La compagnie internationale de transports maritimes, MAERSK, qui a encore fait d’énormes profits cette année, a décidé de ne plus desservir les Comores. Elle ne transportera plus de conteneurs à destination de ce pays à cause des taxes qui ont augmenté d’une manière considérable depuis l’année dernière, mais aussi des mécanismes de corruption de la justice comorienne, affirment certains observateurs. Par MiB
C’est une véritable alerte qu’a lancée un responsable de l’agence de fret Cavalier Logistics Comores située à Marseille, le 13 janvier 2021 sur la page Facebook de l’entreprise. Le principal transporteur de conteneurs du monde, MAERSK, a décidé de ne plus desservir les Comores et elle l’a annoncé brusquement aux agences avec lesquelles elle travaille habituellement.
La plupart des opérateurs économiques ont confirmé la nouvelle qui était attendue à Moroni. « Effectivement la compagnie MAERSK a décidé d’arrêter la desserte des Comores, mais elle l’avait déjà annoncé depuis plusieurs mois. C’est juste que maintenant elle met sa décision en œuvre. », affirme Fahmy Thabit, patron et ancien Président de la Chambre de Commerce. Il note également que « notre économie dépend à 90% de l’étranger » et que « la ligne France-Comores était essentiellement desservie par Maersk ». Les enjeux du retrait de MAERSK sont donc essentiels pour l’économie comorienne.
Des conteneurs sortis sans payement
Selon le responsable de l’agence de Marseille, parmi les raisons évoquées se trouvent les nombreuses taxes que les armateurs doivent s’acquitter depuis un an. D’autres, à l’instar du Directeur de Hayba FM, Mohamed Saïd Abdallah Mchangama dans un direct vidéo, affirment que c’est aussi le système de corruption basé au Palais de Justice qui fait fuir MAERSK. Ahmadou Mze, activiste de la diaspora s’avance un peu plus dans cette idée « Des Présidents du tribunal (probablement de commerce) ordonneraient des main-levées illégales sur des containers au profit de leurs clients, en échange de quelques euros ou quelques faveurs dérisoires. » (Publication sur son mur Facebook le 16 janvier 2021).
Et effectivement, la rédaction de Masiwa avait reçu il y a quelques mois le témoignage d’un patron qui avait subi ces manœuvres, mais qui avait refusé de sortir le conteneur. Une personne se présentant comme le Président du tribunal de Commerce de Moroni l’avait appelé pour lui demander de sortir sans charges le conteneur personnel d’un conseiller en communication de la Présidence, sinon son agence allait être fermée à la demi-heure suivante. Au bout du temps imparti, un huissier de la place avait également appelé. Comme le patron de l’agence n’avait pas cédé, le conseiller en communication de Beit-Salam est allé s’excuser et payer les frais pour son conteneur.
Cette fois-là l’opération d’intimidation avait échoué, mais combien de fois des conteneurs sont sortis sans payement à la demande de ceux qui ont aujourd’hui le pouvoir ?
D’autres pénuries en perspective
Les conséquences immédiates de cette décision de MAERSK c’est l’accumulation des colis en partance pour les Comores dans les agences de fret en France. Le responsable de Cavalier Logistics prévient sa clientèle que les paquets qui devaient partir par bateau et arriver avant le ramadan n’arriveront pas à temps. MAERSK, c’est la compagnie qui pouvait transporter les conteneurs de la France vers les Comores en 45 jours. Pour les autres compagnies, la procédure est plus longue. Il leur conseille d’utiliser le fret aérien, plus cher, surtout s’agissant de denrées alimentaires.
Les conséquences a plus long terme et à plus grande échelle seront les pénuries, déjà présente avec la réduction du trafic, il y a quelques mois, et par suite la hausse inévitable des prix, surtout à l’approche du ramadan et de l’été avec l’arrivée massive de la diaspora.
