Aux Comores, pendant le mois de ramadan, la population consomme davantage de produits vivriers (banane, manioc, patate douce, taro, etc.). Ces produits agricoles sont presque devenus des denrées alimentaires rares dans l’archipel. Certains commerçants n’hésitent pas à les acheter en Tanzanie et à Madagascar (…) pour les vendre aux Comores. Les prix de ces aliments augmentent pendant ce mois sacré dans notre pays, qu’il s’agisse de produits locaux ou de ceux importés.
Par Natidja HAMIDOU
Les produits vivriers moins cultivés à Ngazidja
Quel Comorien peut se passer de son ndrovi ya pvisiwa (banane frite), de son batata ya rohosiwa (patate douce cuite à la vapeur) à l’heure de la rupture du jeune ? Banane et patate douce frites, manioc grillé, sans oublier le fameux taro frit ou au lait de coco constituent les principaux menus des Comoriens pendant le mois sacré de ramadan. Quelles que soient les catégories sociales des familles comoriennes, à l’heure de rompre le jeûne, on retrouve presque un des produits cités à table. Les prix ne sont pas moindres par rapport au pouvoir d’achat des Comoriens, et le contexte du mois de jeûne n’arrange pas les choses. Toutefois, il faut souligner qu’aux Comores, l’agriculture est délaissée, notamment à Ngazidja. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’agriculteurs sur cette île, mais ils sont insuffisants par rapport à la consommation et aux besoins de la population, étant donné que la majorité des habitants ne veut pas cultiver la terre. D’ailleurs, certains commerçants importent du manioc ainsi que d’autres produits alimentaires des pays voisins, de Madagascar et de Tanzanie.
C’est sur les autres îles, surtout à Mohéli, que la production agricole des produits vivriers locaux est en hausse. Beaucoup de marchands achètent à l’île de Djumbe Fatima pour vendre à Ngazidja. Il suffit de se rendre au port de Moroni ou à la ville de Chindini, dans la région de Mbadjini, pour voir les petits bateaux accoster. Ces kwasa-kwasa transportent les produits agricoles locaux. Les ventes peuvent se dérouler au sein même du port de la capitale de l’archipel ou à Chindini. Certains particuliers n’hésitent pas à se déplacer jusqu’à cette ville au cours de ce mois de ramadan avec l’espoir d’acheter directement de l’agriculteur à bas prix avant que le produit n’atterrisse au marché de Moroni, où il sera vendu par un commerçant.
Un jeune agriculteur passionné et entrepreneur dévoué
À Mohéli, l’agriculture connaît une progression considérable, contrairement aux autres îles des Comores. Elle attire de plus en plus de jeunes puisqu’elle est rentable financièrement. Beaucoup d’entre eux se consacrent exclusivement à l’agriculture et ouvrent leurs petites entreprises. C’est le cas de Fayçal Bianrifi Youssouf. C’est un agriculteur mohélien âgé de trente-huit ans. Diplômé en Gestion de Ressources naturelles et Environnement à l’Université de Tamatave, à Madagascar, Fayçal Bianrifi Youssouf a occupé le poste de chef de service de Marketing à la Direction régionale de Comores Télécom à Mohéli. Fils d’un agriculteur, il a démissionné de son travail pour cultiver la terre comme ce fut le cas de son père : « Je suis agriculteur depuis mon très jeune âge, mais c’est à partir de 2019, année au cours de laquelle j’ai quitté Comores Telecom, que j’ai révolutionné l’agriculture, jusqu’à nos jours. J’ai compris que c’était le seul secteur où je pouvais garantir ma vie en tant que jeune. Aujourd’hui, l’agriculture est le secteur qui fait l’objet de plusieurs débats à l’échelle mondiale et régionale », affirme cet entrepreneur. Fondateur de l’entreprise FABI Production, cet homme cultive de la banane, du manioc, des taros, de la patate douce, les pastèques, du piment, de l’ananas, du fruit de la passion et de la papaye. Il emploie onze personnes dans son entreprise : « Nos produits se vendent dans l’ensemble de l’archipel, que ce soit les denrées alimentaires, mais aussi les semences bananières et autres », déclare-t-il.
