’eux n’a été nommé par décret et à aucun moment l’Assemblée n’a été consultée dans ce sens.
Me Mahamoudou a indiqué que lorsqu’il a demandé les décrets qui nommaient les assesseurs, la réponse du juge Omar a été de dire qu’il appartenait aux avocats de brandir les décrets qui attestent que les deux accesseurs sont nommés ou pas d’une manière régulière. Puis un arrêté a été remis aux avocats. C’est ce que Me Mahamoudou a qualifié en termes juridiques par « renversement de la charge de la preuve ».
Me Jean Fermon était encore effaré : comment le président d’une cour peut affirmer unilatéralement la régularité de la juridiction d’exception sans au préalable soumettre à la contradiction les éléments qui doivent être versés dans le dossier ! Comment, poursuit-il, un commissaire du gouvernement se paie le luxe d’une fonction dans le prétoire alors que dans l’article 43 de la loi de 2020, c’est aussi écrit noir sur blanc que la fonction de commissaire du gouvernement est supprimée !
« C’est du jamais vu ! » s’est exclamé l’avocat belge qui estime qu’une telle attitude disqualifie incontestablement la Cour de Sûreté.
S’appuyant sur la loi de 2020 qui fixe les conditions de renvoi et de la légalité de la poursuite et de la qualification des faits, Me Fahmi Saïd Ibrahim pense qu’il y a une entorse envers les textes dans la mesure où c’est le commissaire qui renvoie le procès dans la juridiction d’exception, mais pas le juge d’instruction. Il a également rappelé l’article 14 qui fait état de l’irrecevabilité des parties civiles à la Cour de Sûreté de l’État.
Plus de 200 passeports confectionnés sans décret
Le « procès » sur la Cour de la Sûreté de l’État mené par les avocats de l’ex-président de l’Union des Comores a montré à l’opinion nationale et internationale pourquoi Ahmed Abdallah Mohamed Sambi a décidé de quitter le prétoire du palais de Moroni.
Pour Me Mahamoudou Ahamda, leur client a constaté que les garanties d’un procès équitable n’étaient pas réunies pendant cette audience.
Et contrairement aux informations qui circulent l’ex-président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi a moins utilisé la loi sur la citoyenneté que ne l’a exploité son successeur l’ex-président Ikililou Dhoinine qui n’a jamais été vraiment inquiété, comme le président actuellement au pouvoir, Assoumani Azali, alors que la loi n’a toujours pas été abolie. Le député Oumouri avait même affirmé en janvier 2017 que plus de 200 passeports avaient été confectionnés sans décret.
Hachim Mohamed