Le commerce des clous de girofle permet à de nombreuses familles de faire face aux crises économiques. Cette année la production est moins importante et la crise risque d’être ressentie dans l’île d’Anjouan qui produit près de 70% des clous de girofle de l’Union des Comores.
Par Naenmati Ibrahim
Il y a une décennie la récolte du girofle atteignait les 2000 à 3000 tonnes par an selon le Fonds International de Développement agricole (FIDA) Comores comme source ayant aidé à l’établissement de ces données chiffrées. Le document dont sont issus ces chiffres date de 2013. Il nous apprend que 70 % de la récolte de girofle de l’Union des Comores est produite à Anjouan. L’île de Ndzouani est hissée comme premier producteur de clous de girofle asséchés devant Mohéli qui produit 25% et Ngazidja où la production se limite seulement à 5%.
Le prix varie depuis le début de la décennie 2010-2020, car il dépend fortement du marché international. Les clous de girofle asséchés sont utilisés dans le monde cosmétique et pharmaceutique. Cette variation des prix influence le comportement du producteur anjouanais, puisque le girofle reste comme une source alternative de revenus pour beaucoup de ménages anjouanais. Alors l’instabilité actuelle pousse certains à s’adapter tout en cherchant les moyens de fructifier leurs revenus obtenus par les ventes auprès des commerçants du quartier et les acheteurs ambulants qui sillonnent l’ensemble de l’île durant ces périodes de récolte.
Des revenus pour les ménages anjouanais
Durant ces dernières années, le prix de la girofle est bloqué entre 2600 à 2900 KMF le kilogramme. Et malheureusement les crises économiques n’ont pas épargné le pays et surtout l’île d’Anjouan où les pénuries des produits de première nécessité sont presque semestrielles. Nous comptons la pénurie de riz intervenue en 2022 (voir Masiwa n°427). En 2020, une hausse de 3,5% a été constatée par la Banque centrale de Comores (BCC) pour l’ensemble de la récolte nationale, pourtant la situation reste toujours critique pour les ménages anjouanais. L’année passée, il y a eu une surproduction. Les producteurs anjouanais étaient dépassés. La récolte était abondante, mais il était devenu difficile de tout récolter. Il fallait trouver de jeunes gens issus d’autres milieux ruraux disposés à venir travailler dans les récoltes de nombreux ménages dans les localités situées dans la cuvette au centre de l’île et la région de Shisiwani au nord. La production avait été estimée en 2022 à 6500 tonnes de girofle dans le pays, ce qui était vraiment exceptionnel.
Durant le régime du colonel Mohamed Bacar, entre 2003 et 2004, les prix avaient atteignait parfois les 5000 KMF le kilogramme de clous de girofle asséché. Cette année, la récolte est moins bonne, le prix est de 3500 KMF.
L’Anjouanais nostalgique se souvient de cette période de Mohamed Bacar, car il ignorait les mécanismes du marché où c’est la loi de l’offre et de la demande qui justifie le prix. Mais, cette période a attribué une gloire à cet ancien homme de l’île chassé du pouvoir en 2008 par les armes. Les Anjouanais pensaient qu’il fixait lui-même les prix !
Pour cette année 2023, les girofliers n’ont rien donné, on ne compte que quelques personnes qui ont eu la chance de récolter un peu de ce produit phare qui fait sourire en donnant du bonheur aux familles paysannes anjouanaises.
L’entretien des revenus obtenus durant les récoltes
Les familles anjouanaises dépendent aussi en partie de la diaspora installée à Mayotte, y compris de ceux qui y vivent clandestinement, et qui ont des revenus modestes.
La culture des clous de girofle est également un des moyens qui perfusent l’économie des ménages. À travers la récolte de ce produit, un réseau financier informel s’est installé et permet à une grande partie de la population de l’île de tenir debout. La mutualisation des revenus permet d’avancer un chantier d’une maison pour le mariage d’une fille de la famille, ou de financer un mariage et tout simplement permettre de vivre à l’anjouanaise, c’est-à-dire participer aux cérémonies coûteuses malgré la pauvreté ambiante.
Une culture de rente ou une source économique
Cette culture de rente pousse les ménages à s’organiser. Très rentable selon les périodes, elle établit un tissu économique. C’est durant la saison du girofle que les ménages des zones rurales s’organisent en économisant l’argent tiré de leurs ventes enfin de subvenir aux besoins essentiels pour les mois qui suivent. Le girofle est devenu une véritable source de revenus qui permet aux familles des zones rurales à Anjouan de faire face à la crise économique qui secoue le pays depuis plusieurs décennies.
Sous la complicité des autorités.
Même si le prix se détermine par la loi du marché, aux Comores, surtout à Anjouan, l’État et les autorités de l’île se disputent le prix final de l’achat des clous de girofle auprès des cultivateurs. C’est-à-dire qu’après la fixation du prix final par les grands acheteurs mondiaux, les acheteurs locaux, les exportateurs et les autorités fixent un prix final. Il s’agit d’une entente dans laquelle chacun trouve son compte. Le petit acheteur trouve son bénéfice, les gros aussi, les exportateurs également et les autorités récoltes des taxes. Dans cette mécanique administrative et financière, c’est toujours les ménages qui sont les perdants. Ils subissent non pas la loi du marché international, mais celle de certains commerçants qui s’enrichissent énormément avec la complicité de l’État et des autorités.
Le commerce des clous de girofle n’empêche pas les pénuries et l’appauvrissement
Durant la saison des récoltes, plusieurs activités économiques plus au moins informelles apparaissent. Les commençants et les petits vendeurs sont satisfaits de leur travail. Même ceux qui ne sont pas dans le métier de la vente se mettent à vendre surtout les femmes qui en profitent pour proposer des gâteaux ou faire des grillades comme les brochettes et des ailes de poulet grillées, car il y a une circulation plus importante de l’argent.
Malgré cela, l’État est incapable de garantir les produits servant de matières premières à ces commerces effectués par les ménages afin d’entretenir leurs revenus. Et certains produits sont ceux qui sont les plus demandés, à l’instar du riz, de la farine et les ailes de poulet pour les brochettes. Quand ce n’est pas de la pénurie des produits alimentaires, c’est l’électricité qui fait défaut et entrave le commerce.
Certains profitent de l’argent qu’ils ont gagné pour faire la traversée vers l’île de Mayotte. D’autres encore, essentiellement les jeunes hommes, profitent pour s’acheter des motos. C’est pourquoi il y a beaucoup de jeunes anjouanais qui possèdent des motos, mais n’ont aucune activité économique régulière. Ils passent leur temps à se pavaner en couple, comme quoi la misère ne les empêche pas de vivre leurs romances.