Passionné par son métier, cet agriculteur et ses employés peuvent récolter quatre cents régimes de bananes ainsi que quarante à cinquante tonnes de manioc par mois. Il travaille la terre à travers la méthode traditionnelle, mais aussi par la méthode moderne, en faisant usage des engrais. Malgré la quantité que produit son entreprise par mois, Fayçal Bianrifi Youssouf souligne qu’il n’arrive pas à satisfaire tous ses clients. Il ne peut honorer que 40% des commandes passées. Selon lui, au cours de ce mois de ramadan, c’est la banane qui est plus demandée : « Par rapport à la commande que je reçois, c’est très difficile de répondre à cette demande plus élevée que l’offre. Mais, si j’arrivais à avoir 1 tonne de chaque produit, je pourrais faire tout écouler sans difficulté. Le souci, c’est que nous sommes en période de pluie, et certains produits ne tubérisent pas. Ce qui fait qu’à Mohéli, ces produits restent introuvables », regrette l’entrepreneur. C’est surprenant de voir qu’une petite entreprise arrive à produire autant de denrées alimentaires, même c’est insuffisant. On comprend en effet que la terre comorienne est fertile, et le climat est adapté. Il est probable que si une majorité de personnes cultivaient, l’archipel pourrait avoir une sécurité alimentaire en ce qui concerne les produits locaux. Cependant, il faudrait que la jeunesse qui est au chômage et qui traîne sur les places publiques accepte de passer le cap et de prendre les choses en main.
La banane fait entrer un chiffre d’affaires de 3 millions de francs comoriens pendant le mois de ramadan
Les clients de FABI production sont des marchands, mais aussi des particuliers : « On vend nos produits en organisant des foires, des salons et des marchés », atteste Fayçal Bianrifi. Selon lui, le chiffre d’affaires pendant ce mois de ramadan peut atteindre plusieurs millions de francs comoriens : « Le chiffre d’affaires durant le mois de ramadan peut s’élever à 3 millions, vu qu’il s’agit juste de la banane. Ce chiffre peut s’élever pendant les périodes de Machouhouli (mariages), de juillet à octobre. Pendant cette période, il y a une forte demande, et les produits sont presque prêts », précise le patron. C’est une somme remarquable à l’échelle locale. Toutefois, cet entrepreneur souligne que « le produit le plus rentable pour moi est la pastèque, car elle a un cycle de 3 mois et elle pèse ».
Cet agriculteur nous a confié qu’à Mohéli, les prix des produits agricoles sont les mêmes, quel que soit le producteur. C’est uniquement lors des foires, des salons… que les prix changent.
Fondateur d’une coopérative agricole
Dans le but d’aider les agriculteurs confrontés à beaucoup d’obstacles, Fayçal Bianrifi Youssouf a fondé en 2018 une coopérative agricole dénommée Dima Djema. Celle-ci regroupe une trentaine de personnes, dont cinq permanents et vingt-cinq saisonniers. Cet entrepreneur consacre 40% de son temps à cette coopérative : « J’ai eu l’idée de créer cette coopérative, car il y a un véritable problème d’espace, s’agissant des terrains cultivables d’envergure. Donc, les paysans sont obligés de travailler sur des petites parcelles et souvent livrés à eux-mêmes. Je me suis dit que je dois essayer de les rapprocher et les regrouper afin de les aider », déclare notre interlocuteur. Cette coopérative a bénéficié d’une subvention de la Banque mondiale à travers le projet PIDC du ministère de l’Agriculture. Il s’agit de l’achat d’une vedette pour transporter les produits vers les autres îles.