Le procès sur la citoyenneté économique s’est ouvert le lundi 21 novembre 2022 au Palais de Justice de Moroni. Comme on pouvait le prévoir, ce fut surtout le procès de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, dont les avocats ont montré les nombreuses irrégularités et les vices de procédure de la Cour de Sûreté qui devait juger leur client pour haute trahison. Un procès qui a mis à nu les insuffisances des juges comoriens chargés depuis 2018 par le pouvoir en place d’éliminer des opposants politiques à travers des procès à la Cour de Sûreté, une cour qui n’admet aucune possibilité d’appel.
Par MiB
Le principal inculpé au procès de la citoyenneté économique, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, est arrivé au Palais de justice de Moroni le lundi matin, encadré par un important dispositif militaire. Si de prime abord, il semble avoir conservé son intégrité physique après quatre années de détention illégale, et sans pouvoir aller se soigner, on s’aperçoit rapidement qu’il titube et a du mal à se déplacer. Cela est certainement dû au fait qu’il est enfermé dans une chambre, transformée par arrêté en annexe de la prison de Moroni.
Une cour illégale
L’ex-président des Comores était défendu par cinq avocats, dont trois Comoriens : Me Ahamada Mahamoudou (qui a suivi le dossier depuis le début), Me Fahmi Saïd Ibrahim (dont on pensait qu’il n’était plus sur le dossier) et Me Fatima Ousseni (Barreau de Mayotte, arrivée depuis peu sur le dossier). Me Ibrahim Mzimba a finalement refusé de se constituer pour Mohamed Sambi, à cause de la présence de Me Fahmi. Deux autres avocats, étrangers, étaient constitués pour défendre l’ancien président : Me Jan Fermon (Barreau de Bruxelles) et Me Jean Gilles Halimi (Barreau de Paris). Ils étaient assistés par un juriste international, le professeur Hassan Jouni, d’origine libanaise.
Le débat s’est ouvert par une mise en cause de la Cour de Sûreté de l’État et par la procédure qui l’a mise en place. En effet, comme dans les précédents procès qui ont jugé des opposants politiques, les avocats du président Mohamed Sambi ont indiqué que la Cour de Sûreté ne fait plus partie de l’organisation judiciaire du pays depuis une loi de 2020. À cet argument, les juges de la Cour suprême (tous désignés par le chef de l’État, Azali Assoumani) et les juristes de Beit-Salam ont déjà répondu qu’aucun acte ne l’a supprimée et que le fait qu’elle ne soit pas clairement inscrite dans la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire ne prouve rien.
Un élément nouveau a tout de même été avancé par les avocats de la défense : la preuve que cette Cour de Sûreté n’existe plus c’est que la fonction de commissaire du gouvernement a été explicitement supprimée, sans aucune ambiguïté. Or, la loi sur la Cour de Sûreté prévoit que c’est le Commissaire du gouvernement qui renvoie vers cette Cour et qu’il est le seul à y représenter le gouvernement.
Juges, commissaire du gouvernement et assesseurs désignés illégalement
Les mêmes avocats ont donc soulevé ces autres vices de procédures qui entachent gravement la Cour : d’une part, ce n’était pas au juge d’instruction Elamine Saïd Mohamed de renvoyer l’affaire vers la Cour de Sûreté, comme il l’a fait dans son ordonnance de renvoi du 10 septembre ; et d’autre part, la fonction de commissaire ayant été clairement supprimée, le juge Djounaid ne pouvait pas se présenter comme Commissaire du gouvernement au sein du tribunal.
Ensuite, les mêmes avocats ont mis en cause la présence des quatre assesseurs. Ils ont montré que leur désignation était illégale, car n’ayant suivi aucune procédure prévue. Selon la loi, ils devaient être nommés par décret du chef de l’État. On a remis aux avocats, après l’ouverture du procès des arrêtés signés par le ministre de la Justice. Deux d’entre eux devaient être désignés par l’Assemblée de l’Union, celle-ci n’a jamais été consultée. Et le pire, c’est le commissaire du gouvernement, le juge Djounaid, censé avoir de l’expérience et qui lance aux avocats que c’était à eux de produire les décrets nommant les assesseurs.
C’est au sujet de ces assesseurs qu’a eu lieu l’opposition la plus forte entre le juge Omar et Me Frémont qui souhaitait commenter les arrêtés que le Tribunal venait de verser au dossier. Le juge Omar refusa catégoriquement tout commentaire sur les arrêtés sachant que l’avocat allait soulever leur caractère illégal. Mais, l’avocat a refusé de se taire, provoquant la colère du juge comorien qui n’est pas habitué à voir ses décisions, même les plus illégales, être remises en cause par un avocat.
Me Fahmi Saïd Ibrahim a soulevé d’autres vices de procédure. Il a d’abord montré que l’article 14 de la loi sur la Cour de Sûreté interdisait la constitution de parties civiles. Or plusieurs avocats étaient là en tant que parties civiles, représentant le gouvernement.
« Qui peut le plus peut le moins »
Il a ensuite rappelé au juge qu’aucune loi ne définit la haute trahison (Lire Masiwa n°404 du 14 novembre 2022, « Procès Sambi. Les incohérences de l’ordonnance du juge Elamine ») et donc pour lui, ce crime n’existe pas dans la loi comorienne, même si le juge Elamine Saïd Mohamed l’a inventé pour pouvoir transformer des délits en crime et s’assurer que Mohamed Sambi soit gardé en prison le plus longtemps possible.