Pour comprendre ce nouveau blocage au développement de l’économie comorienne, il faut sans aucun doute évoquer la situation mondiale, mais également le manque d’infrastructures de la part du pays et surtout revenir à la loi de finances de 2021, qui a déjà fait tant de dégâts à l’économie, mais qui n’a toujours pas suscité une réaction adéquate de la part du gouvernement, à part celle de fermer les boutiques des commerçants qui avaient répercuté les hausses de taxes sur les produits en magasin.
Des déchargements plus longs et plus coûteux
Même si dans un premier temps, le gouvernement a nié l’augmentation de taxes pour les armateurs, la Société comorienne des Ports (SCP) a bien augmenté les taxes pour les bateaux qui stationnent au large de Moroni. Or les infrastructures portuaires n’étant pas adéquates, les opérations de déchargement sont plus longues et donc plus coûteuses. MAERSK et CMA-CGC avaient déjà réduit leurs arrivées à Moroni et préféraient laisser les conteneurs à destination de Moroni sur le port de Longoni à Mayotte. De plus petits bateaux appartenant à des armateurs étrangers pouvaient ainsi aller les chercher, petit à petit. Parfois, les conteneurs sont déposés au port de Mutsamudu alors que la plupart sont attendus à Moroni, cœur de l’économie comorienne. Il faut encore un autre bateau pour aller les chercher. Ensuite, même ces petits bateaux ne peuvent pas entrer dans le port de Moroni, ils restent longtemps au large pour des opérations de déchargement qui peuvent durer. C’est ainsi que certains attendent depuis plusieurs mois leurs conteneurs bloqués au port de Mutsamudu.
Après les nombreuses réactions des opérateurs économiques, les pénuries de plusieurs produits, notamment les produits carnés, le remaniement gouvernemental intervenu le 28 août 2021 semblait être une réponse aux problèmes financiers et économiques (Lire Masiwa n°343 : « Un gouvernement de crise ? »). Houmed Msaidié a été remplacé au ministère de l’Économie par un poids lourd de l’économie comorienne, Mze Abdou Mohamed Chanfiou, ancien Directeur de la Banque centrale. Même si l’opinion publique était consciente que les mesures de hausses des taxes douanières étaient en grande partie dues à la politique douanière, on pouvait penser que l’installation au ministère des Finances de kamalidine Souef, ancien Directeur de la douane allait faire profiter à ce ministère de la mauvaise expérience de la douane qui a provoqué les pénuries. Malheureusement, ce gouvernement s’est laissé englué dans la crise politique et il est impossible aujourd’hui de savoir quelle direction il prend.
Un gouvernement sans direction
Les décisions qui vont impacter l’économie comorienne et particulièrement la vie des simples citoyens sont annoncées et prévisibles. Pourtant, le gouvernement semble paralysé quant aux solutions adéquates pour y faire face.
Fahmy Thabit rappelle que la décision de MAERSK n’est pas une surprise, ni pour les opérateurs économiques ni pour le gouvernement. « La question qui se pose c’est si le gouvernement, qui a été normalement informé officiellement de cette décision, a essayé de trouver une solution », explique-t-il. Pour lui, « des négociations devaient se faire avec les ports de la région pour assurer la fluidité des transbordements des containers vers notre pays et mettre en place un réseau de navires plus petits qui achemineraient les containers régulièrement vers Mutsamudu et Moroni. Sommes-nous préparés ? » demande-t-il. C’est bien sûr une question rhétorique, car si le pays était préparé à cette décision annoncée de MAERSK, il le saurait. Le gouvernement est ailleurs. La communication autour de la très probable réélection d’Azali Assoumani en 2024 est en préparation. Elle doit passer d’abord par une neutralisation de l’opposition avec l’aide de l’Union africaine et à travers un « Dialogue national » qui a l’air de se réduire à un monologue, entre partisans.
Les ministres et Directeurs, à l’image du chef de l’État, continuent de se gargariser des réussites économiques depuis six ans et à prévoir la sortie du sous-développement dans huit ans alors qu’ils sont incapables d’approvisionner le pays en produits de première nécessité et surtout d’interrompre la hausse régulière des prix autrement que par la force.
À lire également :
Un gouvernement de crise ? (Masiwa n° 343 du 30 août 2021)