L’avocat de Nourdine Bourhane s’est même étonné que son client poursuivi pour « faux et usages de faux, complicité de détournement des deniers publics », c’est-à-dire des délits se retrouve devant la Cour de Sûreté de l’État. Il a eu une réponse cinglante, qui marquera sans doute les annales de la Justice comorienne, de la part du commissaire du gouvernement : « Qui peut le plus peut le moins », autrement dit si la Cour de Sûreté peut juger les grands crimes, elle peut aussi juger les petits délits. Donc, pour le juge Djounaid, pour n’importe quelle affaire, même le vol d’une poule, n’importe qui peut être jugé devant la Cour de Sûreté de l’État.
Sortir du haram
Après avoir entendu les premiers mots de ses avocats, l’ancien président Mohamed Sambi a insisté pour pouvoir parler. Le juge Omar l’a coupé à plusieurs reprises, mais il a tenu et il a finalement pu parler. Chacun a pu constater que s’il est physiquement diminué, Mohamed Sambi n’a pas perdu sa verve. Il a dit qu’il tirait comme conclusion des démonstrations de ses avocats qu’il avait devant lui une cour « haram » et des juges « haram ». Les observateurs ont traduit trop rapidement ce terme de « haram » par « illégal ». C’est beaucoup plus que cela. C’est à la fois un terme religieux, un terme du droit musulman, mais qui a une connotation forte dans la société comorienne. L’orateur né qu’est Mohamed Sambi a voulu à la fois signifier à la Cour, au juge Omar, au Commissaire du gouvernement et aux assesseurs que non seulement ils étaient dans l’illégalité, mais qu’en plus, ils relevaient de ce qui est interdit par la loi, mais aussi par la religion et la société parce qu’illicite. Et ce qui est « haram » (illicite) dans la société comorienne vous enduit de honte en public et par conséquent vous devenez un paria, infréquentable, car vous pouvez transmettre cette honte à d’autres. Dans l’esprit de l’ancien président, il n’était donc plus question de comparaitre devant une Cour couverte par la honte. Il voulait immédiatement quitter la salle, mais le président l’a rappelé et a insisté pour qu’il reste jusqu’à la fin de l’audience. On l’a vu alors la tête enfouie dans la main, le regard ailleurs. Il n’était plus dans le procès, ce n’était plus lui qui était jugé.
Une affaire « vidée »
Le juge Omar a eu le dernier mot, il a « vidé » lui-même toutes les questions relevant de l’illégalité de la Cour de Sûreté, y compris celle qui le concernait directement puisqu’il ne pouvait présider ce tribunal, étant intervenu à plusieurs reprises dans l’instruction de l’affaire comme l’a rappelé Me Mahamoudou Ahamada.
Les autres avocats des autres inculpés ne semblaient pas trop se préoccuper de ces questions de procédure. À l’image de Me Elaniou, le doyen des avocats comoriens qui a affirmé que peu lui importait la Cour qui jugeait son client, il souhaitait juste qu’elle reconnaisse l’innocence de celui-ci, Mohamed Dossar Bacar.
Pourtant, Me Fahmi Saïd Ibrahim devait leur rappeler le jour suivant dans une conférence de presse une vérité qui devrait être attachée à tous ceux qui exercent ces métiers de la Justice : « Là où il n’y a pas de procédure, il n’y a pas de liberté possible ». Au fur et à mesure des procès, que ce soit à Paris ou à Moroni, l’on constate que la procédure reste le défaut premier des professionnels de la Justice aux Comores. Lors du second procès Bob Denard à Paris en 2006, les avocats français n’ont cessé de fustiger le manque de connaissance en matière de procédure de la part de leurs collègues comoriens, venus nombreux.
Le commissaire du gouvernement a demandé la perpétuité pour Mohamed Sambi et Mohamed Ali Soilihi (Mamadou) dont le gouvernement a organisé la fuite vers l’étranger quelques semaines avant le début du procès. Le commissaire a aussi demandé 10 ans de prison pour Bachar Kiwan et ses amis investisseurs arabes ; et 9 ans pour les diplomates en fuite, dont le fils de Sambi. Le verdict est fixé pour demain mardi 29 novembre.
Le piétinement de la procédure n’a pas permis d’avoir un jugement équitable et de se rapprocher de la vérité. Le gouvernement en intervenant constamment dans ce procès et en donnant aux juges des instructions l’a complètement faussé et a mis le doute, même sur ce qui était incontestable.
L’expression qui marquera ce procès est celle que le juge Omar a répétée à plusieurs reprises au premier jour du procès pour mettre fin aux débats ou empêcher les avocats d’évoquer certains faits : « On a déjà vidé cette question ». Vidé, comme on vide un bac plein de saletés et il faut croire que des saletés, il y en avait la semaine dernière au Palais de Justice de Moroni. Il n’est pas certain que le juge Omar a réussi à les vider entièrement, vu qu’à chaque fois qu’il disait qu’il a vidé, elles revenaient encore plus consistantes. La Justice comorienne a plus que besoin de faire le ménage et de couper le cordon qui le relie au pouvoir exécutif, surtout dans cette période où l’exécutif détient le pouvoir législatif et contrôle les médias qui comptent dans le pays.
MiB